LA DÉCENNIE, DEUX ANS APRÈS
Constance Middleton-Hope -directrice du développement et de l’action sociale Cathédrale anglicane Christ Church
Où en sommes-nous? Qu’avons-nous fait depuis cette déclaration solennelle du Conseil oecuménique des Églises en 1988, déclaration qui devait assainir le climat des relations hommes-femmes-Églises? On nous avait promis une décennie de solidarité, une décennie oecuménique des Églises et des femmes.
Ce fut, en 88, une décennie lancée dans la foulée des statistiques qui constataient la pauvreté et la violence faite aux femmes… Ces petites filles du Tiers-Monde, les dernières à être nourries, les premières à être enceintes, créant des générations futures de mal nourries et de vieilles avant le temps… Les acquis du premier monde semblaient aussi s’effriter: croissance de violence conjugale, inégalité en emploi, manque de garderies, multiplication des familles monoparentales et, partout, la pauvreté qui lève son glaive audessus de la tête de toutes.
Allons soyons sérieuses! Les Églises ont répondu à ce défi. Le primat de l’Église anglicane lança un appel aux diocèses les exhortant à se doter de moyens de sensibilisation et d’appui à cette décennie de 1988 à 1998. D’autres Églises protestantes, particulièrement l’Église unie, donnent suite à cet appel aux armes, ou plutôt à la solidarité.
Et puis, c’est le néant. Pas de financement spécial, pas de conférences axées sur cette décennie réservée, disait-on, à la solidarité Églises-femmes. Ce sont les groupes de femmes qui reprennent le discours et se mettent à l’oeuvre. Elles grattent les budgets de fond de tiroir et planifient un bulletin maison qui s’appelle Ground swell (« Raz de marée »), et qui rapporte de petits événements naissant dans différents coins du globe. De temps en temps, on y retrouve des poèmes, des chants, des prières, des histoires de femmes.
Au Canada
Un recueil plus coûteux est publié par la suite qui reprend en plusieurs langues ce cri du coeur des femmes mais toujours, ici au pays, on cherche des moyens d’obtenir des fonds et surtout de conscientiser nos propres communautés. Un groupe de femmes à Toronto a obtenu une subvention des Églises afin de préparer une vidéo sur un thème qui semble regrouper bon nombre des besoins des femmes: le thème de la pauvreté. A fine line raconte l’histoire de trois Canadiennes d’âges différents qui vivent cette pauvreté.
Lors de l’assemblée des évêques de l’Église anglicane, Monseigneur John Baycraft étonne ses confrères en terminant une intervention par les mots suivants: « La prochaine décennie sera marquée par le mouvement féministe qui, à mon avis, sera le catalysateur qui changera les Églises ». Un mouvement très important mais qui n’aboutira pas avant l’an 2 000 disait-il. (La traduction est de moi.) Cette déclaration quasi stupéfiante fut reprise par les féministes chrétiennes. Elles ont filmé une entrevue avec Mgr Bâycraft, de même qu’un panel réunissant des femmes prêtres et laïques. La bande vidéo fut offerte en vente aux diocèses de l’Église anglicane et à d’autres Églises. Intitulée Feminist and Christian,cette vidéo est devenue très populaire dans les milieux anglophones.
À Montréal
Cette déclaration du Concile mondial des Églises a entraîné des initiatives oecuméniques. L’Église unie entreprend des conférences pour apprivoiser ce nouveau dossier. On se finance par la vente d’articles décorés de l’emblème de la Décennie: « sweatshirt », « T-shirt » et timbales (« mugs ») en porcelaine anglaise. Dans le diocèse anglican de Montréal, l’annonce de cette décennie tombe pile. En 1986, le Conseil diocésain avait accepté la formation d’un groupe de travail qui aurait pour mandat d’identifier les besoins des femmes dans nos Églises et les moyens d’y répondre. Ce groupe devait se rapporter au Synode diocésain de mai 1988. En tant que présidente de ce groupe, j’avais à former une équipe hommes-femmes qui devait s’auto-sensibiliser et sensibiliser nos paroisses. Ce ne fut pas facile. Les réseaux de communication habituels étaient souvent bloqués par des curés et même par des secrétaires, qui se sentaient menacés face à un tel défi.
Il a fallu trouver de nouveaux moyens de communiquer l’information, de convoquer des personnes aux consultations, mais on a fini par y arriver, en pleine foulée de la déclaration d’une décennie au Synode même. Ce fut le chaos, arguments acerbes, voix élevées, plaidoyer féministe, non féministe… pour quelles raisons? Le rapport succinct avait fait neuf recommandations dont cinq propositions soumises au vote. Des propositions toutes douces qui demandaient qu’on respecte la présence des femmes dans l’Église en utilisant un langage inclusif, qu’on ne se serve plus de langage exclusif, i.e. « Bénis soient tous les hommes de la terre ». De plus, on demandait un petit centre de ressources: vidéos, matériaux, livres, bulletins, etc., et l’embauche d’une répondante diocésaine à temps partiel.
D’autres propositions concernaient des cas particuliers, soit: une meilleure rémunération des travailleuses dans les paroisses, une politique d’aide aux épouses des prêtres qui sont devenues veuves ou ont subi le divorce, etc. Il a même fallu trouver le moyen de s’assurer que la présidente du groupe puisse être déléguée par un prêtre afin de faire partie du Synode et de pouvoir présenter le dossier! Le débat, vif et cruel, dénonce les féministes dans la salle, ignore l’appel des Églises à la solidarité mais finit pas s’éteindre et les résolutions sont adoptées…
Deux ans plus tard, on s’est créé des réseaux, on se parie entre femmes et, à l’occasion, il y a des lueurs d’espoir. Le nouveau Conseil diocésain, sous la direction d’un nouvel évêque à Montréal, alloue une soirée entière à sa réunion de « lac à l’Épaule » de décembre et appuie les revendications féministes ainsi que le besoin de solidarité hommes-femmes dans l’Église. Des moyens concrets sont élaborés et feront l’objet d’une discussion ultérieure. Ce fut un moment rempli d’émotion puisque cette rencontre avait lieu quelques jours avant l’anniversaire du 6 décembre…