Le successeur Giancarlo Zizola.
Traduit de l’italien par Philippe Baillet.
Paris, Desclée de Brouwer, 1995.
Giancarlo Zizola nous aide à dissiper les secrets de à fumée blanche, promet l’éditeur dans sa présentation du livre de ce journaliste italien, observateur attentif des milieux vaticans depuis de nombreuses années. En vérité, H fait beaucoup plus que cela. Le titre de l’ouvrage et l’allusion à la fumée blanche qui vient annoncer au monde l’élection d’un nouveau pontife ne doivent pas nous donner à penser que l’intérêt de l’auteur porte uniquement sur des pronostics plus ou moins savants sur la personnalité du prochain chef de l’Église catholique.
Zizola n’a rien de Nostradamus, mais tout d’un fin limier, bien au fait de tout ce qui se trame au Vatican en matière d’alliances politiques, fondées sur des calculs où la préoccupation évangélique et le devoir pastoral cèdent parfois le pas aux exigences d’une très humaine diplomatie. Si le catholicisme est une religion, le Vatican est un État. L’auteur excelle à nous montrer tous les tenants et aboutissants de cette paradoxale situation, et il ne manque pas non plus de nous déceler les pièges et les risques de confusion entre la religion sacrement de salut et instrument de pouvoir, pour reprendre l’expression de Bemhard Hâring. Une dissociation entre ces deux fonctions de l’Église catholique pourrait, de surcroît, paver la voie de l’oecuménisme, ce qui ne serait pas un profit négligeable.
On trouvera, dans cet ouvrage remarquablement documenté, une galerie de portraits des membres du lobby hiérocratique qui détient un immense pouvoir au Vatican, de Jean-Paul I et de quelques papabili, en plus d’une analyse de l’état de l’Église sur tous les continents.
Dans ses scénarios pour l’avenir, Giancarlo Zizola avance qu’il faudrait repenser, pour les réduire, les fonctions pontificales trop lourdes et trop diverses pour un seul homme. Vatican II avait laissé espérer une décentralisation des pouvoirs, sous le dernier pontificat, particulièrement, c’est l’inverse qui s’est produit. Après bien d’autres, il estime aussi que l’Église devrait se sortir de son maximalisme ecclésiocentrique pour se tourner résolument vers le monde et les pauvres de ce monde. L’Évangile ne l’appelle pas à la diplomatie, mais au prophétisme, pour sauver l’être humain et la terre. Une Église convertie, voilà l’espérance. Zizola, le chrétien, l’a compris et le rappelle avec vigueur, clarté et conviction, en allant jusqu’à suggérer l’abolition de la structure monarchique et la renonciation à tout recours au privilège de l’infaillibilité.
Si les complexités de la géopolitique vaticane vous intéressent, courez acheter ce livre. Si vous aimez croire que c’est le Saint-Esprit qui préside au choix du successeur de Pierre, évitez de lire cette analyse fouillée de tout ce qui se trame à la Curie, entre les cardinaux et dans les nonciatures apostoliques avant et pendant les conclaves.
Si vous vous sentez atteintes d’une poussée de fièvre anticléricale, à la suite des derniers coups portés par la Congrégation pour la doctrine de la foi à votre rêve d’une Église où les femmes soient traitées comme des fidèles égales aux hommes, gardez-vous d’ouvrir ces pages, elles pourraient provoquer une grave recrudescence de votre mal. Peu de prélats vous permettront d’espérer une amélioration de votre statut d’éternelles subordonnées. Quant à moi, ma curiosité naturelle l’a emporté sur toutes mes autres considérations. Je n’ai pas toujours été édifiée par ce que j’ai appris : derrière la fumée blanche, au milieu de la pourpre cardinalice, il faut bien ouvrir l’oeil si on veut apercevoir l’Esprit, il se glisse assez péniblement à travers la masse des éminences grises.
Et pourtant, au dire de l’auteur, à qui on ne peut guère reprocher beaucoup de complaisance dans le tracé des portraits de tous ces ecclésiastiques qui gouvernent l’Église, non seulement peut-on trouver parmi eux des hommes brillants et savants, mais aussi des saints. Pour reprendre la formule de Torquemada, après l’avoir dépouillée de toute fanatique violence, laissons à Dieu le soin de reconnaître les siens.
MARIE GRATTON, MYRIAM