« ROMANS DE FILLES » ET « ROMANS DE GARS » LE POINT DE VUE D’UNE LECTRICE

« ROMANS DE FILLES » ET « ROMANS DE GARS » LE POINT DE VUE D’UNE LECTRICE

Monique Hamelin, Vasth

On m’avait demandé d’écrire – du point de vue d’une lectrice – sur les romans de filles, romans de gars. Lectrice vorace, je pensais que ce serait facile, enfin relativement. J’ai dit oui… En travaillant et retravaillant mon texte, j’en suis venue à questionner les sous-entendus derrière le titre.

Est-ce que les romans de filles sont un genre mineur et les romans de gars, un genre majeur ? Est-ce que les romans de gars s’adressent à l’Homme, donc aux hommes et aux femmes ? Ou bien, est-ce que les romans de gars impliquent un certain style, disons plus paillard ? Est-ce qu’il y a des écritures de femmes et pour qui ? Et une écriture d’hommes pour hommes ou pour l’Homme ?

Et vous, lectrice-lecteur de cet article, vous est-il arrivé de lire un roman et de vous dire – « C’est un roman de filles ! » « C’est un roman de gars ! » « Ce personnage est là pour plaire aux hommes. » Ou encore : « Jamais des femmes n’auraient réagi ainsi. » « Jamais des femmes n’auraient écrit une telle chose. » Si de telles pensées vous animent, c’est que d’une certaine manière vous questionnez ce métier d’écrivain, d’écrivaine et ce qu’on vous raconte.

Pourquoi écrivent-ils ou écrivent-elles ? Écrit-on pour un public en particulier ou parce que l’on a quelque chose à dire et que cela pourrait s’adresser à l’un ou l’autre sexe ou quelquefois aux deux ? Choisit-on d’écrire un roman de filles, un roman de gars ?

Dans Lettres à un jeune poète, Rainer-Maria Rilke avise le jeune poète qui lui demande conseil :

Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ?1

Virginia  Woolf quant à elle donne les conditions d’écriture pour les femmes : « …pour écrire de la fiction, une femme doit avoir de l’argent et une chambre à soi… »2

Sur le processus d’écriture, Woolf note dans son journal : « Quant à mon prochain livre, je vais me retenir de l’écrire jusqu’à ce qu’il s’impose à moi, jusqu’à ce qu’il soit lourd dans ma tête comme une poire mûre, pendante, pesante, et demandant à être cueillie juste avant qu’elle ne tombe. »3

Marguerite Yourcenar dans ses entretiens avec Matthieu Galey, rappelle que : « J’ai toujours écrit mes livres en pensée avant de les transcrire sur le papier, et je les ai parfois même oubliés pendant dix ans avant de leur donner une forme écrite. »4

Si nous voilà un peu renseigné sur ce qui anime un grand poète ou une grande écrivaine, sur les similitudes, d’autres pourraient monter un dossier sur les oppositions. Mais si nous restons dans le monde de ceux et celles qui écrivent parce que cette écriture vient de l’intérieur, le besoin d’écrire et la force de l’écriture sont semblables mais ne s’exprimeront sans doute pas de la même manière, ni ne s’attarderont aux mêmes éléments de la vie. Il en va de même pour la lecture. Dans un même roman, un homme, une femme ne s’attarderont pas aux mêmes choses. Le regard des unes et des uns diffère.

Gilles Archambault dans une de ses chroniques5 parle de la sensibilité exacerbée chez deux écrivaines et même si « de prime abord, (elles) ne m’interpellent pas, (elles) m’ont retenu plus qu’il n’est raisonnable. Pas question pour moi de le déplorer. Évidemment. » Donc, une écriture féminine n’interpelle pas nécessairement l’autre sexe mais, sont-ils happés par une lecture, ils sont surpris de s’y laisser prendre !

Qu’en est-il des romans policiers, un genre souvent que d’aucunes, d’aucuns considèrent comme mineur ?  Parmi les romancières des temps modernes, Donna Leone a créé un inspecteur Brunetti, le faisant vivre dans sa famille, dans sa relation de couple, avec ses ados, se débattant avec des problèmes éthiques, pris dans les zones grises et devant garder le cap. Si les meurtres sont là, présents avec toute la violence qui surgit au moment où l’on s’y attend le moins, tout n’est pas là. La vie est aussi ailleurs que dans le boulot. Kay Scarpetta, la création de Patricia Cornwell, voit son boulot interférer dans toutes les sphères de son intimité. Là aussi, la violence est présente, très présente, omniprésente. Si le Brunetti de Donna Leone sait plaire aux lecteurs et lectrices, j’en suis moins certaine pour le personnage de Kay Scarpetta. Tout tient sans doute à la manière de décrire les amours de la vedette.

Les inspecteurs Bosch, Wallender et Rebus – des écritures masculines de Michael Connely, Henning Mankell et Ian Rankin sont lus par des hommes et des femmes. Aucun doute, ces romans ne sauraient être qualifiés d’écriture de femme. Pourquoi ces mots me viennent-ils à l’esprit ? Pourquoi un tel succès chez ces romanciers ? Le succès vient-il du fait qu’on y retrouve un héros qu’on aimerait côtoyer ? Est-ce là le succès auprès des lectrices ? Bosch, Wallender et Rebus connaissent des amours malheureuses, des relations difficiles avec leurs proches – amante ou fille. On nous présente la vie ordinaire d’un travailleur qui se bat avec le sens de sa vie. Rien qui ne saurait déplaire aux lectrices et lecteurs.

Yourcenar a mis au monde deux grands personnages : Hadrien et Zénon. Ces romans m’ont marquée mais je ne peux qualifier l’écriture comme une écriture féminine. Je ne la qualifierais pas non plus d’écriture de gars ou d’Homme.

C’est en relisant Annie Leclerc6 que des pistes sont apparues pour répondre à la question romans de filles – genre mineur ou pas ? Annie Leclerc nous dit :

Toute femme qui veut tenir un discours qui lui soit propre ne peut se dérober à cette urgence extraordinaire : inventer la femme. (p.8)

Nous avons fait les enfants, et eux, ils ont fait l’Homme. » (p.10) « Un homme parle au nom des Hommes. Une femme, au nom des femmes. (p.11)

Tout ce qui était nôtre sans être vôtre vous l’avez converti en souillure, en douleur, en devoir, en chiennerie, en petitesse, en servitude.(p15)

Si on considère le cours de l’histoire, les écrits des femmes sont récents. C’est au cours des derniers siècles qu’ils se sont faits plus présents et ce n’est que plus récemment que les femmes disposent du temps, de l’argent et d’une chambre à elle pour que cette écriture prenne forme plus facilement. Des femmes d’ici et d’ailleurs ont même pensé utiliser un nom de plume masculin pour être lues, pour percer comme écrivaine. Quant à la piste proposée par Annie Leclerc d’inventer la femme, d’inventer l’écriture féminine, de dire les paroles des femmes, alors là, nous sommes dans l’histoire actuelle. L’écriture va surgir de l’intérieur. Cette parole que les femmes s’autorisent à prendre, à écrire, à dire, elle parle de leur expérience, des nôtres. Nous nous reconnaissons, nous lui donnons toute sa valeur, toute la place qui lui est due. Merci aux mouvements de libération des femmes qui ont permis l’éclosion de ces paroles, de ces écritures féminines.

1. Rilke, Rainer-Maria. Lettres un jeune poète. Les Cahiers Rouges – Éditions Bernard Grasset 2005. Édition originale :1937.  Traduction de l’allemand par Bernard Grasset et Rainer Biemel. p. 23
2. Woolf, Virginia. A Room of One’s Own. Traduction libre.
3. Woolf, Virginia. Virginia Woolf – Journal d’un écrivain. Bibliothèques 10/18. pp. 221-222 (mercredi 28 novembre 1928.
4. Yourcenar, Marguerite. Les yeux ouverts – entretiens avec Matthieu Galey. Le livre de poche. p. 218.
5. Archambault, Gilles. La Presse 21,22 juin 2008 – La petite chronique – Écritures de femmes Jean Rhys et Charlotte Brontë deux créatrices à la sensibilité exacerbée.
6.Leclerc, Annie. Parole de femme. Bernard Grasset. Paris. 1974.