LA COLÈRE CHEZ LES THÉOLOGIENNES FÉMINISTES

LA COLÈRE CHEZ LES THÉOLOGIENNES FÉMINISTES

Monique Dumais, Houlda

Ma recherche s’effectue chez des théologiennes et penseures américaines. C’est pourquoi je garderai parfois le texte en anglais pour en préserver toute la saveur, surtout qu’il s’y trouve des jeux de mots difficiles à traduire en français.

Chez Mary Daly, Webster’s First New Intergalactic WICKEDARY of the English Language, Boston, Beacon Press, 1987.

Il s’agit d’un dictionnaire pour les sorcières Wickedary (dictionary for Witches), où la construction se fait par réseaux ou toiles comme un tissage, web –webster, weaving.

Dans la toile 1, on trouve:

Fury : righteous Female Rage ; focused Gynergetic will to break through the obstacles that block the flow of Female Force ; Volcanic Dragonfire ; Elemental breathing of those who love the Earth and her kind, who Rage against the erasure of our kind.  See Rage, Furies, (p. 76)

Rage : une action violente des éléments, comme le vent ou la mer, une tempête furieuse. Exemple d’une rage correcte : celle  de Célie dans The Color Purple d’Alice Walker (p. 91)

Dans la  toile 2, Fury, Furie est la femme étrange qui agit comme une agente pour les furies divines ; c’est la femme étrange qui vole avec les ailes d’une rage correcte (Righteous Rage)

Dans le Dictionary of Feminist Theologies, dirigé par Letty M. Russell & J. Shannon Clarkson, Louisville, Kentucky, Westminster John Knox Press, 1996.  Le thème Anger/wrath, p. 8-9) est rédigé par Beverly Wildung  Harrison (elle a été une des personnes directrices de ma thèse doctorale).

Dans un premier temps, elle souligne que les discours théologiques chrétiens affirment dans leur logique religieuse patriarcale que la colère divine est invariablement correcte ou justifiée devant l’idolâtrie religieuse humaine ou l’infidélité morale. Par contre, la colère humaine est considérée comme suspecte, dangereuse moralement pour  toute personne chrétienne. Elle s’attaque à la fois aux pouvoirs humains du discernement rationnel et à l’amour du sacrifice de soi qui était estimé au IVe siècle comme la plus haute vertu de la vision chrétienne de la vie morale. Classée comme un péché capital, la possibilité d’une colère humaine correcte était complètement écartée.

Les théologies féministes apportent une reconfiguration dans les relations humaines et divines et dans la manière dont sont conçues les vertus humaines morales et théologiques. Les féminismes libéraux et radicaux sont différents, mais tous s’accordent pour dire que la colère n’est pas seulement une disposition, mais aussi une dynamique relationnelle. Il ne s’agit d’aucune façon de la considérer comme le péché capital de la tradition classique, ni d’affirmer que l‘expression de nos passions, incluant la colère, est mauvaise.

Dans les reconstructions féministes du sens religieux et moral de la colère en lien avec les approches centrées sur le corps (body-centered) de la psychologie humaine, la colère est reconnue comme une façon d’expérimenter comme femmes notre énergie incarnée (embodied). C’est une réponse centrée sur le corps. Cependant, l’oppression ou la domination peuvent nous empêcher d’expérimenter pleinement notre colère. Les féministes reconnaissent que l’abus nous prive de l’habileté à saisir entièrement les signaux du corps et à avoir conscience qu’un pouvoir injuste s’exerce sur nous. Le discernement de notre colère et la conscience de sa légitimité comme une réponse physique saine sont des conditions nécessaires pour survivre et être capable de résister à l’oppression.  La colère se révèle un signe de santé.

Du côté de l’interaction humaine avec le divin, les féministes encouragent une lutte profonde avec Dieu et un appel aux personnes croyantes d’exprimer et ritualiser leur colère envers Dieu. Devant la souffrance humaine et la perte du bien réel à cause du mal qui sévit, nous devrions être fâchées. « Le mystère divin n’exige pas la passivité. » Ainsi notre spiritualité en sera d’autant plus vraie.

À cet effet, le livre de Lytta Bassett, théologienne suisse, Sainte colère  (Éditions Bayard et Labor et Fides, 2002) donne les colères de Jacob, Job et Jésus comme des moments vivifiants et libérateurs. La colère n’est pas censurée dans la Bible. Elle semble reliée à l’affirmation de l’identité propre des êtres qui l’expriment. Job laisse monter sa colère devant l’injustice et les souffrances qu’il subit et ose interpeller Dieu. Jacob lutte toute la nuit avec un personnage mystérieux, une lutte qui lui permet de trouver une libération des conflits et des manipulations de ses relations familiales. Jésus lui-même affirme ce qui est vrai dans la relation à Dieu pour parvenir au culte réel. Une sainte colère ne cherche pas des boucs émissaires mais ouvre les voies des relations franches et directes.