À propos de la prostitution
Dans « Le mal au féminin », Ivone Gebara aborde la question de la prostitution. Dans son discours interprétatif, elle tente de rejoindre le vécu des femmes dans sa pluralité et sa complexité. Son principal terrain d’exploration est le Brésil.
Elle aborde la question sous trois angles principaux :
1. La prostitution forcée (p.41-45)
2. La prostitution « marchandisée » (p.60-64)
3. La prostitution : porte d’entrée dans le monde des hommes (p.140-142)
La prostitution forcée
(Lien entre pauvreté et prostitution)
Dans cette approche, se prostituer est une question de survie, une décision de dernier recours « quand aucun choix alternatif n’a été possible ». « C’est le plaisir vendu aux autres, pour survivre ».
Il s’agit de vendre son sexe et non son être, précise l’auteure qui ajoute : « Nous savons comment plusieurs femmes gardent leur intégrité personnelle, même si la situation les oblige à trouver des issues qui ne correspondent pas à leur choix profond. Le critère est toujours de garder sa vie ou de sauver la vie de ceux et celles qui dépendent de nous ». C’est ainsi qu’elle nous présente Ruku, femme pleine de rêves, et sa fille, Ira, qui offre son corps (sexe) en cachette pour gagner de l’argent afin de sauver la vie de son petit frère qui meurt de faim.
La prostitution «marchandisée»
(Préséance du commerce sur l’intégrité de la personne humaine)
Dans la section : Le féminin en mal de valoir, la prostitution est présentée comme tourisme sexuel et trafic des jeunes filles. Le corps féminin, devenu marchandise, obéit aux règles d’un marché qui a sa logique propre, liée à la logique d’un système d’exclusion et d’oppression pour les unes au bénéfice des autres.
Dans ce domaine, les femmes ne sont considérées que comme objets de plaisir et ne valent qu’en autant qu’elles se présentent comme une bonne marchandise. L’expérience douloureuse d’être moindre est ressentie vivement dans ces lieux où des jeunes filles, pleines de rêves, se sentent agressées par la réduction de leur corps à une simple marchandise.
Ivone nous révèle quelques-uns des contours de ces lieux de douleur avec toutes leurs ambiguïtés et contradictions, lieux qu’elle qualifie de territoire de plaisir et de mort. Si le corps de la femme est considéré comme un corps objet c’est que, d’une part, il est perçu ainsi par les hommes et que, d’autre part, les femmes ont intégré les structures qui les voient comme inférieures, infériorité légitimée par la culture.
Pour les jeunes femmes prostituées, prises au piège du travail qui marquera toute leur vie, le salut est de trouver quelqu’un qui soit capable de les aimer même si ce désir reste souvent un rêve pour leur vie. Le rêve aide le corps à supporter la souffrance. Le salut c’est aussi des soins médicaux, des droits respectés.
Dans ce commerce, le corps des jeunes femmes devient un lieu de jeux, de fête et de dispute. Tout ceci est vu comme normal, comme naturel, comme faisant partie de la culture et, à la limite, comme une nécessité en vue de la santé des hommes.
La prostitution : porte d’entrée dans le monde des hommes
(Les femmes publiques et le mal)
Cette question, placée sous la rubrique : les femmes publiques et le mal, traite des femmes propriétaires de maisons de prostitution. Ces femmes du « monde public » ce sont des femmes qui sont entrées dans le monde des hommes par divers moyens et pour diverses raisons. Elles servent les hommes et, d’une certaine manière, deviennent presque leurs égales par la compétition, l’usage libre de la sexualité, l’accès au plaisir personnel.
Cependant, même si ce sont elles qui fixent les règles de conduite à ces hommes en se faisant obéir et respecter , elles n’en reproduisent pas moins, dans leurs affaires, la logique de la culture du marché en même temps que le modèle de société qui les exclut et les considère comme des citoyennes de seconde zone.
Les études de l’historienne Margarida Rago montrent qu’au Brésil, au début du 20e siècle, le rôle accordé aux femmes, propriétaires de maisons de prostitution, sont des rôles de femmes d’affaires et que les produits qu’elles vendent ce sont des jeunes femmes qui doivent plaire aux hommes , surtout aux hommes riches parce que ce sont eux les consommateurs et eux par conséquent qui établissent les règles du jeu social.
Dans ce milieu , il n’y a pas de solidarité spontanée entre les femmes même si, de temps en temps, on y rencontre une certaine tendresse et une certaine miséricorde.
Qui dira le vécu de ces femmes ?
Pensons à la jeune Ira, par exemple, qui, pour sauver son frère, va jusqu’à s’offrir aux hommes. Ne peut-on pas dire que son geste est un geste christique ?
Pensons à toutes ces femmes qui, dévalorisées à cause de leur condition économique, assimilent inconsciemment ce manque de valoir (valeur) que la société leur donne en héritage depuis leur tendre enfance.
Pensons aussi aux femmes du « monde public ». Si elles se font obéir et respecter , elles ne reproduisent pas moins dans leurs affaires la logique de la culture et du marché.
Dans ces témoignages, avoue Ivone, ma parole intervient comme une parole marquée par une dimension éthique de dénonciation des maux. Elle est aussi une parole qui cherche la lumière de la justice et de la solidarité.
« Pour nous, femmes, poursuit-elle, qui récupérons notre voix réduite au silence, notre corps réduit au plaisir des autres, il s’impose de vivre des utopies, de cultiver l’espérance au-delà de toute espérance d’être avec d’autres le ferment de nouvelles relations de justice » (p.132)
Yvette Laprise, phoebe
Gebara, Ivone, Le mal au féminin, Réflexions théologiques à partir du féminisme, L’Harmattan Inc.55, rue Saint-Jacques, Montréal, 1999, 250 pages