Bientôt l’Apocalypse ou le bogue de Fan 2000
Révélation m’a été faite, à moi, sempiternelle cancre de l’informatique.
Comme je suis une habituée des lieux (voir mes deux précédentes chroniques), le Ciel avec moi use de prévenances.
Un ange en descendit au milieu des ténèbres de la nuit, et me tendit une de ses plumes, ainsi qu’un petit cahier, et me dit : « Écris, car le temps est proche ». Sa plume était céleste, dans ma main elle devint légère, mais les mots entendus étaient lourds de menaces.
« Malheur ! Malheur ! En vain le monde a-t-il prié pour que sa fuite loin des calamités n’ait pas lieu en hiver ».
« Ô grande cité, Informatique, cité puissante, il suffira d’une heure pour que tu sois jugée. Et les marchands d’ordinateurs et de logiciels pleurent, car on n’achète plus leurs cargaisons sans poser la question fatidique : « Seront-ils bogues le premier janvier de l’an 2000 ? »». En plein hiver, ai-je pensé en frissonnant, tout en continuant d’écrire sous la dictée angélique. « Eh oui ! et toutes les sueurs et les peines qu’ils ont engendrées, et tous les chefs-d’oeuvre qu’ils recèlent dans leurs électroniques entrailles se trouveront-ils à jamais perdus ? Eh oui ! »
« Les avions en ce jour de jugement décolleront-ils ? Non ! Atterriront-ils autrement qu’en catastrophe s’ils ont pris leur envol en 1999 ? Non ! Les ascenseurs vous abandonneront-ils entre deux étages, sans tambourinette, ni harpe, ni flûte, ni trompette, qu’elles soient célestes ou préenregistrées ? Eh oui ! » Enfin, marmonna l’ange : « Je dis non, je dis oui, en vérité Dieu seul le sait et le diable s’en doute, même si le Gouvernement fédéral avec ses dépliants publicitaires cherche en toute ignorance de cause à vous rassurer.
« Malheur ! Malheur ! la grande cité de la santé vêtue de vert, de bandages et de cataplasmes, je te le dis, Marie, il suffira d’une heure pour qu’elle soit surveillent les moindres mouvements des mécaniques corporelles des pauvres mortels : bogues ! Imagine la suite : l’Ange exterminateur va passer…
« De tous les sortilèges qui ont séduit les accros de l’informatique (heureuse es-tu d’avoir échappé à cet engouement) le Ciel fera maison nette. » Tiens, tiens, me suis-je dit, non sans malice, désormais l’artiste devra travailler sans filet. L’ange ajouta : « Alléluia ! Le salut, la gloire et la puissance sont à toi ! Encore in peu de temps, et tandis que le monde se débattra dans un enfer de bogues, tu laisseras courir ta plume (l’une des miennes) en toute liberté. Toutes les sueurs, toutes les larmes qui ont inondé le clavier de ton ordinateur seront enfin vengées ! Vois la terre nouvelle d’où la marée informatique se sera bientôt retirée. Heureuse seras-tu ! À toi la délivrance viendra en plein hiver ».
Une trompette se fit entendre. À ces mots, à ce bruit, prise d’un grand élan, je me jetai aux pieds du céleste messager, et tombai en bas de mon lit.
Réveillée. Dégrisée. Je restai muette, avec un chat dans la gorge. La souris de l’ordinateur familial pouvait danser.
MARIE GRATTON
P.-S. : Cela m’apprendra à ne pas lire les chapitres 1, 18, 19 et 21 de l’Apocalypse, juste avant d’aller dormir.