LA REAPPROPRIATION DE NOTRE CORPS COMME DEMARCHE ESSENTIELLE ET FONDAMENTALE POUR NOTRE LIBERATION ET LA PRODUCTION D’UNE THEOLOGIE FEMINISTE.
Cette proposition est à la fois audacieuse, engageante et vertigineuse parce qu’elle affirme:
– que la réappropriation de notre corps nous regarde chacune d’entre nous personnellement (on ne peut s’y soustraire) et collectivement.
– que chaque femme ne peut faire fi de sa réalité matérielle et corporelle pour s’investir dans une activité strictement intellectuelle.
– qu’il y a des batailles à mener; avant que des idées fassent leur chemin ·dans des livres elles doivent s’enraciner dans une praxis. qu’une théologie féministe n’a de sens que si elle reconnaît l’importance et la place du corps libéré dans son propre discours.
Mais cette proposition, tout en étant difficile, peut s’avérer féconde. Une chose est certaine: il ne sera pas facile de produire une théologie féministe et il faut qu’elle ait le courage de passer par cette conversion au corps pour dire et faire la parole prophétique de libération.
Un slogan souvent répété à l’intérieur des manifestations des femmes dit bien une des aspirations du mouvement: NOTRE CORPS NOUS APPARTIENT, PRENONS NOTRE VIE EN MAIN. Dès le départ, le mouvement des femmes a saisi avec une réelle acuité l’importance de la libération du corps, corps opprimé, violé, bafoué, nié. C’est ce corps, traversé historiquement par la domination masculine, qui doit renaître, refaire surface. L’ensemble des luttes des femmes: contraception et avortement libres et gratuits, accouchements sans douleur et sans violence (avec la participation réelle des femmes plutôt que d’être sous le contrôle exclusif du pouvoir médical), lutte contre le viol, aide aux femmes battues, self-help, droit au plaisir et aux sexualités autres qu’hétéro (homosexualité), droit à des conditions de travail moins aliénantes etc. montrent avec éloquence que la libération des femmes ·s’inscrit nécessairement dans notre corps, qu’il n’y a pas d' »ailleurs », que le corps est le seul lieu historique où peut prendre forme la libération.
Pour ma part, je suis persuadée que c’est de là que doit partir la théologie féministe. Les luttes de libération des femmes doivent être le point de départ du cercle herméneutique, luttes que nous faisons nôtres et qui interpellent notre foi et foi qui interroge à son tour notre engagement féministe.
Est-il nécessaire de préciser que ce travail de production revient prioritairement aux premières concernées, i.e. les femmes. Nous, femmes, qui luttons pour notre libération et à qui on a refusé concrètement pendant longtemps la possibilité de faire ·de la théologie, avons décidé de prendre notre théologie en main. Les quelques lignes qui précèdent ne sont qu’une amorce que nous avons bien l’intention d’étoffer rapidement. La suite viendra sans doute à l’occasion du colloque de l’été prochain.
No.isy le sec, 15 mars 1978 Marie-Andrée Roy