TRACEY CHEVALIER une œuvre à la mémoire de femmes de caractère
par Monique Hamelin, Vasthi
Si vous consultez le site Web de Tracy Chevalier – www.tchevalier.com – vous y trouverez des notes biographiques touchant le parcours de cette auteure, sa méthode de travail ainsi que les ouvrages déjà publiés ou en cours d’élaboration. Née aux États-Unis, l’auteure vit aujourd’hui en Angleterre. En 1984, elle fait ses études de baccalauréat à Londres où elle prévoit passer six mois. Elle y rencontre l’homme de sa vie et s’installe dans sa nouvelle patrie. En 1993, elle fait une maîtrise en création littéraire et en 2002, âgée 40 ans, elle a trois romans à son actif dont deux sont traduits en français : La jeune fille à la perle et Le récital des anges *. Ces deux romans à caractère historique mettent en scène des femmes fortes qui, pour demeurer maîtresses de leur destin, savent faire preuve de détermination, d’énergie, de ténacité et de volonté.
Une jeune servante au XVIIe siècle
Dans La jeune fille à la perle, son deuxième roman, l’auteure met en scène la servante du célèbre tableau de Vermeer (1632-1675), un peintre qui a laissé une trentaine d’œuvres dont de nombreux et célèbres portraits de femmes. Chez Vermeer, bourgeoises et servantes sont mises en scène dans leurs activités quotidiennes : lire, écrire, faire de la dentelle, jouer de la musique, verser le lait… à l’exception d’une jeune servante – son costume en fait foi – qui porte à l’oreille une perle, bijou réservé à la classe bourgeoise. Ce tableau, sobre, intimiste, d’une grande rigueur de composition, laisse percevoir, dans le regard,. une certaine joie de vivre. Si, dans ce roman, Chevalier se soumet à la mode de placer la peinture au centre de l’univers romanesque, elle le fait avec une maîtrise exceptionnelle. Elle cisèle son roman comme Vermeer un portrait. À la lumière, aux couleurs et à l’ambiance des tableaux, Chevalier répond par la grande poésie de son texte, de ses phrases – en tout cas en traduction française – tantôt en montrant le quotidien de la vie des artisans, tantôt en nous faisant sentir les tensions et les préjugés opposant catholiques et protestants et tantôt en nous dévoilant le cœur d’une Griet naviguant entre un jeune boucher qui voudrait la marier/ son patron – Vermeer – qui la fascine/ un mécène de son patron qui voudrait bien obtenir les faveurs de la belle.
D’aucunes diraient que la vivacité de la domestique serait plutôt un anachronisme, parce qu’il est fort peu probable qu’au XVIIe siècle, une jeune servante ait pu s’exprimer dans des termes aussi féministes. Personnellement, je me suis laissée bercer par la poésie du texte, et je crois qu’il est présomptueux de penser que les revendications de type féministe soient nées avec le féminisme des années soixante.
Le Londres des suffragettes – un début de siècle turbulent
S’il est moins poétique et même à maints égards beaucoup plus tragique que La jeune fille à la perle, Le récital des anges présente, d’une manière très imagée, le récit de la tension qui habite Londres au tournant du 20e siècle. La reine Victoria vient de mourir et une grande partie de la société aspire à la liberté alors que l’autre professe les valeurs traditionnelles touchant particulièrement les questions familiales. Nous suivons donc, de janvier 1901 à mai 1910, les péripéties des Coleman – famille libertaire – et des Waterhouse – famille traditionnelle – à travers la narration des parents (Kithy et Richard Coleman, Gertrude et Albert Waterhouse) et de deux fillettes (Maude Coleman et Lavinia Waterhouse) .
La structure du roman ressemble à ces fenêtres qu’on ouvre en surfant sur le NET. Une fenêtre nous présente sa vision, puis une autre prend la relève.
La force du roman est sans conteste dans les descriptions entourant la rencontre de Kithy Coleman avec la suffragette Caroline Black. Nous suivons l’implication de Kithy dans le mouvement de lutte pour l’obtention du droit de vote des femmes et les impacts qu’elle provoque sur sa vie intérieure, sa fille, son mari, ses relations. Nous la suivons dans son incarcération et dans la préparation de diverses manifestations dont une marche à Hyde Park qui connaîtra des rebondissements dramatiques.
Ce livre nous rappelle que la lutte des suffragettes – tant réelle que fictive – ne s’est pas faite sans heurts. Au Québec, le pacifisme de la Marche des femmes n’a rien eu de commun avec les manifestations de l’époque.
En conclusion
Tant chez Griet que chez Kithy nous retrouvons des héroïnes à taille humaine. Elles ne sont pas des supers femmes. Elles agissent, errent, mais fondamentalement, elles cherchent la voie qui leur permettra d’être elle-même, d’exprimer ce que chacune veut être. La poésie et la force des images, c’est sans doute ce qui nous amène à nous sentir solidaires de ces héroïnes de romans.