JE CROIS MAIS PARFOIS AUTREMENT
Paul Abela Collection Chrétiens autrement Paris, L’Harmattan, 2003, 148 p. par Marie Gratton, Myriam
En m’adressant un exemplaire de son livre tout juste sorti des presses, Paul Abela me dit espérer que je trouverai « opportun de le faire connaître à L’autre Parole », puisqu’on y retrouve « bien des aspects féministes ». On ne se reconnaît jamais trop d’alliés chez les hommes, voilà pourquoi je me fais un plaisir de combler son espoir
.Monsieur Abela est un lecteur de notre publication. Le bulletin du groupe « Femmes et hommes en Église », dont il est membre, a toujours réservé dans ses pages une place à L’autre Parole, et a contribué ainsi à faire connaître dans la francophonie européenne son esprit et ses collaboratrices. Parvis, qui a pris la relève, s’inscrit dans le même sillage, favorable à l’œcuménisme et opposé à toute forme de discrimination.
L’auteur est né en 1921, au Caire, dans une famille chrétienne. Il a vécu toute sa jeunesse en Égypte et au Liban, puis a émigré en France. Il est ingénieur. Sa vie professionnelle l’a amené à beaucoup voyager et à s’ouvrir l’esprit et le cœur devant la diversité des civilisations aussi bien anciennes que contemporaines. Il a aussi multiplié les engagements dans des mouvements syndicaux, socio-politiques, culturels et religieux.
Peut-être faut-il chercher dans ce long et riche parcours la source du courage qu’il faut non seulement pour être chrétien autrement, mais aussi pour exprimer sans faux-fuyants ce que l’on ne peut plus croire et ce que l’on croit devoir être proposé à la foi des catholiques d’aujourd’hui, dans un vocabulaire et dans un cadre conceptuel qui puissent être reçus et compris par nos contemporains.
Paul Abela a été marqué par la pensée de plusieurs auteurs qui ont rêvé d’un renouvellement du christianisme. Il se reconnaît tout particulièrement une dette à l’égard de Maurice Zundel, souvent cité, et de Marcel Légaut. Les questions qu’il pose et les difficultés qu’il éprouve portent sur l’image qu’on présente de Dieu, sur son rôle dans l’histoire, sur notre façon de le prier et de nous décharger sur lui de nos responsabilités, sur notre condition humaine et notre espérance de « vie éternelle ». Il invite par ailleurs l’Église, — qui lui apparaît “prétentieuse” dans l’habitude qu’elle a de fixer à jamais, à coup de définitions dogmatiques, et dans des formules devenues avec le passage du temps complètement archaïques, — à cesser de se juger et de se proclamer seule détentrice de la vérité et unique interprète autorisée de la volonté de Dieu. Il voudrait la voir « repenser la Trinité », présenter « Jésus sans mythe», et considérer “Marie, simplement mère de Jésus”. Il souhaiterait qu’on reconnaisse pour ce qu’elle est, une légende indéfendable du point de vue scientifique, l’histoire du péché originel. Il déplore encore qu’on persiste à faire réciter aux fidèles un Credo dont la formulation est lourdement marquée par un univers culturel qui nous est devenu complètement étranger.
Mais Paul Abela ne fait pas que critiquer ce qui est ; il propose des solutions de rechange pour que le christianisme puisse encore constituer une force d’attraction et une espérance pour le monde d’aujourd’hui. Il propose donc deux « Credo pour notre temps », un premier dit « christocentrique » et un autre qualifié de « concret », mais qui, à mon jugement, dit en des mots simples la même chose que le précédent. Ses réflexions sur le sens de la Cène, et conséquemment sur ce que devraient être nos célébrations eucharistiques, méritent qu’on s’y attarde. Il suggère encore de remplacer les prières de lamentation à un Dieu qu’on redoute par des prières de confiance à un Dieu qui nous aime, mais qui ne nous sauvera pas sans nous.
Les structures de l’Église lui semblent archaïques et désuètes. Il rejoint parfaitement ici, à n’en pas douter, les perspectives féministes. Il estime que la division clercs/laïcs a fait son temps et que des femmes et des hommes, soigneusement préparés à jouer ces rôles, devraient assumer les divers services qu’exigent la constitution et l’animation d’assemblées chrétiennes à taille humaine, où l’on retrouverait le sens profond et originel du partage du pain et du vin.
Évidemment, Je crois mais parfois autrement remet beaucoup de choses en cause. Cet essai risque donc de déranger les personnes qui n’aiment pas avoir à repenser leur foi et leur espérance. Il dit toutefois tout haut et d’une manière longuement réfléchie ce que bien des catholiques pensent tout bas. Voilà donc un livre, accessible à un large public, que son auteur a eu raison d’écrire et qui mérite d’être lu et médité. En prime, les féministes y rencontreront un ami, un allié.