Des organisations féminines font le procès de la justice
par Evens Dubois
(extrait du journal Le Nouvelliste, de Port-au-Prince, mercredi le 25 novembre 1998 [no 35604] et retransmis sur internet).
La Justice au pilori
Nul décor ne pouvait mieux convenir devant le Palais de Justice. Trente-deux organisations féminines ont monté au pilori la justice en instruisant son procès ce 25 novembre, journée internationale contre la violence faite aux femmes. Elles ont érigé un tribunal pour juger la justice coupable de pratiquer une justice à visage variable aux dépens de la gente féminine. À l’issue de ce procès, elles ont conclu que la justice est fautive. Une marionnette la symbolisant a été mise derrière les barreaux d’une réplique de cellule montée sur un véhicule
Par cet acte symbolique, les trente-deux organisations féminines entendent attirer l’attention sur le mauvais fonctionnement de la justice, les magouilles qui y pullulent. Magalie Marcelin, l’une des initiatrices de ce procès spectaculaire, a confié au Nouvelliste que les femmes sont très méprisées dans leurs droits les plus élémentaires. Elle cite les cas des femmes violentées par leurs maris ou concubins qui essuient moult quolibets quand elles vont porter plainte. Dans d’autres cas, certains juges de paix réclament de l’argent ou d’autres faveurs en nature pour accomplir leur devoir légal. Toutefois, Magalie Marcelin note le cas d’un violeur d’une mineure mis en prison grâce à la ténacité de la juge d’instruction Lise Pierre. Une goutte d’eau dans l’océan, soutient-elle.
Le suivi des conclusions du tribunal international de 1997
Les trente-deux organisations féminines entendent également assurer le suivi des conclusions du tribunal international contre la violence faite aux femmes tenu à la capitale, les 25, 26, 27 novembre 1997. Une année plus tard, les victimes de violences conjugales commencent à délier leur langue. Elles refusent de pratiquer 1 a loi du silence comme cela a été le cas. Elles utilisent tous les moyens pour témoigner de leur situation.. Avant le tribunal international, les femmes étaient peu nombreuses à fréquenter les organisations féminines comme « Kay Fanm » pour porter plainte pour mauvais traitement et abus. Mais, une année après, les données ont changé. Vingt femmes, en moyenne, viennent déposer par mois…. Elles parlent des viols dont elles ont été l’objet. Elles sont très nombreuses à se rendre dans une clinique médicale destinée aux femmes violentées. Signe d’encouragement, certaines communautés commencent à réagir quand une femme est victime d’un acte de violence…. Les organisations féminines ont noté aussi que d’autres groupes non-féminins commencent à agir pour combattre la violence faite aux femmes comme, par exemple, Justice et Paix des Gonaïves et la Police nationale.
Négociations avec le parlement
Depuis mars 1998, trente-deux organisations féminines ont constitué un collectif pour mener des négociations avec le Parlement en vue de modifier certains articles du Code pénal, véritablement discriminatoires vis-à-vis des femmes. Ce comité a déjà travaillé sur trois catégories de lois :
• Le changement dans les conditions de travail des bonnes et des domestiques. La loi a pour obligation de considérer cette catégorie.
• La criminalisation du viol. Le viol doit être considéré comme un crime et non comme un crime contre l’honneur.
• La décriminalisation de l’avortement. L’interruption volontaire de grossesse ne doit plus être considérée comme un crime. L’État doit contrôler les conditions dans lesquelles se déroule cette opération. Ainsi de nombreuses femmes auront la vie sauve. …
Après plusieurs mois de travail, le comité a signé une entente avec les parlementaires sur le travail à effectuer avant la fin de la quarante-sixième législature.
Dans ce même ordre d’idées, trois propositions de loi ont été déposées par devant le Sénat de la République. Les pères conscrits ont déjà voté une proposition permettant aux hommes et aux femmes de demander le divorce dans les mêmes conditions. Cependant, le chemin à parcourir est long et sinueux. Les organisations féministes ont indiqué qu’elles ne lâcheront pas prise. Justice doit être rendue aux femmes victimes de la violence.