RELATIONS: UNE PRISE DE PAROLE FORTE POUR LA JUSTICE DEPUIS 75 ANS
Élisabeth Garant
En 1941, de jeunes jésuites — fraîchement formés en sciences sociales en Europe — décidèrent de fonder une revue « engagée socialement, mordant sur l’actualité, largement ouverte sur le monde, et surtout sur la réalité sociale de chez nous » selon Jean-d’Auteuil Richard s.j. qui fut le premier directeur de Relations en 1941. Une orientation à laquelle la revue reste toujours fidèle après 75 ans de publication sans interruption. Sa mission de poser un regard critique sur les enjeux sociaux, culturels, économiques, politiques et religieux de son époque demeure la façon privilégiée de contribuer à la promotion d’une société juste et solidaire.
Ce qui a changé par contre, c’est le ton de la revue qui s’est transformé au fil des décennies ainsi que sa façon d’aborder la question religieuse. Les auteurs de Relations des premières années parlent d’abord et avant tout à des lecteurs catholiques. Ils le font aussi dans une société dont les références chrétiennes sont omniprésentes. La doctrine sociale de l’Église est le cadre dans lequel s’inscrit leur analyse et qui les autorise à dénoncer avec force des injustices intolérables, dont celle des conditions de la classe ouvrière de l’époque.
Au cours des décennies plus récentes, et surtout depuis l’an 2000, la revue s’adresse à un lectorat de plus en plus diversifié dont une partie significative n’a pas ces références religieuses. Tout en étant enracinée dans les valeurs évangéliques, Relations s’est adaptée à cet univers séculier et a développé un réseau de collaborateurs et de collaboratrices qui s’identifient à la revue d’abord par leur engagement pour la justice sociale. Les textes et les œuvres d’art qui illustrent Relations parlent de l’importance d’une dimension de transcendance au monde et à nos vies. Elle apprend à dire, avec des mots recevables pour la société d’aujourd’hui, la contribution chrétienne à cette lutte pour la justice, pour la dignité humaine et pour des rapports politiques non conditionnés aux logiques économique et financière.
Au fil des époques, par ailleurs, la revue a multiplié les articles et les prises de position critiques par rapport à l’Église institution, refusant de garder le silence sur les injustices qu’elle dénonçait par ailleurs au plan sociopolitique. L’enjeu du patriarcat dans les traditions religieuses revient régulièrement. La revue donne la parole à des femmes tenaces qui refusent l’inégalité de traitement des femmes, notamment en regard du non-accès pour les femmes à tous les ministères dans l’Église catholique, et qui témoignent d’expériences spirituelle, communautaire et sociale enrichies par leur vécu de femmes. Les femmes de L’autre Parole sont régulièrement mises à contribution et la collective contribue à nourrir les femmes qui œuvrent à la revue ou dans ses comités.
Bien qu’étant la revue d’une communauté religieuse masculine, dès le premier numéro on trouve le texte d’une femme et la condition des femmes est un sujet constant de préoccupation. Mais c’est en incorporant davantage de femmes dans la vie de la revue (son personnel, ses comités, ses auteurs et sa direction) que celle-ci regarde le monde, l’analyse et s’y engage à partir de la contribution réelle des femmes, de leurs expériences et, progressivement, de leurs féminismes. Ce qui mobilise le mouvement des femmes trouve maintenant son écho dans la revue qui veut appuyer par ses textes l’émergence d’un féminisme pluriel prenant forme au Québec depuis la Marche mondiale des femmes et contribuant à rendre nos luttes collectives plus inclusives. Un défi que nous avons aussi en partage avec nos complices de L’autre Parole.