VENTS EN RAFALES
Taslima Nasreen, Vents en rafales Récit. Traduit du bengali par Philippe Daron. Paris, Philippe Rey, 2003, 379 pages.
Monique Dumais, Houlda
Vous avez peut-être déjà entendu parler de cette jeune femme rebelle du Bangladesh, qui n’a pas craint de défier la loi musulmane. En effet, en 1994, après la publication d’un article où elle critiquait le Coran, elle a été l’objet d’une «fatwa» – condamnation à mort -, émise par des mollahs extrémistes.
Elle s’est, par la suite, exilée en Suède où elle poursuit son œuvre dans laquelle elle ne cesse de dénoncer les conditions sociales des minorités et des femmes musulmanes. Odile Tremblay dans Le Devoir a d’ailleurs intitulé son article au sujet de son dernier livre: «Écrire sous la fatwa», ( 6-7 décembre 2003, p. F 10).
Vents en rafales est le récit de Taslima qui nous raconte avec hardiesse les terribles épreuves d’une vie d’adolescente et de jeune universitaire au pays du Bangladesh. Ce livre est le deuxième tome de sa trilogie autobiographique, le premier étant Mon enfance au féminin. Nous devinons facilement que ces livres sont bannis des librairies de son pays d’origine; elle est même poursuivie en diffamation par l’écrivain Syed Shamsul Haque qui s’est reconnu dans un de ses personnages. Taslima nous plonge dans un monde où un père tyrannique tient toute la place, bat sa mère jusqu’au sang, contrôle constamment ses filles en surveillant leurs lettres, leurs relations, leur temps donné aux études. Les interdits foisonnent particulièrement pour Taslima qui ne rêve que de se consacrer à la poésie alors que le père, médecin, veut que sa fille étudie aussi en médecine. La liberté devient pour elle une quête ardue, très risquée dans ce monde musulman. L’audace ne manque pas à Taslima qui publie à dix-sept ou dix-huit ans Sejuti, une revue de poésie, au grand désespoir de son père qui cesse de lui parler et de lui donner de l’argent (p.112). Elle devient le centre d’un réseau poétique: de nombreux poèmes lui arrivent: «Je veux faire du monde entier un monde de poésie» (p. 119) Elle est ainsi en contact avec des hommes écrivains, un d’entre eux s’attache particulièrement à elle, le fameux Rudro. Mais elle déclare qu’elle ne veut pas se marier. Et pourtant, Rudro lui fait signer en cachette et en vitesse un formulaire de mariage à l’âge de 19 ans. Il retourne dans sa ville de Dahka et Taslima et lui vivent séparément pendant trois années comme si rien ne s’était passé. Après bien des résistances, elle vivra sa première nuit avec Rudro qui doit se battre avec elle pour la toucher et avoir une relation sexuelle, une nuit de cauchemar dit-elle, qui se répétera, et pourtant, elle aime Rudro. Attirance et refus ne cessent de se côtoyer. Il y a cependant rupture, quand Taslima constate que Rudro lui a transmis une maladie contractée chez des prostituées qu’il fréquente assidûment. Mais l’amour est fort et les poèmes de Rudro surtout ont un impact considérable. «L’amour de Rudro m’a fait revenir. Rien d’autre. Je m’avoue vaincue devant son amour. J’avais voulu le détester de toutes mes forces mais je n’ai pas pu. Chaque mot de son poème a balayé ma volonté comme de la poussière.» (p. 282) Les ruptures se succèdent et les retours aussi. La dernière page du récit livre le coup fatal. «Mais Rudro continue de s’enivrer de cigarettes, de haschisch, de femmes, d’alcool. Moi dont la seule passion est Rudro, j’essaie de m’en libérer. De son côté, Rudro déclame en titubant:
Tu es mon désastre vivant,
J’ai besoin de toi.
Où que j’aille, où que je me retourne,
Vers les souvenirs ou vers l’avenir,
J’ai besoin de toi maintenant.
Non, Rudro, je ne vis pas pour être le désastre vivant de quelqu’un. Je ne peux abandonner ma vie pour être le désastre d’une autre. J’ai pitié de toi, Rudro, mais j’ai encore plus pitié de moi…» (p. 376)
Un chapitre est consacré aux femmes. Elle affirme: «la condition de la femme ne cesse de me faire réfléchir.» (p. 295) Et pour cause, Taslima est constamment sous surveillance, séquestrée en quelque sorte, punie pour tout acte d’affranchissement; sa mère a vécu une vie d’esclave, constamment au service de son père, de ses fils et de ses filles, où tous ses désirs sont anéantis. La tendresse de sa mère demeure, même après sa fugue de la maison. Elle déclare d’ailleurs: «maman, cela veut dire celle qui comprend tout, celle à qui l’on n’a besoin de rien dire…» (p. 325). La sécurité cependant terrifiante existe à Sans-Souci (c’est le nom de la résidence de Taslima) «Sans-Souci est entouré de hauts murs surmontés de morceaux de verre coupants, rehaussés d’une clôture de fer barbelé.» (p. 325)
Médecine ou poésie? telle sera la constante question de Taslima. Elle avoue: «Écrire de la poésie procure une joie solitaire, mais la médecine permet de donner du bonheur à des milliers de femmes.» (p. 330) Aujourd’hui, c’est par l’écriture qu’elle rejoint des milliers de femmes et que nous sommes soutenues par l’ardeur de sa vie combative. L’écriture de ce livre est étonnante, elle est nourrie d’images poétiques, mais le style est parfois abrupt. Un livre captivant, qui n’est pas de tout repos pour l’été.