L’ASSEMBLÉE DES FEMMES AU FORUM SOCIAL MONDIAL DE 2011
Denise Couture, Bonne Nouv’ailes
Un phénomène notable s’est produit au Forum social mondial qui s’est tenu à Dakar du 6 au 11 février 2011. Les groupes multiples – tels le Forum des luttes féministes africaines et les organisations féministes internationales – ont visé à s’entendre sur des textes communs de convergences comme jamais auparavant dans de tels forums. Il s’agissait d’un objectif délibéré et partagé, qui fut préparé par un travail de concertation qui a duré souvent des mois avant la tenue du Forum.
Ainsi, près de quarante « Assemblées de convergence pour l’action » se sont tenues au cours des deux derniers jours du Forum social mondial sur des thèmes tels « Le droit d’informer et d’être informé », « Pour la libre circulation des personnes », « L’assemblée des mouvements sociaux » (qui a réuni 3 000 personnes le 10 février et le texte proposé fut adopté), « Rio+20 », « Défis des crises pour les petits paysans africains », « Le chantier de l’économie sociale », et plusieurs autres.1
L’Assemblée des femmes
Les 10 et 11 février 2011 se sont tenues les rencontres de l’Assemblée des femmes2. Deux grappes d’organismes ont engagé les discussions. D’une part, le Forum des luttes féministes africaines avait produit une « Déclaration finale », datée du 4 février 2011. Le texte dénonce « les trois systèmes d’oppression que sont le patriarcat, le capitalisme et le racisme » qui conduisent à la pauvreté des femmes et à la violence subie par elles. Il présente un point de vue résolument africain en ce qui concerne la promotion de la vie des femmes. Il demande la fin du « système dette », le processus démocratique et la « libre circulation des personnes » (voir le texte à la page 15-16). Et d’autre part, une trentaine d’organisations féministes internationales, animée par des responsables de la Marche mondiale des femmes, présentait une « Lettre de solidarité à la lutte des femmes du monde »3, le texte proposé pour la convergence de l’Assemblée des femmes.
Il serait intéressant d’analyser avec plus d’attention les différences de perspective entre la Déclaration des femmes africaines et cette Lettre, cette dernière mettant en particulier un accent sur la protection de l’intégrité corporelle et des droits sociaux des femmes. Ces groupes arrivaient à une entente, mais, comme rapporté dans une dépêche électronique de la Marche mondiale des femmes : « Malgré les efforts déployés, il n’a pas été possible de conclure le débat sur une déclaration commune, car un secteur minoritaire, mais très actif, à l’Assemblée, s’opposait à la mention au droit à l’autodétermination pour les femmes saharauies. Plusieurs organisations présentes à l’Assemblée ont décidé de diffuser ce contenu dans la forme d’une Lettre signée. »4
Conclusion
Il ne faut pas interpréter ce fait comme un échec, mais retenir deux points principaux. D’abord, il faut noter le phénomène de l’internationalisation des mouvements féministes de la base ainsi que la pratique qui lui est associée d’échanges fructueux entre eux. Le Forum social mondial devient un lieu de cette rencontre. Celui de Dakar a fait ressortir comment la Marche mondiale des femmes y joue un rôle significatif. Ensuite, on peut souligner la capacité de ces organisations de soutenir la diversité des pratiques féministes tout en favorisant une forte solidarité mondiale. Ce défi rejoint celui du Forum social mondial et des pratiques altermondialistes. Il serait intéressant d’analyser la contribution féministe à cet enjeu, entre autres son attention à la vie quotidienne. La lutte féministe se produit concrètement dans la vie de chaque femme, liée aux autres femmes.
1. On trouve la liste des trente-huit assemblées de convergence sur le site Internet du Forum social mondial, page datée du 3 février 2011 : http://fsm2011.org/fr/actualite/38-assemblees-de-convergence-pour-laction. [consulté le 2 avril 2011]. Voir aussi une liste de textes présentés lors de ces assemblées, page datée du 25 février 2011 : http://fsm2011.org/fr/actualite/assemblees-de-convergence-pour-laction-0 [consulté le 2 avril 2011]. Pour un reportage sur les assemblées de convergence, voir l’article de David Millar, « Survol des convergences / Closing ‘convergence’ sessions of the WSF », le 14 février 2011, rapdakar.blogspot.com. Cette dernière adresse est celle du blogue de la délégation du CETECQ (Centre de théologie et d’éthique contextuelles québécoises) et du ROJeP (Réseau œcuménique justice et paix) au Forum mondial de théologie et de libération et au Forum social mondial de Dakar.
2. Voir Élise Couture-Grondin et Denise Couture, « La Convergence des femmes au Forum social mondial » [texte et vidéo], le 15 février 2011, rapdakar.blogspot.com.
3.Texte que l’on peut consulter à l’adresse qui suit : http://www.marchemondialedesfemmes.org/alliances_mondialisation/cmicfolder.2005-03-02.3713067089/femmes-dakar2011/fr, [consulté le 2 avril 2011].
4. http://www.marchemondialedesfemmes.org/news/mmfnewsitem.2011-02-24.8767848536/fr [consulté le 2 avril 2011].
DÉCLARATION FINALE
DU FORUM DES LUTTES FÉMINISTES AFRICAINES
Kaolack, le 4 février 2011. En vue du Forum Social Mondial de Dakar, Nous, femmes des mouvements sociaux réunies à Kaolack le 4 février 2011 à l’occasion du Forum des luttes féministes africaines,
Constatant les effets dévastateurs des crises financières, économiques, sociales, écologiques et migratoires sur la vie des femmes,
Constatant que les femmes sont les premières touchées par les impacts de ces crises,
Constatant que le système capitaliste est incapable de garantir les droits humains fondamentaux,
Conscientes que les trois systèmes d’oppression que sont le patriarcat, le capitalisme et le racisme ont des racines communes et se renforcent mutuellement et que seule une lutte articulée contre eux permettra de rétablir la justice sociale et la prise en compte effective des droits humains fondamentaux,
Dénonçons la féminisation de la pauvreté,
Dénonçons la violence faite aux femmes et aux filles sous toutes ses formes,
Dénonçons avec force les responsabilités des institutions financières internationales, des institutions financières régionales et autres cartels financiers,
Dénonçons les responsabilités des gouvernements au service du capital,
Dénonçons les responsabilités des multinationales,
Dénonçons le « système dette » qui pille les peuples de leurs ressources naturelles, humaines, matérielles et culturelles, qui entrave toute souveraineté et tout développement endogène des peuples et étouffe toute dynamique d’émancipation des femmes,
Dénonçons les politiques migratoires qui violent les droits humains et en particulier ceux des migrantes,
Fortes des luttes féministes, de la solidarité entre les peuples et des mobilisations populaires,
Nous proposons un changement radical comprenant :
-Un système économique et financier au service des peuples et non du profit,
-Un mode de gouvernement démocratique assurant les droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels ainsi que ceux de la Nature, garantissant l’intégrité physique, morale et corporelle des femmes et luttant contre toutes formes de discriminations sexistes,
-L’abolition immédiate et inconditionnelle de la dette illégitime et odieuse avec réparations pour toutes ses conséquences sur la dignité humaine et plus spécifiquement sur celle des femmes,
-L’abolition des frontières et la libre circulation des personnes.
Nous, féministes en recherche de convergences, nous engageons à renforcer les synergies d’action avec les autres mouvements sociaux qui partagent nos objectifs et appelons à nous rejoindre dans cette lutte au Forum Social Mondial de Dakar et au-delà.