LES PÉCHÉS DÉCAPITÉS

LES PÉCHÉS DÉCAPITÉS

Monique Dumais, Houlda

Parlons de ces péchés capitaux. Le mot « capital » vient de caput, tête. C’est ainsi que les péchés capitaux sont considérés comme les plus importants, ceux qui sont à la base de toute conduite mauvaise.

Historique

Le premier à reconnaître un certain nombre de ce qu’il appelait des passions fut Évagre le Pontique, moine mort dans le désert égyptien en 399, qui s’est inspiré de listes moins formalisées d’Origène : Évagre identifia huit passions ou pensées mauvaises (logismoi en grec) et estimait que tous les comportements impropres trouvaient leur origine dans une ou plusieurs de celles-ci :

Gula (gourmandise, gloutonnerie)

Fornicatio (luxure)

Avaritia (avidité, cupidité)

Tristitia (tristesse)

Ira (colère)

Acedia / acédie (Paresse)

Vanagloria (vanité, gloire)

Superbia (orgueil)

Cette liste a été revue par Jean Cassien au Vsiècle, puis par le pape Grégoire le Grand (vers 590), avant d’être définitivement fixée au IVe concile de Latran en 1215 et par Thomas d’Aquin au XIIIsiècle.

Nombre et définitions

Il y a 7 péchés capitaux : l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie, la gourmandise, la colère et la paresse. Ils sont décrits dans le Petit Catéchisme de Québec, comme un dérèglement ou un excès de quelque chose. Il vaut la peine de se rappeler leur définition : c’est toujours une question qui entraîne une réponse.

59. Qu’est-ce que l’orgueil?

L’orgueil est une estime déréglée de soi-même, qui fait qu’on se préfère aux autres et qu’on veut s’élever au-dessus d’eux.

60. Qu’est-ee que l’avarice?

L’avarice est un attachement désordonné aux biens de la terre, et principalement à l’argent.

61. Qu’est-ce que l’impureté? (ou la luxure)

L’impureté est une affection déréglée pour les plaisirs de la chair.

62. Qu’est-ce que l’envie?

L’envie est une tristesse que l’on ressent à la vue du bien du prochain ou une joie coupable du mal qui lui arrive.

63. Qu’est-ce que la gourmandise?

La gourmandise est un amour déréglé du boire et du manger.

64. Quelle est la gourmandise la plus dangereuse?

La gourmandise la plus dangereuse est l’ivrognerie, qui fait perdre la raison, rend l’homme semblable la bête, et souvent le fait mourir.

67. Qu’est-ce que la colère?

La colère est un mouvement déréglé de notre âme, qui nous porte à nous venger, ou à repousser avec violence ce qui nous déplaît.

68. Qu’est-ce que la paresse?

La paresse est un amour déréglé du repos, qui fait qu’on néglige ses devoirs d’état et de religion, plutôt que de se faire violence.

Ces définitions campent clairement le registre des fautes; mais comment nous situons-nous comme femmes dans cet inventaire de péchés?

Lespéchés capitaux, des péchés genrés

Arrêtons-nous à y penser juste un peu. Est-ce que ces péchés sont vécus de la même façon par les hommes et les femmes?  Il m’apparaît qu’il y a un écart entre les deux genres dans les types de fautes, un écart plus visible pour certaines fautes.

Le péché d’orgueil, est-ce un péché de femmes? L’orgueil, la recherche du pouvoir, la domination, ce sont surtout les hommes qui s’y livrent avec empressement. La fierté, l’ambition, l’affirmation de soi, l’estime de soi, ce sont des qualités à cultiver pour les femmes. La faiblesse, la dévalorisation de soi, la créativité cachée sont des péchés de femmes qui sapent leur croissance personnelle et leur contribution significative à la société.

La paresse, est-ce un péché fréquent chez les femmes? Les femmes sont souvent accaparées dès leur enfance pour l’entretien de la maison et l’alimentation quotidienne. Un film documentaire de l’Office national du Canada, Des marelles et des petites filles,  réalisé en 1999 par Marquise Lepage, montre les activités des petites filles dans six pays : la Thaïlande, l’Inde, le Pérou, Haïti, le Yémen, le Burkina Faso. Deux tiers d’entre elles ne peuvent pas aller à l’école, courent à la recherche des moindres fagots de bois, de l’eau tout en s’occupant de leurs plus jeunes frères et sœurs.

L’avarice, on pourrait dire aujourd’hui la fraude, le détournement d’argent, est davantage le fait des hommes que celui des femmes. « L’avarice de BP a causé la catastrophe » titre Le Devoir du 6 janvier 2011, p. A 4.  Les femmes doivent avant tout se battre pour sauver des sous pour la vie de chaque jour pour leurs enfants et pour elles-mêmes. Ivone Gebara montre comment le féminin est en mal d’avoir:

« Ce sont les femmes qui souffrent de façon particulière quand il n’y a pas de quoi manger et boire pour les enfants. Ce sont les femmes aussi qui sont accusées de ne pas nourrir convenablement leur famille. Et c’est encore d’elles qu’on attend les initiatives pour chercher la nourriture et la boisson quand elles manquent. La vie des femmes semble être liée à cet aspect premier ou primaire du maintien de la vie. Par conséquent, le mal d’avoir ou le manque de l’essentiel pour vivre les atteint de façon particulière.»1

Et nous pouvons poursuivre de la même manière notre analyse pour chacun des autres péchés capitaux.

La définition des péchés capitaux sort de la tête des hommes, reflétant leurs passions. Nous savons que la pensée a été retenue et élaborée pendant des siècles par les hommes; les femmes contraintes au travail domestique ont eu peu de possibilités de se livrer aux actes de la réflexion. Virginia Woolf se plaignait dans Les trois guinées que dans la société anglaise l’éducation était réservée aux hommes, eux, ils étaient éduqués, pas les femmes. L’accès au savoir pour les femmes a été et demeure encore toute une saga dans les différents pays et cultures.

Il m’apparaît que les péchés capitaux tels qu’ils sont définis ressortent davantage du domaine patriarcal. Les femmes ne sont pas sans péchés, mais ils sont différents. Ils se situeraient à l’opposé de ce qui est proposé dans les catéchismes : une fausse humilité, un activisme débordant,  un manque d’estime de soi,  un économisme outrancier, une pudeur excessive, un refrènement de ses émotions, etc. C’est ainsi que je propose des péchés capitaux décapités car, du côté des femmes, ils ont perdu leur tête traditionnellement établie. Ils sont à rechercher ailleurs. C’est ainsi que les femmes ont quelque chose à dire pour l’avancement du monde, pour la reconnaissance de l’égalité des hommes et des femmes. Il est dépassé le temps où les femmes étaient pointées comme les premières coupables selon la mythologie de la Genèse. Tous les humains souffrent de leurs limites, d’une faille originelle dans leur  expérience de vie.