L’AUTRE PAROLE SAIT CÉLÉBRER
Célébrer ! Sous tous les cieux, célébrer veut dire accomplir solennellement. Dans le vocabulaire plus spécialisé des religions, c’est procéder à une cérémonie du culte. Célébrer c’est aussi fêter, commémorer un événement. Enfin c’est publiquement et avec force faire l’éloge d’une personne, l’exalter et se réjouir de sa vie et de ses oeuvres.
La militance féministe et l’attachement au message de Jésus ne manquent pas de fournir à L’autre Parole autant de motifs que d’occasions de célébrer. Et elle sait le faire en beauté, avec créativité, dignité et ferveur. Toutes qualités taillées sur mesure pour me plaire, de sorte que je garde toujours de nos célébrations un souvenir ému, durable, et parfois même émerveillé. Avec, à chaque fois, une pointe de joyeux étonnement en voyant avec quelle facilité j’entre dans le jeu, moi dont la famille célébrait très peu et qui me suis toujours sentie singulièrement étrangère aux débordements d’enthousiasme collectif, mise à part une trépidante excitation, le jour de mes 20 ans, alors que j’assistais, pour la première et seule fois de ma vie, à une joute de la Ligue nationale de hockey. Dans ce match des séries éliminatoires, le Canadien avait gagné et Maurice Richard avait compté… Retour au présent et fin de la parenthèse. Pour évoquer les célébrations de L’autre Parole et en dégager à grands traits les principales caractéristiques, j’en ai retenu treize : huit viennent clôturer les colloques annuels de 1989 à 1996, une a eu lieu pour souligner Noël 1993, une autre à l’occasion de la Semaine sainte 1994. Trois autres célébrations ont un caractère un peu plus particulier et sont l’initiative de quelques membres. C’est ainsi que le 8 mars 1996 dans la foulée de la marche du « Pain et des rosés » quelques membres ont choisi de célébrer la solidarité féminine. De son côté, le groupe Houlda a imaginé une célébration féministe en chapelle ardente pour dire adieu à une amie décédée. La journée passée avec Ivone Gebara, invitée à nous entretenir à Montréal sur le thème « rapport de sexe et théologie », s’est aussi clôturée par une célébration.
Les célébrations qui viennent clore les colloques sont toujours liées au thème retenu et intègrent nos productions collectives. C’est dire que nous fêtons non seulement la joie d’être réunies, d’avoir réfléchi, d’avoir approfondi ensemble un problème, une question, le privilège d’avoir confronté nos opinions et nos convictions avec celles des autres et de nous être aussi mutuellement enrichies, mais encore nous nous réjouissons et nous rendons grâce d’avoir pu, par une sorte de « miracle » annuel, produire des petits morceaux de bravoure élaborés avec une foisonnante inventivité, autour d’un thème imposé.
Quand des féministes chrétiennes choisissent de célébrer, deux options s’offrent à elles. Ou bien elles adaptent au féminin le cadre et le contenu des liturgies traditionnelles, quitte à risquer d’être accusées de pratiquer une sorte de mimétisme que certains jugeront presque sacrilège, et symptomatique de frustrations incurables, ou bien elles innovent en s’inventant des liturgies dont le cadre et le contenu n’ont que peu de rapports avec ce que l’institution a traditionnellement promu et sanctionné.
L’autre Parole, au cours de son histoire, s’est aventurée dans les deux directions. Mais quelle qu’ait été l’orientation privilégiée, il est une réalité qu’elle a obstinément ancrée au coeur de toutes les célébrations : l’expérience des femmes, comme source inépuisable d’inspiration, d’accomplissement et de renouvellement.
La plupart des célébrations de L’autre Parole ont été privées, seules les membres et quelques personnes invitées y ont participé. Quelques-unes toutefois ont été ouvertes au public, et la plupart des personnes qui y ont assisté sont ressorties impressionnées, et parfois même profondément touchées par cette expérience.
Suis-je victime d’une illusion d’optique ou suis-je en proie au syndrome de la mémoire sélective, toujours est-il qu’il m’apparaît que deux circonstances ont stimulé l’audace créative de notre groupe dans l’élaboration de ses célébrations : leur caractère public ou semi-public et leur déroulement dans un lieu sacré, église ou chapelle. Ce qui, à première vue, peut paraître étonnant. C’est en tout cas un trait qui donne à penser que nous ne nous sommes pas imposé le supplice de l’autocensure. Je me plais à y lire un autre signe, à tort ou à raison. Les célébrations de L’autre Parole se veulent un lieu où se construit et se manifeste l’ekklèsia des femmes, c’est-à-dire le regroupement de toutes leurs énergies intellectuelles, affectives et spirituelles pour bâtir un monde plus juste et plus solidaire où elles puissent témoigner de leur expérience et mettre ses richesses au service de la collectivité. Dans cette communauté de disciples égales et égaux, les femmes peuvent prendre l’initiative, elles n’ont pas à se soumettre à un pouvoir masculin et sacralisé qui, au mieux les encadre et au pire les encarcane. Cela dit leur ekklèsia veut s’ouvrir sur l’ensemble, bien sûr, de la famille humaine, femmes et hommes de bonne volonté réunis pour incarner l’esprit de l’Évangile et de ses Béatitudes. Lancer une invitation à des proches, ouvrir les portes au grand public et célébrer dans une enceinte sacrée et longtemps interdite d’accès aux femmes, c’est goûter déjà les prémisses de fekklèsia
Célébrer, je le disais d’entrée de jeu, c’est accomplir un rite solennellement, et pour ce faire quoi de mieux que de puiser dans le riche univers des symboles. Le christianisme nous en offre déjà un vaste éventail qu’il partage d’ailleurs, pour un bon nombre, avec d’autres traditions religieuses : eau, feu, pain, vin, huiles aromatiques, encens. L’autre Parole une fois y a ajouté le chocolat. Personne ne s’en est plaint.
Le déroulement des célébrations comporte toujours un rite d’accueil avec présentation soit d’un cierge, d’un bâton de pèlerine, d’une écharpe signe de notre sacerdoce baptismal. Le rite du pardon se retrouve présent dans plusieurs de nos rencontres. La lecture de nos créations collectives marque à tout coup un moment fort. La musique, toujours choisie avec un soin extrême, qu’elle soit exécutée par des artistes venues tout exprès ou qu’elle soit enregistrée, ajoute à la solennité de nos fêtes.
Tout dans le décor est soigné : le choix des nappes et des coupes, des accessoires, des fleurs permet de fêter en beauté, et avec un sens de la mise en scène qui laisse des souvenirs. Des célébrations de notre groupe, personne ne part non plus les mains vides. Nous en emportons un pain à manger, une graine à faire germer, une pierre pour rappeler le fardeau des jours que la solidarité peut alléger ou le rêve de bâtir un avenir meilleur.
L’autre Parole continuera de célébrer pour toujours mieux raffermir les assises de Yekklèsia. J’aime penser qu’elle choisira chaque année de le faire au moins une fois publiquement pour témoigner de son expérience spirituelle et la faire partager. Comme il me plaît d’imaginer qu’un vaste public puisse un jour célébrer Noël, en écoutant Marie en raconter l’histoire et voir Pâques peut-être à travers les yeux de Marie de Magdala ou de toutes les autres femmes qui aujourd’hui, partout dans le monde, rêvent d’amour et de liberté. Nous sommes des marathoniennes de l’espérance chrétienne, c’est dire que nous avons du souffle. Un souffle qui souffle tant qu’il veut et où il veut. Ça ne vous rappelle rien ?
MARIE GRATTON, MYRIAM