LA BASILEIA INCLUSIVE DE DIEU ET LA COMMUNAUTÉ DE TABLE

LA BASILEIA INCLUSIVE DE DIEU ET LA COMMUNAUTÉ DE TABLE

selon Elisabeth Schüssler Fiorenza Louise Melançon, Myriam

J’ai choisi de contribuer à notre réflexion sur l’ « Eucharistie » en retournant aux sources des évangiles telles qu’interprétées par la théologienne féministe réputée, Élisabeth Shüssler Fiorenza1 . Cette perspective féministe m’apparaît très fructueuse pour chercher comment vivre de l’eucharistie, comme chrétiennes féministes ou femmes en Église, dans le contexte actuel.

1. Le premier élément à apporter, c’est de situer l’eucharistie dans le contexte juif d’où elle origine. Schüssler soutient qu’il ne faut pas perdre de vue que le “mouvement Jésus”, par rapport aux autres mouvements religieux qui lui étaient contemporains, comme les Esséniens, les Pharisiens…, ne mettait pas le culte et l’insistance sur la pureté rituelle qui l’accompagnait, au centre de la foi. Jésus s’est consacré à l’annonce de la basileia (royaume) de Dieu en mettant l’accent sur l’intégrité de la personne, et non sur sa sainteté morale. Ainsi la communauté des disciples autour de Jésus s’accompagnait de la communauté de table avec tous, sans exclusion : les pécheurs, les prostituées, les collecteurs d’impôts. Alors que les Pharisiens célébraient “comme des prêtres”, Jésus ne se soumettait pas à ces règles : non pas qu’il reniait le peuple saint d’Israël, le Temple et la Loi, mais il ne les mettait pas au centre de sa prédication.

2. D’autre part, ce qui caractérise la prédication de Jésus, c’est le partage festif d’un repas de noces. Sa vision inclusive de la basileia est souvent exprimée dans des paraboles ou autres genres didactiques qui parlent d’un banquet somptueux. C’est l’annonce eschatologique du salut qui prend cette forme. Mais en même temps, Jésus insiste sur le fait qu’il y a déjà un accomplissement du salut eschatologique ; les guérisons en expriment l’importance en termes d’intégrité humaine, de corps et d’esprit. Le lieu de la présence et de l’action de Dieu n’est pas le Temple et la Torah mais avant tout la pratique inclusive : chaque personne humaine, qu’elle soit infirme, impure, pécheresse, fait partie du peuple d’Israël créé par Dieu.

Les femmes se trouvent dans les diverses catégories de personnes qui sont visées par la pratique inclusive de Jésus : des femmes pauvres (Mc 12,41-44 : l’obole de la veuve), des malades et infirmes (Mc 5,25-34 : la femme hémoroïsse ; Lc 13, 10-17 : la femme courbée), des prostituées qui, en tant que femmes, doivent exercer un métier non honorable pour survivre (comme les collecteurs d’impôts ou autres métiers incompatibles avec la pureté rituelle).

3. Jésus partage la table avec ses disciples, où se trouvent des femmes, mais aussi avec des personnes de toutes catégories, que ce soient des Pharisiens, des collecteurs d’impôts (ex.Zachée) ou des amis et amies (Marthe, Marie et Lazare). Ce faisant, il propose une conception de Dieu qui n’appelle pas que les justes, tels que vus dans la tradition des Pharisiens et autres, mais un Dieu dont l’amour englobe tout, un Dieu de miséricorde et de bonté qui accepte tous, sans exception. Cette vision inclusive de Dieu est présente aussi dans les paraboles, sous la forme du berger qui recherche la brebis perdue, aussi bien sous la forme de la femme qui cherche sa pièce d’argent. À la tradition prophétique à laquelle Jésus s’est identifié, s’ajoute ainsi la tradition de la Sagesse où le Dieu de bonté et de miséricorde apparaît sous une gelstat de femme : la Sagesse ou Sophia …le mouvement Jésus en Palestine conçoit la prédication et la mission de Jésus comme celle du prophète et de l’enfant de la Sophia, envoyé pour annoncer que Dieu est le Dieu des pauvres et de ceux qui peinent, des exclus et de ceux qui souffrent l’injustice. (p.206)

La mort de Jésus, comme celle des prophètes avant lui, comme celle de Jean le Baptiste, n’est pas voulue par un Dieu justicier en expiation des péchés du peuple d’Israël, mais plutôt comme “le résultat de la violence contre les envoyés de la Sophia qui proclame la bonté illimitée de Dieu et l’égalité et l’élection de “tous” ses enfants en Israël”.(p.207)

4. Le caractère inclusif de la communauté de table avec Jésus a contribué à former “une communauté de disciples égaux” dans le même esprit de la basileia où les rejetés, les marginaux de la société, ceux et celles qui sont étiquetés impurs, etc. se rassemblent et “partagent leur quignon de pain” avec ceux qui viennent écouter l’Évangile. Peu à peu l’ouverture se fera vers les dits païens, ceux et celles qui ne sont pas juifs. Dans cette pratique inclusive les femmes sont bien présentes. N’étaient- elles pas là au pied de la croix, au Golgotha ? ne furent-elles pas les premières missionnaires de la foi en la résurrection de Jésus, Marie de Magdala et les autres ?

Et cette femme qui a oint la tête de Jésus avant sa mort, geste prophétique que Jésus a reconnu et souhaité que mémoire en soit gardée ? Jésus ne s’est pas attaqué aux structures patriarcales de son époque mais il a introduit un nouvel ethos des relations humaines et sociales, autour de la communauté de table inclusive, par sa vision et sa pratique de la basileia. Il a subverti implicitement le patriarcat par son attention aux pauvres, en disant que le maître n’est pas au-dessus de ses disciples et qu’il ne convient pas d’appeler personne “PÈRE” sinon Dieu.

En conclusion, le moins qu’on puisse dire c’est que l’Église, les églises chrétiennes, se sont éloignées de l’esprit du mouvement Jésus, et du mouvement primitif chrétien, en prenant le modèle patriarcal et sacerdotal, centré sur le culte et la pureté rituelle, pour organiser la communauté de foi et le repas eucharistique. Que les femmes soient encore considérées comme inaptes à présider la communauté eucharistique apparaît incompréhensible et inadmissible en ce 21e siècle. Mais le plus important c’est de constater que l’exclusion des femmes est un indice que le message et la pratique de Jésus n’ont pas encore été vraiment reçus. Que vienne l’Esprit du Dieu de Jésus dans le monde, dans l’ « église », et dans nos vies !

1. En mémoire d’elle, Cerf, Paris 1986 ; surtout chap.IV : pp. 163-232.