Marthe et Marie en concurrence? Des Pères de l’Église aux commentaires féministes
Diane Marleau
C’est à travers une fructueuse collaboration québécoise et française que nous est proposée une relecture contemporaine, en cinq chapitres, du passage biblique où Marthe et Marie de Béthanie apparaissent ensemble en présence de Jésus, leur invité. Quelle entreprise audacieuse pour les deux auteures de ce livre, de rassembler en un même volume, autant d’interprétations à travers les siècles, autour d’un seul récit!
Dès le premier chapitre, une approche éclairante du texte de Luc 10,38-42 est rendue possible par son découpage en dix-sept parties. Une riche vue d’ensemble s’en dégage et nous met en piste pour continuer.
Viennent alors des commentaires classiques, en commençant par ceux d’Origène et des non moins célèbres Jean Chrysostome, saint Augustin, Grégoire Le Grand, Bernard de Clairvaux, Thomas d’Aquin, Maître Eckhart, Martin Luther et Jean Calvin. La personne de Jésus-Christ en ressort en tant que don du salut de Dieu et centre des regards de foi de Marthe et Marie.
Suivent au chapitre suivant, des commentaires de type historique, littéraire et spirituel. Cette fois, nous retrouvons les réflexions historico-critiques de François Bovon, les commentaires narratifs d’Anne-Laure Zwilling, spirituels de Guy Lafon et psycho-spirituels de Denise Bellefleur-Raymond sans oublier le point de vue de Simone Pacot, spécialiste de « l’évangélisation des profondeurs ». Tout se lit d’un trait. Toutefois, bien que ces commentaires soient passionnants, les auteures relèvent à juste titre qu’ils ne s’attardent pas aux répercussions de ce texte chez un lectorat féminin.
Ainsi, dans une toute nouvelle perspective, le quatrième chapitre présente des interprétations féministes bien articulées du récit en partant des travaux de l’exégète Élisabeth Schüssler Fiorenza, professeure à l’université Harvard et de la théologienne norvégienne, Turid Karlsen Seim.
Enfin, juste avant la conclusion du livre, une section regroupant des réponses à cinq questions-clés sur le récit situe les nœuds de compréhension du texte. En voici quelques idées-éclair.
Qu’est-ce que la bonne ou meilleure part?
Diverses interprétations précisent, entre autres, que la bonne part de toute femme ou tout homme disciple est « d’entendre la parole de Dieu » et « d’en prendre soin » de rechercher « un peu d’instruction » en matière de foi, de « s’engager pour Dieu ». Même le « Discours de la Sagesse » en Siracide 24 rappelle que le but du croyant est d’écouter et d’obéir à la Sagesse représentée par la figure du Christ dans la tradition chrétienne.
Qu’est-ce que le « service » sous-entendu par le terme de diakonia?
La notion de service par rapport à Marthe nous amène à redécouvrir tout le sens du terme diakonia. Ce mot grec renvoie à la fois à l’aspect « de soin » souvent associé aux femmes ainsi qu’à « la proclamation et à l’enseignement » plutôt attribués aux hommes. Dans l’apport d’une perception féministe, diakonia permet de reconnaître chez les femmes « un leadership dans le repas fraternel des chrétiens et dans la direction de l’eucharistie ».
Que représente la maison de Marie?
La maison est un lieu communautaire et privé où les femmes ont une place reconnue. Cet espace traditionnel où les femmes évoluent devient le centre de la communauté et permet à l’Église de naître discrètement.
Est-ce important qu’il s’agisse de deux femmes ou un autre tandem aurait-il exprimé le même message?
Dans ce récit où il est possible d’enrichir notre compréhension de notions telles celles de « service » et de « formation du disciple idéal », le conflit aurait pu se dérouler entre un homme et une femme. Ceci dit, le bibliste Warren Carter présente le texte comme une instruction au sujet de « la mission partenariale ». Il considère Marthe et Marie de Béthanie, des partenaires dans l’œuvre de mission des premiers disciples chrétiens par leur relation à la parole et à l’écoute du Seigneur.
Que devient Jésus dans cette histoire?
Même si Jésus apparaît à l’arrière-plan comme l’arbitre du conflit à régler entre les deux sœurs, sa présence permet de préciser son lien au « disciple ». Ce dernier reconnaît en la parole de Jésus, celle de Dieu. Écouter cette parole nous fait devenir frères et sœurs.
En fin de compte, le livre Marthe et Marie en concurrence? fourmille de réflexions stimulantes qui nous ramènent à l’essentiel. L’observation, au fil du temps, des différentes interprétations faites au sujet du récit de Marthe et Marie, nous recentre sur l’importance incontournable « d’une attitude de service » à la base de la vie chrétienne pour toute personne.
Marthe et Marie en concurrence?
Des Pères de l’Église aux commentaires féministes,
Pierrette Daviau et
Élisabeth Parmentier
Canada, Médiaspaul,
2012, 184 p.