L’ÉGORGEUR DE WESTMINSTER BRIDGE par Anne Perry
traduit de l’anglais par Anne-Marie Carrière Éditions 10/18 Collection Grands détectives, 2000, 380 p. Marie Gratton, Myriam
Dans mon bas de Noël, le 24 décembre dernier, j’ai trouvé un roman policier. C’était pour mon mari renouer avec une tradition qui s’était un peu perdue ces dernières années, mais qui longtemps avait fait mon bonheur. Quand arrivent les derniers jours de l’année, je prends un plaisir particulier à plonger dans le crime.
En toute innocence, certes, mais avec un soupçon de scrupule. Et si j’étais en train de perdre mon temps ? Mais si le livre est bien écrit, après tout, pourquoi pas ? Et c’est ainsi que je succombe à ma curiosité et à mon besoin d’évasion. Ce qui m’intéresse avant tout dans ce type d’ouvrages, c’est non seulement de tenter de découvrir qui a fait le coup, mais encore de comprendre pourquoi. J’aime les auteures de romans policiers qui nous offrent un portrait fouillé de la psychologie de leurs personnages. J’ai employé le féminin exprès, ayant un faible pour les romancières anglaises, dont certaines, comme P.D. James, excellent dans le genre.
Je n’avais jamais lu Anne Perry. Son éditeur la présente comme explorant «inlassablement l’Angleterre victorienne corsetée dans ses tabous et ses préjugés pour mieux en arpenter les plus inquiétantes zones d’ombre ». L’Égorgeur de Westminster Bridge nous introduit de surcroît dans le milieu des suffragettes, ces femmes qui ont lancé en Angleterre le mouvement féministe pour l’obtention du droit de vote, celui de siéger au Parlement et une foule d’autres, dont on a peine à croire qu’il leur a fallu autant de luttes et d’efforts pour les conquérir, alors qu’ils nous paraissent aujourd’hui si fondamentaux, en Occident, à tout le moins.
Depuis 1979, Anne Perry fait vivre à son public lecteur les palpitantes aventures d’un couple de détectives Charlotte et Thomas Pitt. L’inspecteur Pitt, sorti d’un foyer modeste, est attaché à la brigade criminelle de la police de Londres. Charlotte, issue d’une famille bourgeoise à l’aise, l’a épousé par amour, en faisant fi de l’opinion de son milieu. Ils vivent heureux et ont deux enfants. Seulement deux, nous ne sommes pas dans un conte de fée. Au cours de l’enquête officielle de Monsieur l’inspecteur, nous faisons connaissance avec des membres du Parlement et leurs proches. Quoi de plus naturel, puisque la victime découverte attachée à un réverbère sur le pont Westminster fait partie de cette auguste assemblée. Nous assistons aussi à une réunion fort animée de suffragettes bien décidées à faire valoir ce qu’elles estiment être leurs droits, mais que leur dénient avec une hautaine suffisance, et même parfois avec une haine vengeresse, les élus de la nation. Ajoutez à cela les dégâts qu’a pu faire une secte chez quelques femmes mal mariées et fragiles, et la tragédie née d’un divorce privant une mère de ses enfants, et vous aurez là un monde grouillant de gens à soupçonner.
Thomas Pitt a ses méthodes, qui paraissent excellentes d’ailleurs. Dans son service, il est encadré, et sa fonction suscite forcément la méfiance des personnes qu’il interroge. Charlotte profite de toute la liberté que son absence de rôle officiel lui confère et met aussi à contribution ses amies. Elle ne manque ni d’astuce, ni d’audace, ni de courage. Quand elle estime que la Justice n’est pas équitable, elle n’hésite pas à faire un pas de plus pour faire triompher l’équité.
Le suspense dure jusqu’à la dernière page, je vous le garantis. Mais si je me permets de vous recommander ce livre, c’est vraiment pour la plongée qu’il permet dans l’univers étouffant dans lequel évoluent les femmes, aux plans social et juridique, dans l’Angleterre d’un XIXe siècle qui s’achève. La liste des contraintes auxquelles elles étaient soumises a quelque chose d’effarant. Nous sommes les héritières des suffragettes, nous leur devons beaucoup. Même si nos acquis demeurent fragiles, louons le Ciel qu’elles soient nées et aient lutté avant nous.