DU POUVOIR ET DES FEMMES
par Judith Dufour
Qu’il est difficile de parler du Pouvoir et des Femmes; question complexe et troublante.
Complexe, parce qu’au fond, on trouve dans sa vie quotidienne., un peu de pouvoir quelque part et à quelque moment; pouvoir qu’on exerce sur quelques personnes ou sur quelque chose et cela suffisamment pour qu’on s’en sente gratifié. Mais en mène temps, on affirme que le Pouvoir est sale et qu’il n’a rien à voir avec le bonheur, sans distinguer entre l’attribut du Pouvoir et son exercice.
Troublante parce que force est de constater que peu de personnes accèdent à une part significative du Pouvoir, les voies pour y arriver étant bien étroites. Alors pourquoi mettre des énergies à démêler cette complexité?
Dans nos sociétés occidentales, le Pouvoir de définition des êtres, des normes et des règles appartient à la sphère du Pouvoir structurellement en capacité de légiférer (d’édicter des lois et préceptes moraux) et de contraindre (les faire appliquer). Donc le Pouvoir, son Exercice et Ceux qui le détiennent, me concernent puisque je fais les frais de ses retombées dans toutes les facettes de cette même vie quotidienne.
Il y a néanmoins des paliers de Pouvoir, des champs de Pouvoir différenciés et des façons de l’exercer. Regarder, même schématiquement ces points, aiderait sans doute à mieux appréhender cette question et partant à mieux la situer par rapport à la réalité qu’elle recouvre.
Le pouvoir politique
Dans une société, le Pouvoir est logé dans les instances politique, économique et sociale à différents paliers. Ces paliers sont catalogués plus ou moins importants selon le plus ou moins grand éventail de sujets sur lesquels sa capacité de légiférer est reconnue et du plus ou moins grand degré d’efficacité de sa capacité contraignante.
L’aspect sensationnel, perceptible, de ce phénomène, c’est l’exercice du pouvoir politique. Le champ politique est plus ouvert et plus scrutable que les autres. On en connaît les détenteurs à tous les paliers, ses capacités de légiférer et de contraindre sont la nature-même de son exercice. En effet, il fabrique les lois qui nous gouvernent et il possède l’appareil juridico-coercitif pour les faire respecter. Il apparaît donc être le plus important et paradoxalement le plus accessible, puisqu’on démocratie il s’exerce par délégation des citoyens en âge de voter. Malgré cette ouverture et cette accessibilité les femmes, au Canada constituant plus de 5C$ de l’électorat, elles ne représentent pas 10% des élus.
Ajoutons à cela que pour arriver au palier supérieur (Assemblée nationale ou Chambre des Communes) ainsi que pour exercer ses mandats, l’élu doit obtenir l’appui constant des autres instances du Pouvoir, avec ce que tout cela implique de perte d’autonomie. C’est la forme la plus éphémère de Pouvoir !
Le pouvoir économique L’instance économique est tout autre. Peu visible (si on connaît peu, en revanche, les membres du Conseil d’administration des grandes banques à charte du Canada), son pouvoir ne se délègue pas. Il appartient à ceux qui le détiennent et il est difficile d’y accéder. Ainsi les francophones du Canada ont, depuis longtemps, exercé le pouvoir politique mais ils ont, très peu nombreux et tardivement, accédé aux paliers supérieurs du pouvoir économique. Comme son champ de juridiction dépasse les frontières de 1’Etat-Nation, sa puissance est très grande. Il ne contraint pas nécessairement les individus un à un; c’est souvent par les orientations qu’il insuffle aux pouvoirs politique et social, qu’il exerce son pouvoir de définition des êtres, des normes et des règles du jeu.
Comme pour les autres instances, l’économique s’étale sur plusieurs paliers. En ligne horizontale, du simple contremaître en passant par le rôle du mari-pourvoyeur jusqu’au président de Power Corporation, à la façon des poupées russes qui s’imbriquent les unes dans les autres, bien des gens exercent un peu de pouvoir. C’est à la verticale, dans les secteurs de la consommation, de l’investissement et des syndicats que le jeu du nombre et de la solidarité donne aux individus une capacité d’exercer du Pouvoir. Là encore les femmes sont rares: 9,95% de l’ensemble des dirigeants d’entreprises au Canada en 1977. Il est vrai qu’elles accèdent lentement à l’autonomie financière, porte d’entrée à l’exercice d’un quelconque pouvoir économique.
Le pouvoir social et l’Église
Le pouvoir social réside dans les grands appareils idéologiques de l’État. Chez nous, l’Église a longtemps investi tout le champ du social. Or dans une Église qui organise les croyances, le sens du religieux passe par des paroles, des sacralisations, des rites, des prescriptions morales et des définitions. La puissance de l’Eglise-institution-temporelle est grande; elle s’appuie sur le destin éternel des individus et transcende les frontières nationales. Par ses prescriptions morales l’Eglise définit les conduites et les rôles. Elle contraint par la promesse d’un au-delà bon ou mauvais. Ainsi armée de l’adhésion ferme de ses fidèles nombreux, elle a la capacité de marchander son pouvoir avec les instances politique et économique des gouvernements civils. (Elle le fait en s’opposant (l’Eglise en Pologne) ou en leur permettant de se servir de son discours à leurs fins propres (Reagan aux USA).
Pour nous féministes qui avons choisi d’oeuvrer dans le champ du religieux, il nous importe de parler du pouvoir de l’Église car sa hiérarchie détient seule le pouvoir de définition et cette hiérarchie a été, de tout temps, exclusivement patriarcale. Le discours que l’Église s’est donnée et l’image qu’elle nous renvoie de nous ne peuvent/nous atteindre parce que ne nous ressemblent pas. Les femmes, dans l’Église, rappelons-le, en non-potentialité radicale d’accès à l’entrée de cette hiérarchie, seront toujours définies par l’autre sexe et ainsi verront leur propre pouvoir spécifique, celui de procréer, assujetti aux discours et aux lois du patriarcat.
Les formes d’exercice du Pouvoir
Le pouvoir FORMEL qualifie l’exercice reconnu par tous de décider et d’appliquer les décisions. Les détenteurs peuvent être ministres, juges, administrateurs, directeurs, propriétaires, évoques, papes, etc.
Le pouvoir d«INFLUENCE s’exerce par ceux qui ont le savoir, la technique, la compétence. Par exemple les hauts-fonctionnaires, les conseilleurs en tous genres, les experts, les secrétaires, etc. On retrouve peu de femmes aux postes décisionnels de ces deux types de pouvoir.
Le pouvoir OCCULTE, invisible, quant à lui, est sans réalité sociale. C’est celui traditionnellement dévolu aux épouses, aux maîtresses, aux muses. Pouvoir qu’elles exercent dans le secret et perdent d’ailleurs au gré de la fantaisie de celui qui détient le pouvoir formel. Le pouvoir occulte a souvent été la seule voie à la portée des femmes. Les poètes l’ont chanté, les femmes s’y sont accrochées et les historiens l’ont présenté sous des couleurs peu reluisantes.
Conclusion
Si les femmes exerçaient le Pouvoir formel la société s’en porterait-elle mieux? En terminant, comment ne pas évoquer cette question et son corolaire, le scepticisme? Aussi longtemps qu’une femme ou deux, de temps en temps, exercent le pouvoir dont les règles ont été mises en place exclusivement par des hommes, on ne peut rien espérer de plus que ce qui est. Quant à savoir ce qu’il adviendrait si elles étaient nombreuses et partout, c’est-à-dire en nombre égal à celui des hommes dont allés partagent la vie et ses organisations, on ne peut le savoir parce que cela n’a jamais été.
Souhaitons seulement qu’en prenant nos places les yeux ouverts, massivement, nous aurons le souci d’infléchir les milliards de petits et grands objectifs des millions de petits et grands lieux de pouvoir dans le sens du mieux être de tous les individus plutôt que dans celui des intérêts particuliers de quelques uns.
La fabrication des armes cédera peut être ainsi le pas un jour, à la production de biens et services utiles à la vie plutôt qu’à la mort.