LA PRINCESSE DOLOROSA

LA PRINCESSE DOLOROSA

Lady Diana est décédée en août dernier à Paris, dans un terrible accident. Femme la plus célèbre et la plus médiatisée de la planète, Lady Di s’en est allée victime « de l’amour morbide de ses sujets » (propos tirés d’un journal italien). Les circonstances tragiques qui entourent son décès sont connues. Le rôle tenu dans cette histoire par les chasseurs d’images, a tout de suite été identifié. Puis les patrons de presse furent à leur tour pointés du doigt. L’événement, si on peut le qualifier ainsi, suit son cours : sa couverture par les médias emprunte le vocabulaire et la grammaire édictée par la société patriarcale dans laquelle nous vivons. Elle en reflète les normes et les valeurs relativement à la place que les femmes devraient y tenir.

Après la lecture de quelques articles parus dans les journaux montréalais et après avoir réécouté l’entrevue donnée par Lady Di à l’issue de son divorce en 1992, entrevue que les médias ont retransmise, j’avoue que j’éprouve un sentiment de tristesse.

J’ai de la peine, en effet, parce que je crois lire à travers la vie de cette princesse, qui n’est plus, le sort commun réservé aux femmes. Celui d’être le grimoire sur lequel la société moralise et trace les balises de la conduite imposée aux femmes quelles qu’elles fussent, ordinaires ou de haut rang.

Une éditorialiste d’un quotidien de Montréal, abonde dans ce sens quand elle fait allusion à ce qu’elle appelle « les écarts de conduite » d’une Dame aux camélias à qui beaucoup sera pardonné parce qu’elle a beaucoup aimé. C’est là un cliché. Un cliché qui stigmatise et enferme les femmes dans une représentation douteuse parce qu’il les renvoie à leur être sexué, pire encore, parce qu’il les renvoie au sexe même.

Dans le sillage d’une vie qui se veut personnelle tout en étant publique, Lady Di s’est employée à montrer qu’elle était une personne humaine d’abord et avant tout. Mais ce n’est pas de cette réalité dont les médias nous entretiennent. Son sort rejoint pourtant celui d’un grand nombre de femmes qui ont des motifs de se sentir proches d’elle. À cet égard, il faut écouter à nouveau l’entrevue accordée par la princesse à la suite de son divorce pour comprendre qu’elle témoigne avec courage d’une expérience de vie qui l’a profondément blessée. C’est une femme dont la sensibilité s’est heurtée à l’indifférence d’un royal mari. C’est une personne victime de négligence en quelque sorte, et qui a souffert, mais dont la détresse a été interprétée comme une faiblesse d’ordre émotif, un désordre.

Depuis l’époque de Madame Bovary, avons-nous vraiment changé dans notre façon de voir les femmes, écrit la journaliste Nadia Khouri-Dagher dont l’article, publié dans Le Monde, est reproduit dans Le Devoir du 3 septembre. Pourquoi, dit-elle, sont-ce encore les péripéties de la vie privée des princesses, plutôt que celles des hommes, qui constituent des sujets d’intérêt ? La vérité, précise-t-elle, c’est que la vie amoureuse et plus précisément la vie sexuelle des femmes sert les fins d’un commentaire sur le rôle des femmes comme devant être mères d’abord. Tout écart par rapport à cette norme est passible de peine… C’est ainsi que Lady Di aura joué, cet été, le rôle d’une Emma Bovary moderne. Ses amours, sur papier glacé, auront reçu le même accueil que le roman de Flaubert il y a un siècle.

Et cela, en vertu du même droit de regard de la société sur la vie d’une femme adulte, d’une mère, d’une femme passionnée et entière.

Lady Diana est peut-être morte dans une course à rebours contre les paparazzi. Mais il se peut aussi qu’elle ait été tuée parce que notre société traite encore les femmes comme des objets de convoitise soumis au désir masculin. « Emma Bovary n’était qu’une héroïne de papier. Flaubert pouvait la laisser mourir. Mais avons-nous le droit de tuer Lady Diana ? », demande finalement la journaliste.

AGATHE LAFORTUNE, VASTHI