Billet du 35e anniversaire Liberté et créativité … de Monique Dumais
Quand je pense à L’autre Parole, je sens toute la liberté qui a soufflé dans nos veines de femmes, il y a 35 ans et les années qui ont suivi, pour oser une parole autre, différente, qui nous rejoint dans tout notre être. C’est une immense joie qui rejaillit quand on voit tout ce qui a émergé: écritures, réécritures, célébrations, rencontres festives, changements de mentalité. Il fallait oser en cette période où Les fées « avaient » soif 3 , et il faut encore oser. La route est encore longue devant nous pour sortir les pieds du bénitier4.
Liberté d’expression
Nous étions habituées à une religion avec des prières toutes préparées d’avance, des affirmations dogmatiques, un canon liturgique, des préceptes de morale décrétés. Des années d’une tradition ferme n’ouvraient pas sur des nouveautés, mais pourtant l’Esprit, le souffle, la ruah, était au coeur de cette tradition, comme une relation nécessaire dans la trinité divine. C’est le Souffle de Dieu qui nous rend fils et filles de Dieu (Rm 8, 14).
Nous vivons un paradoxe dans la religion chrétienne: une claire affirmation de l’habitation de l’Esprit qui nous rend libres et en même temps un embrigadement soutenu dans des commandements et des règles sévères de conduite. « Je suis la voie, la vérité et la vie. » ( Jn 14,6) Cette vérité annoncée par Jésus apparaît sous de multiples aspects. « À force de défendre la vérité dans sa formulation actuelle, forcément incomplète, inachevée, comme toute sagesse humaine, nos réduisons la foi à l’état de cadavre embaumé.5 » C’est ainsi que Simon Pierre Arnold, moine bénédictin proposant une théologie andine (du Pérou), annonce: « je revendique le droit et peut-être même le devoir d’ ‘hérésie’ 6 ». Car l’« hérésie » est « le point de départ obligé de tous les conciles et de toutes les définitions fondamentales de la foi »7.
En effet, il y a une quête, une recherche constante dans la foi; l’infini, le transcendant ne se laissent pas rejoindre si facilement. C’est ce qui nous a conduites, femmes de L’autre Parole, à prendre la parole, à laisser libre cours à nos questionnements, dénonciations, surtout à de nouvelles avancées. Il ne s’agissait pas seulement de manifester notre déception devant les positions négatives et anachroniques d’une Église machiste pour notre condition de femmes, mais de proposer d’autres voies.
Créativité
La créativité est devenue la manne habituelle
qui permet l’accomplissement
de nouveaux rites, de symboles revitalisés. 8
Que voulez-vous, les femmes? Une interrogation incessante à laquelle nous sommes capables de répondre. Oui, nous avons une existence propre, une volonté d’exprimer nos expériences de vie pour sortir des définitions et du contrôle masculins. L’autre Parole a axé ses écrits sur l’intégration des expériences des femmes. En effet, il importait de prendre conscience de notre vécu de femmes, de l’analyser, de découvrir par le fait même tout son potentiel, et de le nommer et de le traduire en mots. Ce travail demande beaucoup d’attention, car nous sommes inscrites dans une culture patriarcale de longue durée. Elle ne se laisse pas facilement décrypter, un labeur d’invention s’impose.
Les lieux de créativité s’avèrent essentiels pour que se vivent les nécessaires transgressions à l’endroit des codes établis, pour que se déploie la recherche de visions nouvelles et s’affirme le jeu festif des affranchies.9
Le monde des relations joue un rôle important dans cette cueillette d’informations. J’ai été séduite par tout l’apport singulier des femmes dans les différents aspects relationnels à soi, aux autres, au cosmos. Luce Irigaray a apporté beaucoup d’éléments réflexifs sur ces rapports d’échanges des femmes qui diffèrent de ceux des hommes.
Mais tout l’univers de relations – à soi, à l’autre genre, aux autres, au monde – s’exprime de façons diverses chez la femme et chez l’homme. Elle vit beaucoup dans un tissu de relations avec d’autres sujets ou avec la nature; lui, par contre, se construit un monde propre: avec des outils, des objets, des lois, des dieux, et il plie les autres à un ordre créé par lui. Elle se sert du langage pour communiquer, lui en use comme d’un instrument pour conquérir, acquérir, fabriquer, échanger de biens, des informations10.
L’autre Parole a livré une contribution significative pour l’intégration des expériences des femmes en utilisant le processus de réécritures. C’est devenu notre « marque de commerce »11; les réécritures sont pour les membres de la collective un moyen dynamique et dynamisant de faire progresser la pensée théologique en même temps que la solidarité entre femmes.
Le texte de La Cène réécrite est sûrement un exemple de l’intégration des expériences des femmes dans l’expression de la Parole de Dieu. En voici la première partie:
Les animatrices:
Au moment d’être délivrée et d’entrer en travail,
Elle prit son courage à deux mains,
Elle rendit grâce,
Les eaux se rompirent
Et les sages-femmes comprirent
Qu’elle était près de donner la vie.
Elle dit:
« Voyez, accueillez et aimez!
Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
Chant par l’assemblée:
Comme femme pouvoir donner la vie,
comme femme créer l’éternité,
abriter en son corps d’aujourd’hui à demain
la Christa.12
L’autre Parole a tout avantage à poursuivre toujours avec audace son expérimentation des réécritures. Elle confirme ainsi sa grande liberté et sa propre orientation dans la créativité.