Le Saint-Siège demande la soumission de la volonté et de l’intelligence sur les questions de foi et de morale
Denise Couture, Bonne Nouv’ailes
L’autoritarisme du Saint-Siège s’est amplifié sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2004). Il a atteint alors un degré inégalé.1 Il fut surprenant et décevant pour les catholiques romains de la base de subir ce virage après l’espoir suscité par le concile Vatican II de pouvoir construire une Église de la base.
Dans les textes du Concile, on trouve deux thèses opposées sur l’autorité des dirigeants de l’Église. La première affirme la responsabilité des chrétiens et des chrétiennes pour déterminer les actions concrètes dans une perspective pluraliste, la deuxième soutient la compétence de l’autorité ecclésiale centrale pour énoncer des normes morales concrètes, universellement obligatoires. Après le concile, le pape Paul VI a tranché dans son encyclique Humanae vitae (1968), quoique timidement encore, en faveur de la deuxième option. Il y écrit que le magistère, inspiré de l’Esprit, a une connaissance spéciale de la vérité morale. De 1968 à 1988, date de la parution d’un texte de Jean-Paul II à l’occasion du vingtième anniversaire d’Humanae vitae, les autorités romaines ont affirmé avec de plus en plus de force leur propre autorité en matière de morale jusqu’à dire, en 1988, que le magistère est « infaillible » quand il se prononce sur des questions de foi et de morale. Pendant cette même période, les autorités romaines ont demandé avec de plus en plus d’insistance l’obéissance aux normes morales immuables qu’il énonçait. En 1968, un assentiment « loyal, interne et externe » est demandé aux prêtres; en 1988, un « assentiment de la volonté et de l’intelligence » est demandé à toutes les personnes catholiques.
Un exemple d’un tel coup de force s’est produit en 1986 quand Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, énonce ceci : « Les fidèles ne sont pas tenus seulement d’accepter le magistère infaillible. Ils sont appelés à donner le religieux assentiment de l’intelligence et de la volonté à l’enseignement que le Pontife suprême ou le collège des évêques énoncent en matière de foi ou de morale lorsqu’ils exercent le magistère authentique, même s’ils n’entendent pas le proclamer par un acte définitif »2. S’ensuivit, en 1989, l’instauration d’une profession de foi ou d’un serment de fidélité que devraient prononcer des personnes qui exercent une fonction particulière dans l’Église.
On entend souvent dire que les autorités de l’Église catholique romaine refusent la modernité, qu’elles ont opté pour conserver une position autoritaire traditionnelle. Cela est en partie vrai, car, en effet, elles refusent des valeurs modernes comme l’égalité des femmes et des hommes (voir les autres textes sur ce sujet dans ce numéro). Assez spontanément, des personnes catholiques affirment que le changement se produit (très) lentement dans l’Église, qu’il faut exercer la vertu de patience. On s’explique ainsi son autoritarisme actuel. On finit peut-être même par l’accepter.
Cependant, des analyses sociologiques et théologiques ont montré que la manière dont les théologiens (les dirigeants) de Rome s’arrogent aujourd’hui un contrôle centralisateur correspond à un mécanisme interne de la façon dont s’exerce le pouvoir dans la modernité. Dans ce sens précis, le Saint-Siège serait tout à fait moderne. Le coup de force auquel il procède et les stratégies qu’il utilise dans ses procédures de contrôle extrême sont modernes.
On a montré le caractère fondamentaliste de la théologie actuelle du Saint-Siège, puisqu’elle répond aux trois critères d’une vérité unique, d’une identité unique et d’une autorité unique3. De la même manière, il faut savoir que ce fondamentalisme religieux n’est pas traditionnel. Il correspond aussi aux mécanismes de la modernité. En effet, la multiplication des vérités dans ce temps de modernité provoque comme réaction possible des replis identitaires que ceux-ci soient religieux ou non. Les autorités de l’Église catholique romaine participent à un tel repli (qui est religieux) sur la base duquel elles ont construit un régime de contrôle.
Cette situation constitue une très mauvaise nouvelle pour les minorités non seulement dans l’Église, mais dans la société, car le discours du Saint-Siège occupe une position de force sur la scène mondiale. Elle constitue une très mauvaise nouvelle pour les femmes à qui l’on impose une « théologie de la femme » qui soutient la subordination de la femme à l’homme.
Il faut redire que cette théologie catholique représente une position parmi de multiples autres possibles et que nous la refusons.