Femmes et pauvreté
MONIQUE DUMAIS
Montréal, Médiaspaul, 1998, 134 pages
Co-fondatrice du collectif « L’autre Parole » et professeure en Éthique à l’Université du Québec à Rimouski, Monique Dumais n’en est pas à son premier livre sur la situation des femmes. En plus d’avoir publié, en 1989, avec Marie-Andrée Roy, Souffles de Femmes. Lectures féministes de la religion, elle publia, en 1992, Les droits des femmes. C’est à partir de ce livre qu’elle se posa la question : « Les droits des femmes peuvent-ils se réaliser sans une certaine sécurité économique? »’ ce qui marqua le début de la réflexion que nous allons présenter.
Influence des conditions de vie
L’ouvrage, intitulé Femmes et Pauvreté, s’inscrit dans une démarche éthique2 et chrétienne. Tout d’abord (chapitre I) l’auteure examine les trois principales conditions qui influencent et qui maintiennent les femmes dans la pauvreté : la maternité, les structures de travail et le modèle socioculturel de la femme comme mère. Le rapport entre la pauvreté et la maternité est de l’ordre de l’inaccessibilité au marché du travail. Avoir des enfants restreint la participation des femmes au marché du travail surtout quand il s’agit de grossesses en bas âge. L’auteure remarque que malgré les problèmes que cela occasionne, les femmes ont la volonté de concilier le travail et la vie familiale. Dans notre société occidentale,les structures de travail ne favorisent pas la reconnaissance et la valorisation du travail domestique et familial. La femme, dont la plus grande partie du travail se fait dans le cadre domestique, n’est pas reconnue comme travailleuse, car l’homme reste encore le pourvoyeur de la famille. Même si les syndicats ont travaillé pour obtenir l’équité salariale, les femmes salariées doivent continuer à la revendiquer:
Elles doivent constamment revendiquer et se donner des moyens pour accroître autant que les hommes leur pouvoir d’achat. » (p.33)
L’auteure mentionne clairement que les femmes salariées vivent encore une double identité : celle de mères3 et celle de travailleuses. Concilier travail et vie familiale reste une préoccupation omniprésente pour les femmes salariées. Celles-ci sont héritières du rôle traditionnel institué par le droit romain, d’une fonction exclusive de mères et d’épouses, donc de maîtresses de maison. Ce rôle appuyé et enseigné par l’Église démontre « que le travail de la femme ne devrait, en aucune manière, nuire à son « rôle irremplaçable » de mère » (p. 38).
« La famille est aussi présentée comme une société naturelle, essentiellement hiérarchique, ce qui serait édicté par le droit naturel, considéré comme un droit divin, les définitions données par les hommes remontent aisément jusqu’à Dieu » (p.38). Ce modèle structure les comportements des femmes dans un schème d’infériorisation et de subordination4. L’auteure indique qu’Adrienne Rich fait la différence entre la maternité comme expérience et la maternité comme institution. Ce modèle de mères et de maîtresses de logis reste présent encore aujourd’hui dans notre société contemporaine. Il est donc important de le dépasser pour aller vers une dignité concrète.
Pour une dignité concrète
En deuxième lieu, (chapitre II) l’auteure indique les valeurs importantes pour les femmes vivant la pauvreté pour mieux envisager les changements. Ces valeurs : égalité, justice, dignité et responsabilité sont aussi présentes dans les préceptes de l’Église. Il y a plus de femmes que d’hommes qui vivent une situation de pauvreté, c’est pourquoi l’égalité est primordiale. L’écart entre le salaire des hommes et celui des femmes parle de lui-même. C’est l’équité entre les sexes qui conduira à l’égalité. Même si les femmes réussissent à gagner le même salaire que les hommes, ce changement n’est pas de type structurel, cela ne modifie en rien l’accès inégal à certaines professions tel que l’enseignement universitaire. Ces types d’inégalité ont un impact sur le revenu et sur l’autonomie des femmes. L’égalité des droits dans tous les domaines, en respectant les différences, voilà ce que veulent les femmes :
« Ce que les femmes recherchent, c’est de pouvoir jouir des mêmes droits que les hommes dans tous les domaines, d’avoir accès sans restriction à toutes les professions, à tous les métiers, les sports, etc.»5
Pour sa part, l’Église suggère aussi l’égalité, la réciprocité et non la discrimination entre les hommes et les femmes sans, bien sûr, oublier la spécificité de la femme : la maternité. Quant à la justice, elle émane d’un besoin d’affirmation vital. D’après Ivone Gebara, notre compréhension de l’être humain est au cœur même de l’inégalité entre les hommes et les femmes. Elle l’appelle la pauvreté anthropologique considérant ainsi « les hommes comme plus importants et plus riches que les femmes » (p.60). De plus, les injustices structurelles devraient être abolies, selon les évêques du Canada. Pour les femmes, la justice est nécessaire pour contrer les situations de subordination et d’oppression appelant ainsi aux changements de mentalité.
D’autre part, la dignité est souvent liée aux droits de la personne : « Parler de dignité, c’est reconnaître l’importance et le respect que les personnes méritent entant qu’êtres humains » (p.61). Il n’est pas rare de voir dans les textes de l’Église le concept de dignité. Dans la lettre de Jean-Paul II, l’auteure remarque que la femme a plus de devoirs que de droits ce qui l’amène à faire une étude comparative entredeux définitions de la dignité, celle de la lettre de Jean-Paul II Mulieris dignitatem et celle d’une chercheuse féministe, Francine Descarries. Cette comparaison montre que l’utilisation de ce concept est exploitée selon des positions idéologiques. Dans ce sens, la lettre de Jean-Paul II insiste sur la réciprocité entre les deux sexes mais en n’oubliant pas « le don désintéressé de soi que la femme doit exercer dans sa relation d’épouse, dans la réalité de la maternité, qu’elle soit physique ou spirituelle » (p.65). Dans le cas de Francine Descarries, le mot dignité est utilisé comme « quête d’identité », d’autonomie sans maintenir le rôle de maîtresse de maison et de digne épouse. En ce qui a trait aux évêques du Québec, la dignité est associée, entre autres, à la responsabilité et à l’équité. Dans ce sens, l’auteure situe la responsabilité dans un contexte mondial, en montrant les causes et les conséquences du système néolibéral s’y rattachant. Pour Hans Jonas, la responsabilité est « une exigence de limitations des pouvoirs du progrès technique » (p.68) tandis que pour Lévinas, la responsabilité est considérée comme « la relation au visage d’autrui ». Pour Jean-Paul II et les évêques du Québec, les gens ont des responsabilités face aux péchés sociaux car ceux-ci sont une accumulation de péchés personnels.
Jeter les ancres
Dans le chapitre III, l’auteure, utilise le mot ANCRES pour identifier les moyens d’action déjà développés et ceux qui devraient être favorisés pour la lutte contre la pauvreté des femmes. L’auteure s’appuie sur ce que dit Ivone Gebara sur l’Autonomie des femmes. Celle-ci passe premièrement par l’option pour soi(identité propre) et ensuite, s’étend dans l’option pour l’autre (solidarité). Donc, nous passons du personnel au collectif. Ce collectif est une force féminine de résistance, de créativité, selon l’auteure. Mais la Nécessité de progresser dans la lutte des femmes contre la pauvreté et la subordination sert de moteur : « Cette nécessité devient le moteur d’une mise en chantier promotrice des expériences des femmes, pour l’émergence d’un monde où les femmes et les hommes trouvent leur lieu adéquat d’expressions et de réalisations»6. Dans ce sens, les femmes sont des forces Créatives7 dans leur quotidien et dans leur lutte contre la pauvreté. L’économie alternative8 est un moyen pour s’assurer d’une certaine sécurité économique répondant ainsi à leurs besoins et à leurs moyens. De plus, ouvrir les portes des emplois non traditionnels aux femmes, donnent la possibilité d’être mieux rémunéré et ainsi « agir davantage sur leur problème de pauvreté ». (p.83)
Dans notre société contemporaine, « la Reconnaissance et la valorisation de l’apport collectif des femmes s’imposent comme une nécessité pour marquer des transformations notables au plan, tant économique que social » (p.85). Une reconnaissance sociale qui considère les compétences des femmes, faisant un travail au foyer ou comme bénévole, est primordiale pour aider à l’intégration au marché du travail et à acquérir une autonomie financière. D’autre part, l’auteure souligne que les évêques du Québec prônent une reconnaissance sociale des compétences des femmes pour leur travail au foyer ou bénévole dans le but d’une équité entre les hommes et les femmes. Cette Espérance aide à passer à travers les obstacles pour un avenir nouveau de justice et d’amour. Pour Ivone Gebara, la troisième option est d’avancer « vers un avenir nouveau de justice et d’amour » (p.90). C’est justement l’espérance qui poussent les femmes vers de nouvelles avenues et c’est la pauvreté qui crée des Solidarités entre les femmes pour contrer ces effets. Dans ce sens, les groupes de femmes ont une culture organisationnelle9, une solidarité vers un même but : « La solidarité est une volonté d’être ensemble, de ne plus être seule dans la recherche de droits »10. Les évêques du Québec voient également un espoir en la solidarité pour contrer les conséquences néfastes de la pauvreté.
Pour une éthique de reconnaissance
Dans le dernier chapitre (IV), l’auteure reprend le thème de la reconnaissance pour en extirper davantage le sens. Elle voit dans l’économie sociale une place pour la reconnaissance des femmes. La visée de l’économie sociale est de répondre aux besoins des participants. Cette économie est une culture organisationnelle basée sur la solidarité, la participation et l’autonomie11.L’expérience des femmes pour un travail rémunéré ou bénévole sera accréditée pour un emploi créé dans ce contexte. Par conséquent, les conditions de vie des femmes et les rapports sociaux seront améliorés. Même si l’économie sociale ne peut régler tous les problèmes dans notre société, elle peut être pensée de deux façons, soit d’une façon progressive ou d’une façon néo-libérale. Dans ce cas, les femmes se verraient reléguées à une précarité d’emploi et non à une reconnaissance. Dans le cas contraire, la valorisation de l’expérience des femmes et l’amélioration de la qualité de vie seront mis de l’avant. L’allocation universelle serait un moyen pour reconnaître financièrement le travail non rémunéré des femmes dans la société. Leur collaboration dans l’économie serait valorisée par cette allocation universelle mettant ainsi un frein à la pauvreté causée par le chômage et le non emploi. L’allocation universelle serait un salaire stable de base versé à tous, selon les besoins. Donc, les emplois peu rémunérés, y seraient soutenus12.
De plus, l’auteure stipule que l’Église voit « la nécessité de reconnaître les contributions importantes des femmes dans la société et pour l’humanité »13. La théologie de la libération développe le concept de la reconnaissance, de la contribution des femmes et de tout être humain au plan socio-économique pour ainsi dénoncer l’oppression et se tourner vers une humanisation des conditions de vie. La reconnaissance, la valorisation d’une personne dans ce qu’elle est, c’est donner un sens qui n’émanerait pas d’un travail, car les emplois, d’après Viviane Forrester, dans notre société, créent des exclus.
En concluant, l’objectif de l’auteure était de faire une réflexion éthique sur la pauvreté des femmes. Le constat de la pauvreté des femmes est une évidence et la volonté de changer leur état en est une autre. Elles sont appelées à « jeter les ancres » comme le dit si bien l’auteure, grâce aux valeurs qui sont des forces de transformation, de renouvellement. Et, c’est la reconnaissance qui donne un sens à nos vies humaines, qui donne le mouvement à nos actions.
MELANY BISSON, Bonne Nouv’ailes