Des prophétesses dans nos archives ou des temps qui changent lentement ?
Quand, un soir de janvier 2000, quelques femmes se réunissent pour discuter du numéro de la revue à paraître à l’automne portant sur: féminisme-religion-sexualité, il est à prévoir que des idées fassent tempête, que des symboles surgissent, que des liens se fassent … C’est ainsi que «Les fées ont soif » 1 ont refait surface après une trentaine d’années d’absence. Cette pièce, écrite par Denise Boucher dans les années 70 et portée au théâtre à Montréal, a fait scandale.
Les fées ont soif met en scène trois personnages féminins : Marie, Madeleine et une statue, trois archétypes de femmes incontournables dans la société patriarcale de l’époque: la mère, l’amante, la vierge. Ces trois personnages, créés par la dramaturge Denise Boucher, évoquent tour à tour le carcan, l’aliénation dans lesquels les femmes ont été maintenues. Au fil de la pièce, chacune identifie ses oppressions, crie sa soif de s’appartenir, puis toutes trois, représentant chacune une facette de notre féminité, manifestent qu’elles veulent s’affranchir et vivre. À la fin de la pièce, leur renaissance respective, se réaliser dans une solidarité partagée. C’est vraiment une oeuvre puissante! … dont l’écho, une trentaine d’années plus tard, demeure percutant.
Ici, une parenthèse s’impose à l’intention de toutes celles qui n’étaient pas nées lors de cet événement. Si cette pièce fut un véritable coup de poing pour les institutions de la société québécoise dont l’Église, pour L’autre Parole, un certain collectif naissant, ce fut un véritable coup de coeur.
En feuilletant le Cahier no 12, j’ai découvert comment cette oeuvre a été inspirante pour le collectif L’autre Parole d’alors. Cette prise de parole, expression d’intuitions profondes, confirme que la démarche féministe de libération doit englober toutes les dimensions de notre être dont notre sexualité, une sexualité spécifique.
Ainsi en témoignent tour à tour Marie-Andrée Roy et Monique Dumais, co-fondatrices du collectif L’autre Parole.
Les fées ont soif représentent pour moi, écrit Marie-Andrée, un événement de première importance pour la compréhension de l’évolution de l’actuelle société québécoise et [ .. . ] chez le mouvement des femmes, la prise de conscience de la place du phénomène religieux dans l’évolution de la condition des femmes [ … ]Maternité, avortement, contraception, travail, sexualité, viol, violence ont constitué jusqu’à maintenant les thèmes privilégiés développés par le mouvement des femmes. [ … ]Avec « Les fées ont soif », le religieux fait son entrée dans le champ des études féministes à réaliser pour parvenir à une réelle libération des femmes. (p. 1)
De fait, poursuit Monique Dumais, je constate qu’un cri pour le changement traverse toute l’oeuvre. [ … ] Le style des Fées ont soif se montre interrogatif et révèle cette recherche d’une nouvelle identité. C’est d’ailleurs la statue qui pose les questions, elle qui sent la lourdeur de siècles de traditions étouffantes pour les femmes. (p. 2-3)
Chus pas rien qu’une sainte (La statue, p.104)
On me recommence sans cesse.
Qui dévisagera mon image ?
N’ai-je point quelque part une fille qui me délivrera ?
(La statue, p.92)
A mesure que les femmes se donneront la parole, leur parole, elles pourront faire connaître comment le salut est à l’oeuvre dans tout leur vécu : leurs jouissances, leurs souffrances, leurs inquiétudes … (p. 5)
Pour moi, les extraits d’analyse de ces deux théologiennes, écrits il y a une trentaine d’années, conservent des parentés avec une réflexion bien actuelle d ‘une théologienne féministe d’aujourd’hui: Ivone Gebara3
En terminant, je me permets de citer un autre extrait situé à la fin de la pièce où souffle un vent de liberté qui donne à espérer et à vivre :
Et me voici devant toi
prête à t’aimer !tomme neuf
prête à être aimée femme nouvelle
me voici cltarnelle ·
et pleine de têtes …
Je suis des sept jours de la semaine
me voici debout
et vivante devant toi
pour rompre toutes les iniquités.
(La statue, p.149)
Comme ils sont invitants ces vers, cette poésie, ces paroles d’hier! C’est comme un pèlerinage à des sources de foi qui sont nôtres.
C’était en 1974, c’était hier .. . et aujourd’hui?
LOUISE GARNIER, PHOEBE