CRÉDO ET LECTURES DE L’ÉVANGILE
Christine Lemaire, Bonne Nouv’ailes
Les membres de L’autre Parole l’ont dit de bien des manières au cours des 28 dernières années : la foi n’est pas un concept monolithique. C’est quelque chose en mouvement et surtout, en constant questionnement.
En laissant une large place aux auteures elles-mêmes, nous aborderons la production des 99 numéros de L’autre Parole en nous concentrant sur deux sujets fondamentaux. Le premier est cette foi, qui se veut une relation à Dieu-e, au transcendant et qui nous place en position d’êtres créées. Le deuxième, c’est notre inspiration de chrétienne, l’Évangile, cette source inépuisable de réflexion et d’action.
I. LA FOI
Images de Dieu
L’autre Parole fonctionne bien dans l’incertitude. Toutes les auteures font le constat que la foi n’est pas un concept facile à cerner. Ginette Boyer fait la comparaison suivante : « Notre foi est un écheveau de laine mêlé… avec lequel nous tricotons lentement une nouvelle façon de comprendre le Dieu des Chrétiennes »1. D’un colloque au cours duquel nous cherchions à déconstruire et à reconstruire les images de Dieu, relevons notamment celles-ci : horizon qui s’éloigne à mesure, mystère. Les sentiments qui accompagnent ces images vont de l’espérance à l’inquiétude et même à l’angoisse, mais toujours il est question de recherche, de quête2.
Dieu n’est pas « notre père qui est aux cieux », mais « un Dieu sur la terre, incarné dans l’histoire, proche des préoccupations humaines ».3 Il ne s’agit jamais d’un Dieu ailleurs, ou au dessus, mais bien d’un-e Dieu-e de l’intérieur et à l’intérieur de nous. Dieu ne peut être enfermé dans une formule unique; il donne à contempler l’image la plus parlante dans l’individualité de la démarche spirituelle. Ainsi, d’autres images, nombreuses celles-là, nous sont proposées : les éléments de la Création, les sentiments et les sens (amour, désir, beauté), le dynamisme (vivre, agir, risquer, communier) ou enfin, son silence qui met en valeur notre autonomie, notre responsabilité et notre liberté.4
Jésus-Christ
Pour les Chrétiennes que nous sommes, Dieu s’incarne en Jésus. La vie du Nazaréen, son parti pris pour les pauvres et les laissés pour compte, est le moteur de cette foi chrétienne : « Nous croyons au message du Christ et à sa Rédemption. Il nous a promis la justice et nous nous raccrochons à cette ancre d’espérance qui va nous donner la force de continuer à demander notre véritable place dans la société et dans l’Église »5.
La Passion de Jésus se poursuit aujourd’hui dans la mauvaise répartition des richesses, dans la pollution des cours d’eau, dans la course aux armements6. Mais pour nous, féministes, elle s’actualise tout particulièrement dans la condition des « femmes victimes d’injustice et de violence »7. D’où l’invitation constante et puissante à l’action. Yvette Laprise nous confie : « Je crois de plus en plus que chaque fois que les femmes se libèrent d’un rapport de domination, elles rendent présent l’appel de Jésus à réaliser la vie en plénitude »8. Jésus est aussi à la source de notre détermination à changer les structures de l’Église. « C’est justement parce que, à la suite de Jésus, nous ne pouvons supporter de vivre notre foi dans des structures pétrifiées et des formules dépassées, que nous essayons d’élaborer (…) une démarche de vie spirituelle stimulante »9 déclareront Réjeanne Martin et Hélène Saint-Jacques.
L’Esprit
L’Esprit, ou bientôt Sophia, court à travers les pages de notre revue. Elle est une force spirituelle. Elle est présente dans la réalité de nos expériences et dans notre désir de justice, présente dans le fait de vivre pleinement, mais surtout présente dans notre ecclésia10. Les descriptions de nos célébrations y font notamment référence. Denyse Joubert-Nantel nous confie, en faisant référence au tirage au sort d’une phrase à méditer :« Comme le hasard, ou plutôt l’Esprit fit bien les choses, ce soir-là, car la phrase réappropriée convenait d’une façon étonnante à sa destinataire! »11 Relatant le colloque de 1997, le groupe Houlda raconte : « Et voici que la présence de Christa se révèle de façon inattendue. Un merveilleux mouvement, qu’aucune des membres de notre équipe n’avait prévu, s’est emparé des femmes de l’assemblée qui, soulevées par une musique envoûtante, se sont laissé entraîner dans une farandole festive improvisée. »12
II. L’ÉVANGILE
La Source
La Bible est, bien sûr, la première référence des Chrétiennes de L’autre Parole. « Être croyante, être chrétienne, adhérer au christianisme, c’est d’abord se référer à l’Évangile de Jésus »13 dira simplement Monique Hamelin. Avant d’être un document, c’est une source à laquelle les auteures vont s’abreuver. À ce titre, une conviction très forte se dégage : les pratiques et le discours de l’Église institution « ne sont pas ceux du Christ »14. Nicole Derôme écrit : « À la lecture des textes de l’Évangile, je ne retrouve aucun précepte dans le message libérateur du Christ qui prône et justifie le sexisme légendaire de l’Église institution ou qui privilégie un pouvoir patriarcal comme mode de relations entre les êtres humains. »15
Les références à l’Évangile ont une ferveur qui transporte, qui nourrit la vie des femmes. En 1983, Jeannine Deroy nous parle du texte des béatitudes : « Les béatitudes ne se laissent pas enfermer dans des structures, elles appellent la compassion du cœur, l’acceptation inconditionnelle, la solidarité, la sororité. Elles nous disent que le salut est au cœur de nos misères et de nos oppressions. »16 Dans un très beau texte du printemps 2000, Lucie Lépine fait l’analyse suivante : « Jésus n’a pas seulement apporté une aide individuelle. Il a contesté un système qui exploitait les pauvres gens, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan religieux. Il ne serait pas mort pour avoir « aidé » seulement. Il a été exécuté parce qu’il a rendu des gens conscients des injustices et qu’il a permis qu’on goûte à un peu de liberté. (…) Jésus a osé dire : « Lève-toi et marche » au risque de sa vie. Le faire aujourd’hui demande autant de courage. »17
Exégèse
La lecture de la Bible doit être lucide, c’est-à-dire consciente du contexte socioculturel dans lequel ces textes ont été écrits. Ainsi, faut-il « constamment faire la part entre les éléments qui oppriment et le fondement du message qui est, lui, libérateur. »18 De plus, « …nous ne saurons jamais ce que les femmes de l’Ancien et du Nouveau Testament nous auraient légué, si elles avaient eu la parole ». 19
Au fil des lectures, des figures se dégagent. Les femmes de l’Ancien Testament cessent d’être des ombres pour marcher dans la lumière et mener, elles aussi, le peuple d’Israël vers sa libération. Dans le Nouveau Testament, la mère de Jésus, Marie-Madeleine et toutes ces femmes à qui Jésus a parlé prennent un visage humain. Dans une analyse de l’Évangile de Jean, Micheline Gagnon écrit :« À de multiples reprises, dans le quatrième évangile, on voit Jésus s’entretenir avec des femmes – et des hommes – telles Marie, sa mère, à Cana et à la croix, Marie de Béthanie et Marie de Magdala, tantôt dans un court dialogue ou dans un silence de complicité profonde, tantôt dans de longues conversations théologiques comme c’est le cas avec la Samaritaine ou avec Marthe. »20
Dialectique
Les auteures de L’autre Parole, ne font pas que lire l’Évangile et analyser. En se laissant porter par la Parole, elles la réécrivent pour l’adapter plus étroitement à leur réalité contemporaine, à leurs expériences, à leur « être de femme »21. Ce qui pourrait paraître audacieux, voire irrespectueux n’est, à leurs yeux qu’une démarche séculaire. Ginette Boyer déclare, d’entrée de jeu : « Ceci dit, il nous semblait pertinent que, comme femmes, nous prenions la parole sur ces textes que l’on a déjà tordus pour qu’ils desservent le pouvoir patriarcal désormais tant ecclésial que séculier. » 22 Cette démarche a donné naissance aux plus beaux textes de la revue, qu’ils soient individuels ou collectifs : les credo, la Genèse, les Béatitudes, le Magnificat, etc. C’est incontestablement la production littéraire qui caractérise le plus notre groupe.
CONCLUSION : UNE FOI VERS L’AGIR.
Cependant, ce qui se dégage avec force de tous les articles de L’autre Parole, c’est, sans conteste, l’impulsion, l’obligation absolue et intime, que tous ces mots doivent servir à changer le monde, à travailler avec un acharnement sans faille à éliminer l’injustice, la pauvreté, l’exploitation des femmes notamment, mais avec elles, de tout le genre humain. Sans ce souffle, sans cette exigence, sans cet espoir porté par tous les textes, ces mots, cette autre parole, ne seraient qu’une cymbale retentissant dans le vide. Lucie Lépine déclare : « Ce que dit le Dieu de la révélation, c’est de sortir l’être humain de sa situation d’oppression, et non de parler de Dieu à l’être humain opprimé »23. Marie-Andrée Roy ajoute : « Nous sommes convaincues que notre Dieue ne nous a pas voulues pauvres, souffrantes, maltraitées mais qu’au contraire, nous sommes appelées à être des sujettes vivantes, « debouttes », dignes. »24
Enfin, écoutons Réjeanne Martin et Hélène Saint-Jacques : « La spiritualité, c’est ce qui fait vivre, ce qui appelle chacune de nous à un plus-être, ce qui projette plus loin que soi… La spiritualité, c’est une composante essentielle de la foi et de son explication théo- ou théalogique. Détachée de l’histoire, de notre histoire, de mon histoire, elle serait myopie et fermeture; elle se confinerait à une idéologie servant de manteaux aux systèmes religieux en vigueur. »25
C’est cette ligne de fond qui distingue la revue L’autre Parole, d’une revue écrite par et pour des intellectuelles. Il y a bien sûr une démarche intellectuelle; il faut d’abord comprendre et déconstruire un discours séculaire pour s’en libérer. Mais rien n’est dit de L’autre Parole, une fois que l’on a dit cela. L’autre Parole, sa foi, son moteur, son esprit, se trouve du côté de la reconstruction, de l’agir, de l’espoir en un monde meilleur et de l’engagement à le construire.