Lettres et sons – Mary et Elin Sodestrom – une mère et sa fille
La mère est romancière et essayiste, la fille est musicienne et spécialiste de la basse de viole. L’une est Québécoise d’adoption depuis 1968, l’autre est née au Québec et toutes deux, chacune à leur manière, participent à la transmission du passé. Elles sont des relais, des messagères des petits et grands moments de l’histoire. Batailles politiques, luttes pour préserver les végétaux, rappel de la musique et des instruments anciens, rien n’échappe à ces intérêts qu’elles veulent nous faire partager.
Les lettres…
Mary Sodestrom écrit en anglais. Cependant, son roman: Robert Nelson, le médecin rebelle et un recueil de nouvelles L’autre ennemi ont été traduits en français. C’est donc avec impatience qu’est attendue la traduction de Endangered Species de même que celle de son essai sur les jardins botaniques.
Avec l’été, époque d’escapades par excellence, j’ai choisi de vous entraîner dans les allées sinueuses et ensoleillées de neuf jardins botaniques : Leiden aux Pays-Bas, Paris, Londres, Singapore, St-Louis – Missouri, New York, Montréal, San Francisco et Vancouver , en vous rappelant l’histoire naturelle de ces jardins. En effet, Recreating Eden – A Natural History of Botanical Gardens n’est pas qu’un simple guide de jardins créés aux temps des grands empires et durant les 19e et 20e siècles. Comme son titre l’indique, nous sommes conviés au sens premier des jardins. Sodestrom nous rappelle que ces grands espaces ont été mis en place pour rassembler tout ce que Dieu a créé, pour servir de bibliothèque vivante et recréer, en quelque sorte, l’Éden perdu.
C’est donc un récit sur l’évolution des jardins au fil de 400 ans d’histoire. La petite histoire, derrière la grande, est souvent la plus instructive de l’époque. Ainsi, le début du jardin de Leiden devrait être source d’inspiration à maints politiciens à courte vue. Qui de nos jours choisirait pour sa ville la création d’une université au lieu d’un congé de taxes de quatre ans ? C’est pourtant ce que fit le maire de Leiden et c’est de là qu’est né Hortus Botanicus.
Sodestrom rappelle les grandes questions des premiers explorateurs. Nous imaginons difficilement comment ces voyages d’exploration sur d’autres continents pouvaient chambarder les croyances et le savoir des explorateurs. La flore et la faune étaient si radicalement différentes de celles qu’on retrouve en Europe. Était-ce une autre création, une deuxième création, antérieure ou postérieure à la première?
Qu’ils soient créés à des fins de recherche (Jardin des plantes à Paris), pour le plaisir (Kew à Londres), pour lutter contre le chômage (Jardin botanique de Montréal) ou pour assurer la conservation de la flore indigène d’un territoire (Helene Strybing, Californie ), les jardins sont là pour l’avenir.
Sodestrom termine son histoire naturelle des jardins botaniques en rappelant qu’au moment où quelque 50 % de la population se retrouve dans les grandes agglomérations, les jardins botaniques auront une place des plus importantes dans l’imaginaire et dans la vie. Ce n’est plus la volonté de recréer le jardin perdu qui prévaudra mais celle d’assurer un contact avec la nature afin de permettre aux générations futures de retrouver ces sensations de bien-être qui découlent de la vue des arbres et des prés. Car où se trouvent arbres et herbes sauvages, l’eau, source de vie, n’est pas loin
Dans la biographie romanesque de Robert Nelson, le médecin rebelle, Sodestrom met en scène tout autant ses amours et le quotidien de certaines femmes que le contexte politique et social de l’époque des Patriotes.
Pour l’écrivaine, l’importance de Robert Nelson, ce fils d’instituteur anglais, né en 1794, sur une ferme près de Sorel, découle entre autres du fait qu’il est l’auteur d’une Déclaration de la République du Bas-Canada. Déjà, en 1838, étaient revendiqués le scrutin secret, la séparation de l’Église et de l’État, l’éducation publique, les procès avec jury, les pleins droits de citoyenneté pour les Indiens, le suffrage universel et un statut officiel pour le français et l’anglais. Ces grands principes démocratiques ont requis de longues années de lutte avant leur mise en application au Québec.
Quant à moi, j’ai aimé lire – tant dans la trame romancée que dans les fenêtres qu’ouvre l’auteure dans son roman – comme si nous naviguions sur le WEB – ses descriptions d’opération, d’accouchement, de l’usage de l’opium sans jamais sentir la leçon de choses. Les moeurs politiques de l’époque tout comme les pratiques électorales ne laissent pas de nous surprendre. L’auteure sait insérer également avec doigté les petits détails de la vie quotidienne des femmes. Nous nous reconnaissons dans ces gestes et nous nous surprenons en train de sourire en lisant certains passages.
Au moment des Troubles de 1837. Sodestrom nous lance sur une lecture autre des rapports francophones-anglophones. Elle nous rappelle le rôle majeur joué par certains anglophones et en plus, nous amène à réfléchir sur le quotidien des femmes et des rapports hommes-femmes en ces temps troublés. Ce sont d’autres fenêtres qu’elle ouvre pour nous.
Et les sons…
Le son plaintif de la viole vous attire ou vous ne le connaissez pas, alors laissez-vous tenter par la musique présentée par un tout jeune trio : Masques. C’est là qu’évolue Elin Sodestrom. Masques a été formé à Montréal en 1998 et se dédie à l’interprétation de la musique de la Renaissance et de l’époque baroque.
Ce jeune trio, auteur de Matthew Locke – Consorts in Two Parts, est sorti gagnant de par l’excellence de son travail, du Grand Prix du concours Dorian-EMA, qui lui a valu un enregistrement CD Consorts ce sont de petits ensembles jouant de la musique composée surtout avant 1700 quoique Marin Marais nous laisse quelques trésors datant du 18e siècle. Dans le cas présent, vous retrouverez violon baroque, orgue de chambre et basse de viole.
Si vous ne connaissez pas la musique du 17e siècle, une bonne façon d’apprivoiser ses instruments c’est peut-être de commencer par l’audition des plages de Pavanes. On peut les apparenter aux adagios. Leur rythme lent permet de repérer chacun des instruments et l’histoire musicale qu’ils transmettent. Par la suite, vous vous laisserez transporter des rythmes endiablés aux rythmes plus lents en retrouvant la basse de viole au détour des phrases musicales.
Lettres et sons, une mère et sa fille, une écrivaine et une musicienne dont nous attendons les prochaines productions.
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NOTES
Sodestrom, Mary. Robert Nelson, le médecin rebelle. Éditions de L’Hexagone, 1999. Traduction de Robert Nelson & the Rebellion of 1837 – The Words on the Wall, Oberon Press, 1998.
Sodestrom, Mary. L’autre ennemi. Traduit de l’anglais par Michel Saint-Germain. Éditions de L’Hexagone, 2000. Titre original : Finding the Enemy. Oberon Press, 1997.
Sodestrom, Mary. Endangered Species. Oberon Press, 1995.
Sodestrom, Mary. Recreating Eden – A Natural History of Botanical Gardens. Véhicule Press, 2001.
Monique hamelin, Vasthi