CE TEMPS QUI EST LE MIEN
Judith Dufour
Parfois je m’entends me dire à moi-même: dans mon temps, les étés étaient plus longs. D’autres fois, je me surprends à répéter en choeur: dans notre temps, les enfants étaient mieux élevés et je multiplie à l’infini, si je n’y prends garde, mes exclusions de ce temps présent qui est aussi le mien.
Plus long temps passé qu’à venir, ô combien il m’est précieux ce temps qui court si vite! Aujourd’hui une saison finit avec le soleil qui tombe dans le lac et je range mes bikinis. C’est là, à présent, mon horloge. Encore une saison au débit de ma vie! Comme sur une photo de famille élargie, je me glisse à l’arrière, regardant toujours d’un peu plus loin, d’un peu plus haut… en possession d’un temps allongé, étiré par cette distance de la scène, par les heures de veille la nuit, par cette espèce de troisième dimension que mes actes ont acquise quand, en les accomplissant, je revois les mêmes gestes posés, autrefois, autrement.
Égale à moi-même et toujours un peu plus différente, je rentre dans un peu plus de passivité, un peu plus de silence, un peu plus d’intériorité. Loin du brouhaha du temps social marqué au sceau de la vitesse et de la quantité, je m’installe dans le regard!
Arrivée sur la ligne de feu de l’aventure humaine, ce sont là des façons de m’inscrire dans son cours et de marquer, aujourd’hui, ce temps qui aura été et sera le mien tout au long de ma vie.