A PROPOS DES RELIGIEUSES ET DU MOUVEMENT FEMINISTE
Jusqu’à date le mouvement féministe a peu tenu compte de la réalité vécue par nombre de femmes au Québec, c’est-à-dire la vie religieuse. Pourtant les femmes religieuses représentent en quantité et en qualité un aspect important de la vie des femmes du Québec ou, autrement dit, elles font, elles aussi, partie du paysage, du pays réel.
Dans le passé elles ont largement contribué à l’établissement du Canada français et ce, dès ses or1g1nes. Courage, audace et générosité ont marqué leur action. On parle fièrement de Marguerite Bourgeoys, mère d’Youville, Mère Marie de l’Incarnation, etc. D’ailleurs, pendant longtemps elles furent parmi les femmes les plus ins truites et les plus dynamiques de la société canadienne-française. Les femmes mariées d’alors, épouses de paysans ou de petits artisans avaient rarement la possibilité de faire carrière, leurs devoirs « d’épouses et de mères » les accaparant à temps complet.
Nous reconnaissons sans ambages les talents multiples des religieuses: administratrices, économes, supérieures de communautés nombreuses, directrices d’hôpitaux, d’écoles, enseignantes, infirmières, musiciennes. Encore aujourd’hui les religieuses représentent une part importante des femmes sur le marché du travail; on les voit un peu partout dans différents secteurs d’activités et fréquemment leurs hautes qualifications leur permettent d’exercer des fonctions importantes. Bref il y a encore beaucoup de femmes instruites et dynamiques qui se retrouvent chez les « bonnes soeurs ».
Au début j’ai dit que le mouvement féministe québécois avait peu tenu compte de la réalité de la vie des religieuses, mais je dois faire remarquer également que les religieuses sont singulièrement absentes du mouvement de libération des femmes. On pourrait presque les compter sur les doigts de la main, les religieuses qui y sont impliquées.
Du fait de leur célibat consacré, les religieuses ont été libérées d’un certain exercice du pouvoir patriarcal, la domination du mari par exemple. La contraception, l’avortement, les garderies, la double exploitation du travail salarié et du travail ménager n’ont pas alourdi leur vécu quotidien. Comparées à nos mères de famille elles furent singulièrement libres. Encore aujourd’hui elles jouissent d’une liberté privilégiée. Mais il semble que cette liberté ne leur a pas donné le goût de partager les luttes de libération des femmes d’ici.
Certes les religieuses ont dans le quotidien des difficultés spécifiques liées à leur mode de vie. La vie communautaire n’a pas que des avantages, la libération n’est pas définitivement acquise. Les voeux de pauvreté, chasteté et d’obéissance ne sont pas toujours faciles à traduire pour ces femmes de chair, de sang et de coeur. La division entre travail manuel et travail intellectuel existe également à l’intérieur des communautés.
Il fut un temps où on disait que les « soeurs » étaient hors du monde, maintenant qu’elles sont « parmi » le monde, c’est solidaires des femmes de ce monde que nous les souhaitons.
Certains facteurs peuvent expliquer le peu d’intérêt des religieuses aux luttes de libération des femmes: la moyenne d’âge par exemple. Comme la plupart des femmes de 50 ans, les religieuses qui ont cet âge ne sont pas intéressées par les activités féministes. Mais je persiste à croire qu’il existe de nombreuses religieuses qui pourraient contribuer efficacement à la libération des femmes du Québec. Les 30-40 ans par exemple me semblent bien silencieuses.
Je pense que les luttes pour que cessent les différentes formes d’oppressions des femmes sont un « signe des « temps11 pour la libération humaine. Et je souhaite que la fraction des femmes du Québec qui d’une certaine manière est privilégiée contribue à cette libération. De plus, je suis persuadée que nous aurions mutuellement avantage à nous connaître, à nous solidariser. Nous, les femmes de la même Eglise et de la même société, célibataires, religieuses, mar1ees, pouvons collectivement participer à la transformation radicale du monde. En rompant avec l’isolement qui nous sépare, nous aurions je pense, plaisir à partager, à dire nos vécus. L’Autre Parole a besoin de toutes les voix!
Marie-Andrée Roy