Vers un militantisme d’un groupe d’intérêt

Vers un militantisme d’un groupe d’intérêt

Louise Desmarais, Vasthi

 

Dans sa thèse, Comment le projet de laïcité québécoise est défavorable aux femmes, Johanne Philipps[1] met en lumière une réalité occultée pour ne pas dire ignorée : à savoir que le champ religieux est un lieu de non-droit pour les femmes. La démonstration est magistrale et ne laisse aucun angle mort. Le constat fait mal : au Québec, les femmes croyantes ne sont pas des citoyennes à part entière ; au nom d’une certaine conception de la laïcité, l’État, censé être neutre, cautionne et favorise des pratiques sexistes et discriminatoires envers elles.

Dans le chapitre 6, l’autrice fait un tour d’horizon de l’agentivité des féministes chrétiennes québécoises qui permet de constater à quel point leurs luttes dans le champ religieux sont méconnues. Porté principalement par trois groupes (L’autre Parole, l’Association des religieuses pour le droit des femmes et le réseau Femmes et Ministères), le militantisme de ces féministes chrétiennes se caractérise par un militantisme discursif et s’exerce surtout à l’intérieur de l’Église-institution et des diverses communautés d’appartenance de leurs membres. Le recours aux pratiques liées au militantisme d’un groupe d’intérêt, tels la dénonciation publique, la représentation politique, les recours judiciaires, utilisées dans la société civile est peu fréquent. Elle conclut que malgré tous leurs efforts, les féministes chrétiennes « ont été incapables de faire bouger les autorités religieuses. Leurs tentatives de défaire le cadre patriarcal des structures catholiques et ainsi de faire plus de place aux femmes dans l’institution n’ont eu aucun succès » (p. 261).

Ce constat m’interpelle. S’il est vrai que plusieurs facteurs expliquent l’échec de tous ces efforts, réalisés dans un environnement hostile, il nous oblige à envisager d’autres avenues pour changer les choses, réellement. L’une d’entre elles consiste à donner plus d’importance au militantisme dit « d’un groupe d’intérêt ». Pour conquérir la citoyenneté religieuse, avenue que l’autrice explore dans le chapitre 7, il faut agir politiquement au sein de la société civile, et inscrire la lutte contre le patriarcat religieux comme une dimension incontournable des luttes féministes contre le système patriarcal.

À cet égard, il est impératif de prendre acte que c’est le recours aux tribunaux civils qui a permis de faire éclater publiquement le scandale des agressions sexuelles envers des enfants et qui ont conduit à des condamnations. En sortant de l’ombre, les victimes ont obligé l’Église à reconnaître l’évidence : ce qu’elle qualifiait de simples écarts de conduite, de gestes inappropriés étaient en fait des crimes contre la personne et qu’ils devaient être punis selon les lois civiles. Ces condamnations ont entraîné des enquêtes publiques dans différents pays et rendu désormais impossible la dissimulation. Du même coup, l’État est contraint d’intervenir.

En tant que femmes, en tant que féministes chrétiennes, il est inutile et stérile d’attendre que l’Église, cette institution patriarcale et sexiste, finisse par comprendre et entendre notre parole « autre ». Nous devons cesser d’agir en respectant les règles qu’elle impose et dont la plus importante est le silence. Nous devons cesser de chuchoter ce qui doit être dénoncé tout haut. Seule l’action de forces externes civiles combinées à des alliances féministes de femmes croyantes et non croyantes nous permettra de changer les choses.

La thèse de Johanne Philipps ouvre de nouvelles voies, de nouvelles perspectives d’action pour sortir de l’impasse.

[1]Johanne PHILIPPS, Comment le projet de laïcité québécoise est défavorable aux femmes. L’urgence de briser une évidence, thèse doctorale,Université de Montréal, 2019. Disponible en libre accès à l’adresse : http://hdl.handle.net/1866/24791.