MÉDITATION SUR LES SENS DE LA MORT
Marie-Josée Riendeau
La vie et la mort sont indissociables. Elles ne sont rien l’une sans l’autre. La vie ne peut pas vivre sans mourir et la mort ne peut pas être sans la vie. De la petite cellule au gros cétacé, de l’infime brin d’herbe à l’arbre grandiose, de la minuscule fourmi à la colossale géante, tout ce qui vit traverse un temps, écrit une histoire et meurt. Naturellement, il y a d’autres cellules. Il y a encore des baleines. Des arbres, il en reste. Des colossales géantes, j’en ai rencontrées aux États-Unis. À chaque instant, ces manifestations de la vie naissent, meurent et se renouvellent de génération en génération. Il en est ainsi depuis le début. Alors, pourquoi s’angoisser?
Parce que l’espèce humaine est particulière. Elle refuse la fatalité de la mort. Elle en cherche le sens et elle en fabrique. C’est la seule vie qui pense à la mort en rêvant d’immortalité.
D’abord, il y a la vie qui anime tout le corps. Du bout des cheveux jusqu’à la pointe des orteils, elle est là, présente dans le mouvement incertain des premiers pas. Elle est palpitante dans le battement de cœur des amoureuses. Elle est intense dans le souffle qui éteint les 60 bougies. La vie est là dans les rides, dans les cheveux gris et dans la décrépitude. Petit à petit, la vie s’essouffle et compte ses pas mais, jusqu’à la dernière minute, elle est au rendez-vous. Ensuite, il y a la mort qui éteint tout le corps. À l’extérieur comme à l’intérieur, elle est là, présente dans la rigidité des membres, dans le silence du cœur et dans l’absence du souffle. C’est la finitude, la limite de la vie.
Il y a les survivantes et les survivants. Ces femmes et ces hommes qui, à partir de leur corps et de leurs sens, entrent en relation avec la mort. Quelquefois, ils perdent l’appétit parce que les émotions sont trop intenses. Ce sont eux qui, jour et nuit, touchent et soignent ce corps souffrant, qui regardent et voient s’effriter cette vie, qui écoutent et entendent ses derniers bruits, qui sentent et respirent l’odeur de la maladie et de la mort. Vivre avec la vie qui meurt c’est un corps qui en rencontre un autre; une main tendue, un regard complice, un silence écouté. C’est aussi une expérience qui secoue les assises de l’identité et qui fait jaillir, à la surface des priorités superficielles, l’essentiel qu’est de vivre, de respirer l’instant de la vie.
Il y a des zones sombres où la vie et la mort sont manipulées. Des espaces clos où la vie utilise la vie pour en tuer d’autres comme les laboratoires clandestins, les usines chimiques, les centrales nucléaires. Mais il y a aussi, des lieux privilégiés où on décide des guerres, des famines, de l’emplacement des déchets toxiques, de la déforestation. Il existe des endroits sous éclairés où la vie exploite la vie jusqu’à la mort comme l’esclavagisme, la prostitution, la toxicomanie. Mais il y a aussi des foyers où la vie méprise la vie jusqu’à la mort comme la violence conjugale, le racisme, le sexisme. Il en résulte des veuves et des orphelins à cause des guerres et des famines; des gens malades à cause de la mauvaise qualité de l’eau et de l’air; des personnes qui meurent pour rien d’une surconsommation de drogue, d’une cirrhose du foie, d’un cancer du poumon, d’avoir été trop battues.
Heureusement, il y a une zone de lumière où la vie et la mort entrent en dialogue. Un espace ouvert où la vie cherche un sens à la mort, où les vivantes et les vivants fabriquent du sens en célébrant la mémoire des défunts à travers des gestes, des paroles, des signes, des rites et des symboles. Il existe un endroit à l’intérieur ou à l’extérieur du corps et des sens où la vie et la mort se rencontrent. C’est un signe de croix, une prière à l’hôpital, une chapelet au salon funéraire, une messe chantée à l’église ou une visite au cimetière. Ce sont des espaces spirituels où les survivantes et les survivants prolongent la vie en éternité.