Le féminisme sororal
d’Élisabeth Turgeon (1840-1881)
Léona Deschamps, sœur Notre-Dame du Saint-Rosaire, Houlda
Le 3 avril 1875, Élisabeth Turgeon, la frêle campagnarde de Beaumont arrive à Rimouski à la demande de monseigneur Jean Langevin, soucieux de l’instruction et de l’éducation chrétienne des jeunes de son grand diocèse.
Il souhaite la création d’un institut laïque, mais l’appelée y fonde une communauté religieuse, les sœurs des Petites-Écoles — dites sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire à partir de 1892, les autorités religieuses souhaitant un nom plus religieux. Les sœurs des Petites-Écoles se dévoueront dans les paroisses, mais seulement après l’obtention de l’émission des vœux de religion, le 12 septembre 1879. Élisabeth croyait en la nécessité d’un enseignement par des religieuses pour assurer la viabilité de la profession, car en se mariant et, principalement avec l’arrivée des enfants, les femmes se retireraient de l’enseignement. Entre 1875 et 1879, la pédagogue prépare 12 consœurs à l’art d’instruire les enfants.
Nommée supérieure de la nouvelle communauté religieuse, Élisabeth démontre son intention de se considérer vraiment « sœur au milieu de ses sœurs ». Elle brode sur canevas et expose la supplique suivante :
O Marie, tendre Mère, défendez dans le combat la petite famille dont vous êtes la Mère et la première supérieure (Archives R.S.R.).
De plus, dans un élan sororal, elle propose que l’on dise chaque jour trois ave pour les sœurs en mission à Saint-Gabriel depuis le 2 janvier 1880.
Quant à moi, mes chères Sœurs, vous savez que je vous porte dans mon cœur, je désire, je souhaite et surtout je prie Jésus, Marie et Joseph de vous tenir compagnie et de vous être Père, Mère, Frères et Sœurs (Extrait d’une lettre aux Sœurs de sa communauté, janvier 1881. Archives R.S.R.).
Malgré une santé fragile et à l’encontre de l’avis du médecin, Élisabeth juge, comme fondatrice des sœurs des Petites-Écoles, qu’elle se doit de soutenir les responsables lors de l’ouverture de nouvelles écoles. En janvier 1881, elle accompagnera les sœurs qui se dévoueront à Port-Daniel et à Saint-Godefroi et les aide à s’installer dans ces écoles de la lointaine Gaspésie.
Si la pauvreté était grande, Élisabeth valorisait la santé. Ainsi, en mars 1881, elle écrit :
Du courage mes chères Sœurs ! Et surtout prenez soin de votre santé, c’est avec la vertu, le trésor des Sœurs des Petites-Écoles (Archives R.S.R.).
Élisabeth encourage, console et invite ses sœurs à exprimer leurs besoins tout en les priant de prendre leur diner et leur repos mérité. Ainsi, le 26 octobre 1880, elle écrit à une responsable :
Dites-moi donc, tout bonnement, si nos Sœurs de Port-Daniel ont l’air de s’ennuyer beaucoup, et si elles paraissent vivre contentes l’une de l’autre.
En conclusion, le féminisme sororal d’Élisabeth Turgeon s’exprime encore puisqu’en 1995 des sœurs de sa congrégation participent à la Marche du Pain et des roses, dénonciatrices de la pauvreté et de la violence dont sont victimes les femmes.
En l’an 2000, lors des manifestations de la Marche mondiale des femmes, des sœurs participent à l’activité avec les femmes de leur milieu et approfondissent en communauté les valeurs promues : égalité, liberté, solidarité, justice et paix.