Spiritualités féministes : œuvre majeure d’une
théologienne féministe et intellectuelle engagée
Monique Hamelin, Vasthi
Avertissement
Avant de répondre à la question : « Qu’est-ce qui fait de Spiritualités féministes une œuvre majeure ? », deux remarques s’imposent.
Premièrement, n’étant ni théologienne ni sociologue des religions, c’est par une longue pratique du féminisme, une force vitale qui m’anime depuis quelque soixante ans, que j’ai abordé cette lecture. Depuis mon adolescence, au cours de mes études (philosophie, psychologie, criminologie), au travail (UdeM, programme d’accès à l’égalité en emploi, Conseil du statut de la femme, agente de recherche) et comme militante, le féminisme a été et est toujours présent dans toutes les facettes de ma vie.
Deuxièmement, je connais l’autrice, nous sommes membres de la même collective. Je crois malgré tout que je peux objectivement souligner certaines des grandes forces de cet ouvrage et les questions qui m’habitent pour la suite. Je vise aussi à susciter de l’intérêt pour que vous, lectrices et lecteurs de notre revue, entrepreniez ce voyage proposé par Denise Couture.
Une œuvre majeure
En commençant la lecture de Spiritualités féministes, j’ai été saisie par la clarté de l’écriture, par l’ampleur du projet : « offrir une synthèse de théologie féministe en contexte québécois » (p. 7) et par l’intention existentielle de l’autrice :
[…] faire un retour sur les idées fortes que j’avais développées dans le domaine, les rassembler et les relier entre elles. Dans la foulée du slogan féministe Le personnel est politique… et théorique, la démarche m’a amenée à relire mon histoire de vie, mes engagements et mes postures théoriques et à construire des liens entre ces dimensions (p. 8).
L’essai entre nos mains est conforme au projet énoncé. Tout comme cela s’était passé en lisant Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir (lu en 1967) et Against our Will : Men, Women and Rape de Susan Brownmiller (publié et lu en 1975) ou lors des discussions sur la théologie féministe de la libération à L’autre Parole en 19841, quelque chose de fondamental est arrivé, j’ai eu des mots pour le dire, un cadre théorique m’était donné pour parler de Spiritualités féministes — Pour un temps de transformation des relations.
À la suite de cette première lecture de Spiritualités féministes, je reste marquée par ce rappel d’une formule de Christine Delphy sur la lutte féministe. Elle « consiste autant à découvrir les oppressions inconnues, à voir l’oppression là où l’on ne la voyait pas, qu’à lutter contre les oppressions connues »2.
J’utiliserai cette grille de Delphy pour vous présenter quelques-uns des éléments les plus marquants. Denise Couture nous permet de faire des liens entre nos expériences et nos réflexions éparses faites au fil des années. Elle nous donne des clés pour défricher notre propre chemin en reconnaissant l’abus et le refusant (p. 165). C’est un chemin exigeant et pas toujours facile puisqu’en maintes occasions, il demande un changement radical de perspective et d’être à contre-courant de la majorité.
Découvrir les oppressions inconnues
L’autrice propose entre autres, en s’appuyant sur de nombreuses penseuses, de :
- Reconcevoir la Trinité et pas seulement Dieu, le Fils et l’Esprit
- Déconstruire le fondamentalisme catholique romain du Vatican en combattant l’appropriation, la distanciation et la subordination des femmes. Elle veut briser l’apartheid des femmes dans l’Église catholique
- Demander à l’État de ne pas se faire le complice de la discrimination fondée sur le sexe par les religions, car il n’est pas naturel qu’existent des zones de non-droits des femmes dans les
Dieue, Christa et le Souffle
Dans le chapitre 3, nous suivons l’autrice au cœur du projet de déconstruction-construction des symboles féministes chrétiens. Dire Dieue n’est pas nécessairement, quoique cela se peut, faire référence à un divin féminin. Cela réfère aussi aux féministes qui veulent aller au-delà de la binarité. Dire Dieue, c’est remettre en question les relations de domination et en reconstruire de nouvelles. Je n’avais pas fait tous ces liens. C’est libérant !
Dans ce même chapitre 3, après avoir cerné différentes facettes de Dieue, le processus de déconstruction-reconstruction se continue avec Christa et la ruah ou le Souffle. Et nous avons une relecture de la Trinité.
Pour Christa, elle note que la collective L’autre Parole lui donne « un sens plus large que celui d’une femme en souffrance ». (p. 106) L’incarnation est dans la jouissance et pas que dans la souffrance. « [L’] incarnation de la Dieue en Christa dans les vies et dans les corps des femmes » (p. 109) défait la hiérarchisation, la kiriarchie où les femmes sont dominées, oppressées et soumises. S’écroule, « la pyramide théologique ou organisationnelle, construite par le Vatican » (p. 109). Et la ruah anime le corps des femmes. « Elles traduisent la trinité classique Père, Fils et Esprit par la triple action : créatrice, libératrice et vivifiante » (p. 113- 114). Une libération !
Le Vatican comme un promoteur de l’apartheid des femmes
Le Vatican fait une séparation entre le groupe des femmes et celui des hommes, il subordonne le groupe des femmes au groupe des hommes. Voir à ce sujet le chapitre 5 intitulé : Déconstruire un phallocentrisme religieux : étude de la politique du Vatican. Pour l’autrice, « Une tâche incontournable des critiques féministes consiste à déconstruire un féminin idéal prescrit à toutes femmes, qui les asservit (p. 183) ». L’autrice démontre comment la dissimulation pratiquée par le Vatican est réussie, car les réactions de déni sont vives chez plusieurs femmes. Ce n’est pas de tout repos et l’autrice en a fait l’expérience. Ces réactions me rappellent celles entendues devant les analyses dénonçant les violences sexuelles à l’égard des filles et des femmes et, enfin, la violence intrafamiliale. La résistance à la découverte d’oppressions inconnues est une stratégie de survie pour certaines.
L’État ne doit plus trouver naturelles des zones de non-droits pour les femmes dans les religions. Un renversement de perspective est ici demandé, il faudra la solidarité des féministes catholiques, des féministes de la société laïque et des forces progressistes dans la société afin que l’État adopte ce changement de perspective. Quelle que soit leur religion, les femmes n’ont pas à céder leurs droits à l’égalité, à la réflexion, à l’action et à l’intervention dans le domaine du sacré. Comment réussir à faire changer le rapport de force ? Les autrices citées privilégient que l’État intervienne directement. Je pose la question : ne faudrait-il pas privilégier une autre stratégie, une méthode indirecte ? Pourquoi ne pas revoir ce que nous enseigne l’histoire des grandes luttes d’hier et d’aujourd’hui pour la défense des droits ? Faire une brèche qui permet le ralliement des forces civiles ne serait-il pas plus simple à obtenir ? L’État énoncerait alors qu’il ne peut soutenir d’une main le contraire de ce qu’il promeut de l’autre. Il ne dicterait pas une règle de conduite, il donnerait la sienne. Mais, quelle que soit la méthode privilégiée pour mener la lutte, c’est une magnifique ouverture que de rendre visible l’invisible afin que cesse la discrimination à l’égard des femmes et des minorités sexuelles dans les religions.
Voir l’oppression là où on ne la voyait pas
Sur la question du colonialisme au Québec et au Canada, Denise Couture rappelle que : « Nous ne nous voyions pas nous-mêmes comme partie prenante d’une politique et d’un christianisme coloniaux » (p. 67). Nous devons beaucoup aux travaux de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2009-2015) pour le chemin parcouru, mais la route est encore longue avant la réconciliation. L’autrice trace une route dans le chapitre 2 pour nous aider « comme blanche à [se] dire sans passer par l’acte de définir l’autre » (p. 79).
Lutter contre les oppressions connues
Pour les femmes catholiques romaines, le modèle idéal donné aux femmes est Marie, vierge et mère. Les féministes chrétiennes ont cherché à redonner à Marie de Nazareth, la jeune fiancée de Joseph, puis la mère de Jésus, son humanité. Voir Marie comme une amoureuse ayant connu une sexualité épanouie, c’est tout un défi (p. 120-129)3.
En conclusion
En 247 pages, dans un langage clair et précis, Denise Couture nous offre une somme de savoirs et de pistes pour la poursuite de la longue marche des femmes dans l’histoire, plus particulièrement pour les femmes qui privilégient la voie des spiritualités féministes.
Le travail à venir reste vaste, la table est mise pour un travail avec soi, sur soi, de déconstruction-construction dans un temps de transformation des relations, un temps d’alliances des forces vives pour l’avancement du respect des droits des femmes dans les religions. L’autrice indique que nous avons « la responsabilité d’ouvrir les yeux » (p. 209) sur la politique de subordination des femmes aux hommes par le Vatican. Il faut le dire haut et fort et « défaire l’évidence tenace de la naturalité d’une zone de non-droits des femmes dans les religions » (p. 212). De plus, l’État ne peut offrir des avantages ou des bénéfices fiscaux à des organisations religieuses ou civiles qui poursuivent des politiques contraires à celles qu’il promeut. L’État ne peut soutenir indirectement ce qu’il défend directement quand il est question entre autres des droits des femmes.
1 Voir « La théologie féministe – Le printemps de l’Église », L’autre Parole, numéro 26, mars 1985 https://www.lautreparole.org/wp-content/uploads/2010/09/1988_09_0009p_1985n26.pdf
2 Christine DELPHY. « Nos amis et nous », Questions féministes, no 1, 1977, p. 21-49 cité par Denise COUTURE dans Spiritualités féministes – Pour un temps de transformation des relations, p. 15.
3 Notons également que la théologienne Marie Gratton a fait une minutieuse déconstruction des quatre dogmes catholiques sur Marie, mère de Jésus. Voir Marie GRATTON, « Marie ou l’utopie faite femme », L’autre Parole, no 153, p. 16-37 et Denise COUTURE, chapitre 3 « Reconstruire des symboles féministes chrétiens – Marie » dans Spiritualités féministes (p. 120-129).