Accompagnement spirituel des femmes en prison

Accompagnement spirituel des femmes en prison

Mariannick Lapierre, Phœbé

Lorsque je me présente et parle de mon milieu de travail, on me pose souvent la question suivante : « Pourquoi ? Qu’est-ce qui t’a menée là-bas ? » À cela, je réponds toujours que je n’ai pas l’impression d’avoir choisi ce milieu. Au contraire, c’est lui qui m’a choisie, ou plutôt qui m’a été offert comme une grâce. Bien naïvement, lorsque j’ai accepté de plonger dans le milieu carcéral, d’abord comme stagiaire dans le cadre de ma maîtrise en théologie pratique, je m’étais dit que ces femmes incarcérées, ces criminelles, étaient tellement loin de moi que je ne pouvais qu’apprendre à leur contact. Cette expérience d’animation pastorale m’a offert une première leçon de proximité et d’altérité ce qui m’a grandement transformée. Ce stage s’est ensuite changé en contrat ce qui m’a permis de continuer d’œuvrer dans ce milieu si riche. Par ce texte, je souhaite témoigner des apprentissages que j’ai fait et de vous partager les petites sagesses après mes deux premières années dans le milieu de la détention.

Dans l’encadré 1, à la fin du présent article, je vous présente quelques éléments importants pour comprendre non seulement mon milieu de travail, mais plus particulièrement la clientèle des femmes en détention dans les établissements provinciaux.

Mon rôle et celui de mon collègue aussi animateur de pastorale est de répondre aux besoins spirituels des personnes incarcérées. Nous accordons un accueil inconditionnel et une attention individualisée aux personnes incarcérées, favorisons l’ouverture aux valeurs spirituelles, contribuons au développement, au respect et à la considération des valeurs humaines, élaborons, implantons, et consolidons un programme structuré d’activités pastorales intégrées à la vocation de l’établissement de détention. L’activité spirituelle est définie dans la Loi sur les services correctionnels (article 45) comme visant « à aider la personne contrevenante à trouver un sens à sa vie, à développer son bien-être physique, psychologique et social et à s’épanouir en tant que personne, tant sur le plan moral que religieux »1. Plus concrètement, au quotidien, je réponds, dans un premier temps, aux demandes variées qui sont acheminées au service de pastorale par mémo2. Les femmes demandent de venir à la chapelle, entre autres, pour se confier, se recueillir, être soutenues dans leurs démarches, avoir un moment d’arrêt et de calme, ou recevoir des objets spirituels ou religieux. Des groupes se déplacent également à la chapelle afin de prendre part aux activités pastorales (messes, ateliers bibliques, activité de chant populaire, cercle de parole, etc.). Nous nous rendons également dans les secteurs d’hébergement afin de rendre visite aux femmes dans leur milieu de vie. Enfin, en cas de crise (crise suicidaire, annonce du décès d’un proche), il n’est pas rare que notre aide soit sollicitée afin d’ouvrir un espace d’accueil et d’écoute pour la personne concernée.

Faisant plusieurs centaines de rencontres par année, j’ai pu accompagner une vaste gamme de personnalités, de besoins et d’histoires. Elles m’ont permis de m’éloigner du portrait stéréotypé de la criminelle qui avait été imprégnée en moi par les médias et les fictions. Pour accompagner ces femmes, j’ai compris rapidement que cela demandait une véritable transformation de soi. J’ai donc entrepris un travail de déconstruction de mes propres préjugés afin de pouvoir me laisser toucher par leur unicité et leur beauté. Le point de départ a été une profonde réflexion sur ma façon d’entrer en relation avec autrui, qui comprend autant ma manière de recevoir le pont que crée l’autre vers moi et celui que je construis vers l’autre, le tout dans un contexte où les violences carcérales et les jeux de pouvoir règnent. En effet, ma manière d’agir était déterminante quant au maintien d’autrui dans une position de subordonnée. En portant mon regard sur ce qui peut émerger en moi dans mon rapport à l’autre et au monde, j’ai été invitée à questionner le cadre institutionnel et théologique construit sur des modèles patriarcaux visant le maintien du contrôle sur l’individu. Les approches féministes m’ont permis de m’interroger sur la notion de l’altérité en mettant en lumière les structures relationnelles de domination et m’ont proposé des moyens de procéder à un changement de perspective pour tendre vers une justice relationnelle3.

Le travail d’animation pastorale en milieu carcéral m’a appris la posture de la présence afin d’offrir un véritable accompagnement émancipateur. J’ai pu prendre conscience des deux forces intérieures qui m’habitent. L’une provenant de la structure aliénante qui tente de perpétuer les relations de contrôle, tandis que l’autre est issue de cet espace intérieur où émerge notre puissance créatrice et aimante.

Le développement de cet espace intérieur m’a permis de résister aux structures patriarcales en facilitant le passage entre la méfiance et la confiance. Puis, c’est à partir de cet espace que j’ai pu constater la puissance de l’amour. Grâce à ma formation, mes recherches et les rencontres j’ai appris à me faire confiance et à me lier intimement aux femmes que j’accompagne. La rencontre avec des personnes différentes de moi a été un tremplin extraordinaire pour faire l’expérience de l’altérité. Je me suis reconnue en elle et me suis sentie proche. J’ai vu aussi en moi cet élan de rompre les liens, de désobéir, de « détruire ». Cela m’a fait toucher à des zones qui ont aussi été profondément blessées par les violences basées sur le genre. Les femmes que j’ai rencontrées à l’intérieur des murs m’inspirent profondément. Grâce à la réciprocité de nos relations, j’ai été en mesure de voir ma propre incarcération intérieure et ma courbure. Je retiens que la prison est là, elle aussi est en nous. Nous cheminions tous et toutes avec nos enfermements intérieurs. Puis, je reconnais que pour plonger en soi afin de déconstruire les murs de nos cellules, il est primordial d’offrir un contexte sécuritaire dans lequel il est possible de les observer, les toucher et d’y lire les messages bien gravés sur les parois.

Enfin, l’expérience de l’accompagnement spirituel en milieu carcéral m’a demandé d’accueillir mes inconforts et mes propres histoires de souffrance pour faire l’expérience de la confiance et de l’amour. Il m’a permis de me définir comme accompagnante spirituelle et d’œuvrer dans un ministère féministe que je crée un peu chaque jour. Cet emploi renforce mon désir de m’engager dans toutes luttes féministes et me rappelle l’importance d’offrir des services d’accompagnement et d’animation spirituelle qui offrent une lecture féministe de la théologie et des récits de vie des femmes pour être au réel service de leur émancipation.

Je remercie infiniment les femmes incarcérées, ces grandes sages, qui par leur présence, leur ouverture et leur vulnérabilité, m’ont ouvert un espace pour renaître et faire l’expérience de la force créatrice, libératrice et vivifiante qu’est la foi chrétienne et féministe4.

 

1Loi sur le système correctionnel du Québec. S-40.1, à jour au 5 février 2007. LégisQuébec. http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/S-40.1/20070205#se:45

2 Mémo : un formulaire que doivent remplir les personnes incarcérées pour demander une rencontre entre autres en pastorale, une visite médicale, une permission de visite, etc.

3 Denise COUTURE, « Créer des relations justes. Analyse de pratiques innovatrices, féministes et interculturelles dans le contexte canadien », Théologiques, vol. 22, numéro 1, 2014, p. 87-99, https://doi.org/10.7202/1033096ar.

4 Spiritualités féministes. Pour un temps de transformation des relations, Denise COUTURE, Les Presses de l’Université de Montréal, 2021, 248 pages.