Commentaire à la suite de la visite du pape en Espagne du 18 au 21 août 2011 pour les Journées mondiales de la jeunesse:
C’est avec beaucoup d’angoisse qu’un grand nombre de femmes catholiques liront l’information publiée dans différents journaux cette fin de semaine, information selon laquelle l’archidiocèse de Madrid, avec l’approbation papale, a donné le pouvoir de pardonner avec indulgence plénière aux femmes qui, à l’occasion de la visite du pape, confesseront avoir avorté. L’impression que nous avons éprouvée est que le pape, le Vatican et certains évêques s’amusent à des jeux de mauvais goût avec les femmes. Nous ne savons pas dans quel monde ces hommes vivent, qui ils pensent être et qui ils pensent que nous sommes !
Premièrement, ils accordent le pardon à qui peut voyager pour assister à la Messe du pape et passer par le « confessionodrome » ou par l’ensemble des deux cents confessionnaux blancs installés sur la grande place publique de Madrid appelée « Parc de la retraite ». Le pardon de ce « péché » a un lieu, un jour et une heure fixés. Il en coûte seulement un voyage à Madrid pour se trouver face au pape ! Qui reculerait devant cet effort pour un si grand privilège ? Il suffit d’avoir l’argent pour le voyage et pour payer le séjour dans un hôtel de Madrid et le pardon sera obtenu. C’est pourquoi nous demandons : quelles alliances la pratique du pardon dans l’Eglise a-t-elle avec le capitalisme actuel ? Comment peut-on vivre un tel réductionnisme théologique et existentiel ? Qui retire un bénéfice de ce comportement ?
Deuxièmement, il est étrange d’affirmer que le pardon de ce « crime abominable » comme ils l’appellent est accordé seulement à l’occasion de la visite du pape afin qu’en cette même occasion, les fidèles pécheresses obtiennent « les fruits de la grâce divine » en confessant leur péché. Comment peut-on comprendre qu’une faute est pardonnée seulement quand l’autorité suprême est présente ? N’est-on pas en train de renforcer l’antique et décadent modèle impérial de la papauté ? Quand l’empereur est présent, tout est possible y compris l’expression de la contradiction à l’intérieur de son propre système pénal.
Je ne veux pas rappeler dans une réflexion brève comme celle-ci les arguments que beaucoup d’entre nous, femmes sensibles à nos propres douleurs, avons répétés au fil des ans. Mais cet événement papal madrilène montre malheureusement une fois de plus un aspect encore bien vivant au Vatican, à savoir l’aspect des querelles médiévales dans lesquelles des questions absolument sans intérêt pour la vie humaine étaient discutées. Plus encore, il fait la preuve de sa méconnaissance des souffrances des femmes, de sa méconnaissance des drames que les situations de violence provoquent dans nos corps et nos coeurs. En concédant le pardon au « crime » d’avortement comme ils l’appellent toujours, ils montrent, à leur manière élitiste, le visage ambigu d’une institution religieuse capable de céder à l’appareil triomphaliste quand sa crédibilité est en jeu. Ils peuvent bénir des troupes qui vont tuer des innocents, envoyer des prêtres comme aumôniers militaires dans des guerres toujours sales, faire des déclarations publiques en faveur de l’institution en condamnant les femmes pauvres et opprimées, ouvrir des exceptions à la règle de leurs comportements pour attirer des jeunes dans le troupeau du pape, ces jeunes étant étrangers aux grands problèmes du monde. La liste des us et coutumes « transgresseurs » de leurs propres lois est bien longue…
Pourquoi réduire la vie chrétienne au pain et au cirque ? Pourquoi donner un spectacle de magnanimité au milieu de la corruption des coutumes ? Pourquoi créer l’illusion du pardon alors que le quotidien des femmes est plein de persécutions et d’interdictions de leurs choix et capacités ?
Nous sommes invité/e/s à réfléchir à l’aspect néfaste de la position du pape et des évêques qui le soutiennent. Le pape n’a pas accordé pardon et indulgence totale et entière « urbi et orbi », c’est à dire à toutes les femmes qui ont avorté, mais seulement à celles qui se sont confessées au lieu et au moment précis de la visite du pape en Espagne. N’est-ce pas une fois de plus utiliser les consciences, en particulier celles des femmes à des fins d’expansionnisme de leur modèle pervers de bonté ? N’est-ce pas une fois de plus ouvrir des concessions en obéissant à une logique autoritaire qui veut restaurer les antiques privilèges de l’Eglise dans quelques pays européens ? N’est-ce pas une façon d’acheter les femmes en les humiliant devant la soi-disant magnanimité des hiérarques ?
Les autorités constituées dans l’Eglise catholique et dans d’autres Eglises sont-elles encore chrétiennes ? Suivent-elles encore les valeurs éthiques humanistes qui exigent le respect de toutes les vies et spécialement de la vie des femmes ?
Je crois qu’une fois de plus, nous sommes convoqué/e/s à exprimer publiquement notre sentiment de rejet devant l’utilisation de la vie de tant de femmes comme prétexte de la magnanimité du coeur du pape. Nous sommes convoqué/e/s à être le corps visible de nos croyances et de nos choix.
En faisant cela, nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Nous sommes tous/tes pécheurs et pécheresses capables de nous blesser mutuellement, capables d’hypocrisie et de mensonge, de cruauté et de cruauté raffinée. Mais nous sommes aussi capables de partager notre pain, d’accueillir celle qui est abandonnée, de vêtir celui qui est nu, de visiter le prisonnier, de traiter Hérode de renard. Nous sommes ce mélange, expression de notre moi, de nos dieux, des épines dans notre chair qui nous invitent et nous convoquent à vivre au-delà des façades derrière lesquelles nous aimons nous cacher.
Ivone Gebara
Écrivaine, philosophe et théologienne
Texte publié en portugais sur le site Adital
Brésil, 22 août 2011
Traduit du portugais par Marie-Paule Cartuyvels, Belgique