Non-violence et colère vis-à-vis des injustices patriarcales : s’outiller et agir comme féministes et chrétiennes

Non-violence et colère vis-à-vis des injustices patriarcales :

s’outiller et agir comme féministes et chrétiennes

Monique Hamelin et Marie-Andrée Roy, Groupe Vasthi

Cette communication a été préparée, livrée et rédigée en duo. La compréhension du rapport violence/non-violence présentée ici est le fruit des échanges que nous avons eus au cours des semaines précédant le colloque du mois d’août 2022.

MAR – Rappel du vendredi soir

Comment vivre la non-violence tout en n’occultant pas la colère qui nous habite face aux injustices générées par un système patriarcal ? Telle est la question que nous nous sommes posée en plénière vendredi soir. Cette question s’avère difficile parce que la colère des femmes demeure tabou ou frappée d’interdit dans notre culture ; elle apparait non conforme à la représentation qu’on se fait du genre féminin. Nous savons également que si nous nous laissons dominer par nos mouvements de rage et de colère, nous serons non seulement socialement discréditées, mais nous resterons aussi confinées dans notre impuissance. En même temps, la colère n’est-elle pas essentielle pour dénoncer les injustices, pointer les scandales et exprimer notre indignation ? Que faire ? Pour certaines, le travail en collective et l’engagement féministe constituent des manières de canaliser la colère, de la rendre « féconde ». L’indignation se transforme en action pour susciter l’espoir. Pour d’autres, l’écriture constitue à la fois un mode de discernement et d’expression de la colère vécue. Nancy Labonté a conclu la plénière en suggérant trois pistes pour intégrer une posture non violente :

  • entretenir l’estime de soi,
  • apprendre à se connaître, à s’écouter soi-même,
  • se souvenir que la non-violence est sœur de la patience !

MH – Développer une posture non violente

L’un des objectifs poursuivis au cours de ce colloque est d’explorer les composantes d’une posture non violente et de développer avec les personnes de notre entourage des relations empreintes de respect et de reconnaissance mutuelle. Cette posture n’est pas toujours facile à maintenir avec nos proches et soulève de nombreux défis. La prochaine étape est d’élargir la communication non violente et de nous pencher sur les rapports individuels et de groupes avec les institutions, institutions qui exercent souvent de multiples formes de violence.

Au départ, il importe de rappeler qui nous sommes : une collective de féministes chrétiennes formée de groupes de réflexion et d’action sur la condition des femmes dans l’Église et la société. Nous visons à désexiser les pratiques et les discours religieux et à assurer l’affirmation d’une présence et d’une parole femme dans le domaine. La réflexion et l’action s’articulent autour de la sororité et de la solidarité avec les mouvements des femmes.

L’une des questions qui surgissent est : comment ne pas répondre par la violence à des actions et à des discours qui sont manifestement violents à l’endroit des sujets femmes (comme personnes, comme individues) et également à l’endroit des femmes comme groupe social ?

MAR – Discours de l’Église sur la violence

Il faut sans doute se rappeler que, si le dossier violence est globalement sombre dans l’Église, il comporte quelques éclaircies. Pour mémoire, je tiens à citer la publication du document Violence en héritage 1 qui est le résultat d’une pratique réussie de partenariat entre l’église institution et les femmes pour contrer la violence conjugale faite aux femmes dans notre société. Les pistes d’actions non violentes mises de l’avant dans ce document impliquent la conscientisation, l’éducation et l’appropriation par les femmes des outils pour sortir du cycle de reproduction de la violence. Dans le sillage de ce document, des dizaines de formations ont été offertes pendant de nombreuses années à travers la province de Québec, formations notamment suivies par les agentes et agents de pastorale et par des prêtres. Cette pratique a cependant connu de sérieuses limites quand les femmes ont voulu aborder directement la question des violences des hommes clercs et de l’institution cléricale à l’endroit des femmes travailleuses en église. Il y a eu une fin de non-recevoir. Cette fin de non-recevoir a été vécue comme une autre manifestation de la violence cléricale.

Depuis mai 2019, un Motu proprio du pape François, Vos estis lux mundi2, spécifie que les évêques et autres dignitaires ecclésiastiques peuvent faire l’objet de plaintes. Et depuis 2021, la plupart des diocèses ont mis sur pied un mécanisme qui permet de porter plainte contre différentes formes d’abus. Par exemple, le Diocèse de Montréal a embauché une ombudsman, Me Marie- Christine Kirouack qui fait un solide travail d’investigation3 et, depuis août 2021, elle a publié six rapports accessibles sur le site internet du diocèse. Reste que de nombreux diocèses sont toujours empêtrés dans diverses causes qui impliquent des femmes. Pensons à celle qui oppose Paméla Groleau au cardinal Ouellet4.

Malgré quelques ouvertures catholiques, de sérieuses limites persistent donc aux avancées qu’il est possible de faire à l’intérieur du format clérical. La vigilance est requise parce que le corps clérical et le mouvement des femmes ne partagent pas nécessairement la même compréhension de ce que signifie et implique la violence.

MH – Violence de l’institution religieuse chrétienne

Il importe de décortiquer différentes formes de violence de l’institution religieuse chrétienne envers les femmes, de cerner ce que les femmes disent de la violence qu’elles vivent et d’identifier des pistes pour contrer ces violences.

Nous sommes appelées à :

  • Identifier des lieux et des formes de violence que les femmes subissent comme femmes et comme groupe social (classe de sexe).
  • Comprendre leur mode de fonctionnement et saisir l’impact qu’ont ces violences individuelles et institutionnelles cléricales sur nous-mêmes comme individues et comme groupe.

Pour ce faire, nous avons également besoin des outils de l’analyse féministe pour identifier des pistes d’actions non violentes afin de parvenir à la transformation du christianisme sans qu’il y ait négation et assujettissement de nous-mêmes. Ces actions non violentes, qui impliquent une posture personnelle et de groupe non violente peuvent par ailleurs créer des perturbations, des clivages, des conflits. Face à l’expression de la colère et de la contestation des injustices subies, le pouvoir en place peut réagir d’une manière très violente.

À cet égard, rappelons quelques éléments de l’action non violente, dont la désobéissance civile mise de l’avant par Martin Luther King (MLK) dans les années 1950 et 1960 aux États-Unis. L’action pacifique demandant la reconnaissance de la dignité et des droits des personnes Noires dans le cadre des marches, particulièrement dans le sud des États-Unis, a provoqué des réponses violentes de la part des institutions contrôlées par les Blancs. Cette réponse raciste, montrée sur les écrans de télévision lors des bulletins d’information, a permis à d’autres Blancs de prendre conscience de la violence raciale et d’appuyer la démarche non violente des personnes Noires.

Tout comme pour l’Amérique raciste, il est temps pour l’Église institution de se rendre compte que nous n’en sommes plus aux solutions progressives. En effet,

  • la ségrégation entre clercs et laïques a assez duré,
  • la ségrégation entre les sexes a assez duré.

Dans notre manifeste pour une refondation de l’Église, nous, les femmes de L’autre Parole, avons énoncé que :

Nous sommes l’Église et nous voulons une Église où des personnes seront choisies par leur communauté locale pour exercer différentes fonctions en vertu de leurs aptitudes et non de leur identité de genre, ou de leur orientation sexuelle, pour une durée déterminée et non à perpétuité (L’autre Parole, no 151, p. 9). Voir ; https://www.lautreparole.org/wp- content/uploads/2021/11/Lautre_Parole_no_151_printemps_2020.pdf)

Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur l’urgence du moment. Des hommes (clercs et laïques) et une majorité de femmes (religieuses et laïques) demandent des changements réels afin que l’égalité et la justice pour toutes et tous soient mises de l’avant.

Nous voulons défendre ces choix sans violence, mais, comme le disait l’une des récipiendaires

du Prix Nobel de la Paix en 2011, Leymah Gbowee,

« Le temps est venu pour les femmes d’arrêter d’être poliment en colère. »

Comme Jésus au temple (Jean 2,3-16), quand un système mis en place permet l’inégalité entre hommes et femmes, entre clercs et laïques, il faut oser dénoncer les rouages du système. Les solutions sont multiples ; ensemble, les femmes de L’autre Parole ont mis de l’avant des pistes qui présentent un changement radical. Il nous reste à nous demander comment faire advenir ces changements radicaux dont l’Église institution a tellement besoin.

Jetons un regard sur ce qui se passe dans la société aujourd’hui. L’armée, le sport amateur et le sport professionnel vivent de grands changements en rapport avec la violence sexuelle. Les médias sociaux ont permis aux femmes de dénoncer publiquement le droit de cuissage que s’arrogeaient les producteurs au cinéma et dans le monde du spectacle. Les femmes ont cessé d’avoir peur. Chacune n’était plus seule devant l’agresseur, elles étaient nombreuses à avoir subi des violences sexuelles. Elles ont permis à la société de voir les rouages d’un système en place.

Comme le disait Christine Delphy et le rappelait Denise Couture dans Spiritualités féministes – Pour un temps de transformation des relations (SF), dans leur lutte féministe, les femmes doivent découvrir les oppressions inconnues, voir l’oppression là où on ne la voit pas et lutter contre les oppressions connues (SF, p. 15). Cette tâche interpelle tant les femmes croyantes que les non-croyantes et leurs alliés.

MAR – Des lieux et des formes de violence

Quelles oppressions/aliénations/violences vivons-nous en Église ? Exerçons notre discernement pour les repérer, les visibles comme les moins visibles, celles auxquelles nous sommes habituées et celles que l’on découvre quotidiennement au détour d’une conversation, d’une confidence ou d’une lecture qui nous « ouvre » les yeux. Voici des lieux et des formes de violences qui se vivent dans l’Église, avec quelques exemples à l’appui.

  • Violence liée à l’occultation des femmes des documents officiels et de la mémoire collective. Cette violence est omniprésente et structure la représentation que nous avons des femmes dans l’Église. Un simple exemple qui ne représente que la pointe de l’iceberg : l’encyclique Laudato si’ (2015) qui a pour sous-titre La sauvegarde de la maison commune 5 , et qui met de l’avant un concept d’écologie globale. Cette encyclique, saluée internationalement comme progressiste, a réussi le tour de force d’occulter les femmes et leur apport remarquable à la protection de la planète. François d’Assise est longuement cité, mais silence radio sur la figure de proue qu’est sainte Hildegarde de Bingen, docteure de l’Église, première botaniste allemande qui, au XIIe siècle, a tant fait pour la connaissance des plantes et de leurs propriétés Les écrits des conférences épiscopales de plusieurs pays sont salués pour leur apport important à l’écologie, mais rien sur les Green Sisters6 ces religieuses catholiques qui œuvrent depuis plus de 40 ans, localement et internationalement, pour le développement de pratiques écologiques. La seule figure féminine célébrée : Marie, Reine de la création (par. 241) !
  • Violence liturgique et sacramentelle. Pensons au vocabulaire liturgique trop souvent au masculin, qui peine à se faire inclusif ; non, je ne suis pas un frère ! Pensons aux concélébrations qui impliquent prêtres et évêques dans de longues processions solennelles. Celles pratiquées à Saint-Pierre de Rome sont particulièrement spectaculaires et éloquentes pour nous rappeler notre exclusion comme femmes et comme laïques. Et que dire de l’exclusion des femmes, parce que femmes, des ministères ordonnés, qui leur interdit globalement l’accès au sacré, l’accès au ministère de sanctification par les sacrements et à la mission de gouvernance de l’Église.
  • La violence spirituelle s’immisce dans le contrôle de la conscience des femmes au point de nier leur autonomie morale, leur liberté de conscience et leur capacité d’exercer leur libre arbitre. Cette infantilisation peut avoir chez les femmes des effets dévastateurs : manque de confiance en soi, culpabilité, sous-estimation de soi, etc. Chez les hommes, elle peut constituer une caution à leur misogynie, à leur pratique de domination des Le discours du Vatican sur le corps et la sexualité des femmes ne représente rien de moins qu’une volonté de mainmise masculine et cléricale sur la vie, le corps et la conscience des femmes. En d’autres mots, il s’agit d’une violence perpétrée contre les femmes, considérées individuellement et collectivement.
  • La violence institutionnelle de l’Église a de multiples visages. Voici quelques exemples liés aux pouvoirs d’enseignement et de gouvernance du magistère. En 2021- 2022, sous les injonctions de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), Développement et Paix a coupé les fonds de partenaires laïcs, principalement des femmes des pays du Sud, soupçonnés à tort de ne pas avoir des pratiques ou des discours conformes à la doctrine morale de l’Église en matière de santé reproductive des femmes. Une pratique inquisitoriale a été mise en place par la CECC pour exiger la soumission des organismes du Sud qui reçoivent « l’aide » de l’Église catholique canadienne. Autre exemple de violence institutionnelle : depuis la promulgation d’Ordinatio sacerdotalis par le pape Jean Paul II en 1994, il est interdit de discuter, revendiquer l’accès des femmes au sacerdoce parce que le pape, dans sa lettre apostolique, aurait formulé un enseignement définitif.

Enfin, un cas qui touche les jeunes femmes en Église. Un groupe de jeunes féministes (moins de 30 ans) de la paroisse catholique Saint-Pierre-de-Montrouge à Paris s’est vu exclu de la paroisse parce qu’il a organisé le     3 avril 2022 une « messe féministe », présidée par un prêtre catholique, où les femmes ont simplement assuré les lectures et une femme (formée en théologie) a fait l’homélie ! Leurs fautes ? Le groupe n’a pas demandé la permission au curé, et a indiqué sur l’affiche qu’il était de la paroisse de Montrouge. Pour cela, il a été banni de la paroisse par le curé et l’évêque de Paris a donné raison au curé !7 Dans le sillage de cette polémique, le groupe a essuyé injures et insultes de la part d’individus et d’organisations catholiques de droite. Bref, il a été soumis à une incroyable violence émanant des différents paliers de l’institution ecclésiale qui a agi au nom de son pouvoir de gérance. On peut se poser la question : quel accueil auraient reçu ces jeunes femmes si elles avaient eu affaire à Jésus de Nazareth ?

  • La violence à l’égard des religieuses. Cette violence, rarement nommée, commence à peine à être reconnue alors que les communautés religieuses féminines, particulièrement dans le monde occidental, s’éteignent les unes après les autres. Elles sont, les individues comme les communautés, traitées en subordonnées à l’intérieur de l’organisation ecclésiale. Leur force de travail a été largement exploitée pour servir le clergé, notamment dans diverses tâches domestiques ; à compter de 1970, les religieuses assumeront aussi diverses responsabilités pastorales, toujours sous la direction du clergé. Au moment où l’on découvre les violences spirituelles, psychologiques et sexuelles qu’elles ont subies au sein de l’Église, qu’est-ce qui est fait pour réparer les torts subis ? Si peu ; après tout, encore un peu de temps et les autorités cléricales le savent bien, les religieuses, notamment celles du monde occidental, ne seront plus là pour témoigner8.

Après avoir identifié des lieux et des formes de violence, quelle analyse féministe pouvons- nous en faire ? Les outils de la théorie féministe matérialiste peuvent nous apporter un éclairage pertinent.

L’analyse féministe matérialiste

Une première lecture des lieux et des formes de violence permet de soutenir l’existence de rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes dans l’Église et entre les clercs et les laïques. Cette inégalité se double d’une hiérarchisation des sexes et des fonctions : les hommes, en particulier les clercs, sont au sommet de la pyramide et les femmes laïques au bas de la pyramide. Ces rapports inégalitaires entre les sexes et cette hiérarchisation des sexes et des fonctions entrainent des rapports de domination et de subordination, notamment des hommes clercs envers les femmes laïques, rapports propices à l’exercice de différentes formes de violence (interpersonnelle, institutionnelle, verbale, physique, etc.) Mais cette analyse est-elle suffisante pour décortiquer les rapports de violence qui se vivent et se reproduisent dans l’institution ? Il est possible d’aller plus loin pour décortiquer ces rapports de violence et leur impact sur la vie des femmes en faisant appel aux concepts de la théorie féministe matérialiste.

Au tournant des années 1970, être féministe se résumait souvent à revendiquer l’égalité avec les hommes. Cette égalité, principalement comprise comme une égalité de droits, se décantait aux plans politique (éligibilité), juridique (droit de la famille) et économique (travail égal, salaire égal). Mais le travail de réflexion et d’analyse accompli tant dans les groupes de conscience féministes que par des intellectuelles universitaires féministes permit de cerner deux choses :

  • l’existence d’un « système » qui permet la reproduction de la domination et de l’assujettissement des femmes, le système patriarcal qui assure à tous les hommes un pouvoir sur l’ensemble des femmes et à certains hommes (patriarches) la domination sur l’ensemble des femmes et sur les autres 2) Pour vaincre la domination masculine, il ne suffit pas d’obtenir des droits égaux ; les rapports de domination passent par le contrôle du corps des femmes et se vivent aussi bien dans l’espace public que dans l’espace privé ; le privé est politique. Cette lecture féministe radicale a fait son chemin dans le mouvement féministe, mais a mis plus de temps pour s’appliquer à la réalité des rapports de sexe dans l’Église catholique9.

Pour la sociologue Colette Guillaumin, la force de travail des femmes est non seulement exploitée sur le marché du travail (capitalisme), elle fait aussi l’objet d’une appropriation dans la vie privée, particulièrement dans le cadre du mariage où ce travail est gratuit et s’inscrit dans des rapports d’appropriation de la force de travail des femmes de même que de leur corps. Ce rapport d’appropriation est appelé sexage, par analogie aux rapports d’esclavage où l’entité productrice du travail ne possède pas sa production et ne se possède pas elle-même. Colette Guillaumin explique comment s’exprime concrètement l’appropriation des femmes et identifie les moyens pour assurer cette appropriation10. Nous vous proposons une « adaptation » de ce modèle théorique à la situation des femmes dans l’Église.

Expression concrète de l’appropriation des femmes dans l’Église

Comment s’exprime concrètement l’appropriation des femmes dans l’Église ? Nous présentons ici quelques indices à partir de notre expérience vécue. Peut-être trouverez-vous d’autres expressions de cette appropriation en relisant votre propre expérience.

  • Appropriation du temps des femmes : les femmes y compris les salariées et les bénévoles en Église ne sont pas censées calculer leur temps parce qu’elles travaillent par amour pour le Christ. Pour répondre aux caractéristiques de la femme selon Jean- Paul II, les femmes sont appelées à se donner sans compter. Si les femmes ne sont en général pas opposées au don de soi et manifestent beaucoup de générosité en ce sens, elles sont souvent dubitatives devant la « non-valeur » que représente leur temps de travail aux yeux du clergé.
  • Appropriation de la production des femmes : n’est-ce pas le cas des femmes qui travaillent en Église et qui, par exemple, préparent les enfants à recevoir les sacrements ? Au moment où l’enfant reçoit le sacrement, elles sont habituellement à l’écart, laissant au prêtre officiant le plein pouvoir
  • Appropriation de la personne des femmes : L’appropriation de la personne signifie que ce ne sont pas seulement le temps ou la production des femmes qui sont aliénées, mais bien toute leur personne avec l’ensemble de leurs capacités et de leurs énergies. Il existe une parenté entre la culture patriarcale qui stipule une disponibilité totale des femmes à l’endroit des hommes et la culture religieuse qui exalte le don de soi comme mode de réalisation de l’idéal chrétien chez les femmes11.

Moyens d’appropriation des femmes dans l’Église

Guillaumin reconnait cinq moyens pour assurer l’appropriation des femmes ; ces moyens apparaissent performants pour décrire les modalités de reconduction et de maintien de l’appropriation des femmes dans l’Église.

  • Le marché du travail : l’organisation du travail en Église et particulièrement la répartition des tâches entre clercs et personnes laïques et entre hommes et femmes place nécessairement les femmes dans un rapport hiérarchique d’infériorisation et de subordination.
  • Le confinement dans l’espace : la division spatiale dans les églises place les femmes du côté du profane et les hommes clercs du côté du sacré. Ainsi, les femmes apparaissent incapables de produire du sacré. En les reléguant dans la nef, l’Église témoigne d’une représentation sexiste du féminin, associée à la souillure et à la pollution. Cette représentation est inculquée aux femmes qui construisent une représentation négative d’elles-mêmes.
  • La démonstration de force : Quand les prêtres et les évêques se placent à l’avant pour une concélébration et que les personnes laïques sont dans la nef, cela constitue, du point de vue symbolique, une démonstration de force. Quand les autorités ecclésiastiques excluent les femmes des ministères ordonnés parce que ce serait la volonté de Dieu et qu’elles interdisent même toute remise en question de cette position, elles se donnent un pouvoir qu’elles ne détiennent pas, elles l’usurpent.
  • La contrainte sexuelle : Officiellement, il ne peut y avoir de contrainte sexuelle pratiquée par le clergé puisque tous les clercs sont des « renonçants » voués à l’ascèse du sexe. Le déni persistant qui entoure cette question rend donc très difficile la reconnaissance de ce mode de contrainte. Le voile commence à peine à être levé sur toutes les violences sexuelles perpétrées par les clercs à l’endroit des femmes laïques et des religieuses 12 . La représentation des femmes comme « tentatrices » vient également complexifier les dénonciations puisque de « victimes » elles peuvent devenir coupables des violences qu’elles ont subies.
  • L’arsenal juridique et coutumier : le droit canon et les décrets de la Congrégation pour la doctrine de la foi constituent de puissants leviers pour actualiser et perpétuer l’appropriation des femmes dans l’Église. ILS rédigent les lois, font les enquêtes, prononcent les jugements, exécutent les sanctions et le tout est présenté comme la volonté de Dieu. Les femmes sont pensées, définies par d’autres et sont ainsi dépossédées de leur devenir.

L’analyse féministe matérialiste permet de saisir l’ampleur de la violence vécue par les femmes et comment elle est systématiquement reproduite. Cette violence est souvent intériorisée par les femmes elles-mêmes qui ont appris à pratiquer le déni. Il peut être souffrant de réaliser qu’on a été traitée comme un sujet subordonné et qu’on est toujours traitée comme tel.

Que faire après avoir repéré, identifié, analysé les violences dans le champ religieux ? La parole revient aux femmes pour proposer des méthodes d’action non violentes.

MH – Les actions non violentes et rendre visible l’invisible

En février 2020, la revue Relations a publié un numéro dont le titre est : La non-violence en action. Toutes sortes de violences s’exercent sur les plus faibles dans nos sociétés et souvent les grandes perdantes sont les femmes.

Pour le Québec, pensons au TSO, soit le temps supplémentaire obligatoire pour les infirmières et autres personnels de la santé. Épuisement et exploitation sont au rendez-vous. Pensons également aux locataires expulsé∙e∙s tant par les rénovictions que dans les RPA, ces résidences pour personnes âgées dont on change la vocation au lendemain d’une vente. Pensons aux guerres en cours en Afrique et sur le continent européen et c’est sans parler de la désagrégation de la société civile et de l’État comme en Haïti.

Les ravages du colonialisme, du racisme, du capitalisme et du patriarcat sont encore bien présents. Comment lutter en mettant de l’avant la non-violence ? Quels sont les outils dont nous pouvons disposer ? Comment mettre en place des actions de changement concerté, aussi bien dans le champ religieux que dans les sphères politique et sociale ?

Marches, grèves, blocages, boycottages, occupations, refus de coopération et de respect des lois injustes et même la désobéissance civile sont dans la boîte à outils pour exprimer pacifiquement et démocratiquement nos objections. Nous croyons que la sensibilisation, l’éducation et la formation peuvent rendre visible l’invisible et contribuer à des changements sociaux importants.

Aux quatre méthodes d’actions non violentes souvent citées soit :

  • la non-coopération,
  • le boycottage,
  • la désobéissance civile,
  • le blocage et l’occupation,

nous en ajoutons une cinquième : rendre visible l’invisible. C’est un peu comme un préalable aux quatre méthodes précitées tout en étant un outil fort en lui-même pour obtenir des changements sociaux. Rendre visible l’invisible c’est autant découvrir les oppressions inconnues que de rendre visible celles qu’on ne voit pas ou celles qui sont connues et persistent.

Il faut revoir brièvement chacune de ces méthodes d’actions non violentes.

La non-coopération

L’un des membres fondateurs du Centre de ressources sur la non-violence, Normand Beaudet, comme bien d’autres avant lui, rappelle13 que [l]e pouvoir des dirigeants se limite souvent à celui que la population leur concède. […] Il importe donc de fragiliser ce soutien par l’action populaire non violente, et la non-coopération est l’un des grands moyens d’y arriver.

La non-coopération est souvent invisible, elle n’est pas nécessairement dans la rue. C’est une action de corrosion graduelle des mécanismes de fonctionnement de la sphère administrative ou politique d’une structure de pouvoir (par exemple, des grèves : tournante, perlée, surprise, de zèle, etc.).

[…] Ces tactiques de lutte ont été utilisées tout au long de l’histoire pour contrer l’établissement et le maintien de pouvoirs illégitimes.

Le boycottage

Le boycott vise à faire subir une perte économique à une entreprise ou à un État et à nuire à sa réputation, et ce, suffisamment pour l’obliger à céder face aux revendications citoyennes. Ces pressions économiques et sociales s’accompagnent d’un autre levier important : une campagne d’information et de sensibilisation (p. 18).

L’histoire nous montre que le succès d’un boycottage est plus souvent efficace si des services alternatifs sont assurés. Il en a été ainsi avec le boycottage des autobus ségrégués à Montgomery en Alabama en 1955-1956. En suivi de l’arrestation de Rosa Parks, une Noire, qui refuse de se lever et de céder sa place à un Blanc, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Le boycottage est lancé, il dura 381 jours. Divers services parallèles sont mis en place. Ils ont permis aux personnes Afro-Américaines de maintenir la pression sur la compagnie d’autobus. La cause a été réglée quand un jugement de la Cour fédérale de l’Alabama fut éventuellement confirmé par la Cour Suprême des États-Unis. La ségrégation dans les bus était inconstitutionnelle14

Rappelons-nous également la pièce Lysistrata d’Aristophane, créée en 411 avant Jésus-Christ. Athènes et Sparte sont en guerre, Lysistrata convainc les femmes d’Athènes et des cités grecques de faire la grève du sexe à leur mari tant que les hommes ne seront pas revenus à la raison et qu’ils ne cesseront pas de faire la guerre. Nous avons là un exemple de femmes qui interviennent dans l’ordre de la cité et pas seulement dans la gestion de leur maison et elles ont des idées autres, des idées non violentes pour faire avancer la paix.

La désobéissance civile

Si les premières images de désobéissance civile qui nous viennent à l’esprit proviennent des luttes menées par Gandhi et Martin Luther King, ces luttes ont existé de tous les temps et continuent au XXIe siècle.

En Argentine, les Mères et les Grands-Mères de la Place de Mai ont joué un rôle majeur tant durant la dernière dictature militaire (1976-1983) que par la suite afin que les droits humains bafoués soient dénoncés et que les responsables soient poursuivis.

Je n’entrerai pas dans le détail, mais au Moyen-Âge, de nombreux débats ont lieu dans l’église chrétienne, puis penseurs, essayistes et philosophes ont pris la relève et continuent, même de nos jours, à tenter de définir ce qu’est la désobéissance civile qui est l’un des grands axes autour desquels s’organise l’action non violente.

Le pouvoir politique repose sur l’acceptation par les membres de la société des lois votées. Quand les dirigeants ne peuvent être convaincus d’agir de façon juste, quand le peuple refuse de se rendre complice de lois iniques, il a le pouvoir d’opter pour la désobéissance civile. Le pouvoir en place réagira souvent par la répression, la poursuite judiciaire, l’emprisonnement, mais cela servira à dénoncer non seulement localement, mais aussi à l’international les actions violentes.

Blocage et occupation

Le blocage est une forme de désobéissance civile. Le principe est simple : occuper un espace donné (rue, chantier, centre administratif, etc.) pour en empêcher le fonctionnement normal. Cette action directe est souvent accompagnée d’une forme de théâtralité qui frappe l’imaginaire des gens afin d’accroître la portée du message.

[…]

[Au Québec, l’] occupation est aussi une forme courante d’obstruction citoyenne, souvent pratiquée par le FRAPRU, [un organisme de défense des droits sociaux et plus particulièrement, le droit au logement]. Elle dure généralement de quelques heures à plusieurs jours et permet d’attirer l’attention sur un enjeu. […] Depuis longtemps au Québec, cette tactique est utilisée par les mouvements sociaux et étudiants, visant des bureaux d’institutions et de politiciens et politiciennes, ou encore des banques (Normand Beaudet, op.cit. p. 19).

Rendre visible l’invisible en associant la sensibilisation, l’éducation et la formation

pour changer des lois

Une cinquième avenue dans les outils disponibles existe. Cette autre manière de faire pourrait

s’ajouter aux formes d’action non violente pour les femmes en église.

Par la sensibilisation, l’éducation et la formation, nous cherchons à rendre visible et inacceptable, tant pour les chrétien×ne×s, les élu∙e∙s et leurs allié∙e∙s que pour l’État du Québec, leur complicité tacite face à la discrimination opérée par les dirigeants du Saint-Siège en leur accordant des avantages fiscaux. Cette situation serait intolérable s’il était question de discrimination basée sur la race, le handicap, etc. Elle doit l’être pour le refus des autorités religieuses de reconnaitre la pleine égalité de fait et de droit des femmes.

Un sous-groupe de la collective L’autre Parole, les Citoyennes de l’aube, vise déjà des actions de sensibilisation des femmes dans la société au rôle de l’État laïc québécois qui offre aux groupes religieux des avantages fiscaux alors que ces groupes ont des pratiques discriminatoires à l’égard des femmes.

Rendre visible l’invisible, c’est montrer une oppression inconnue, c’est dénoncer une manière de faire de l’État qui dessert les femmes. Nous croyons au pouvoir de sensibilisation des élu∙e∙s et des femmes de la société civile à une situation que vivent entre autres les femmes catholiques. Ces dernières n’ont pas à s’extraire de leur religion, d’autant plus si l’Église institution veut bénéficier des privilèges fiscaux de l’État. L’État ne peut faire de la main droite, ce qu’il défend de la main gauche. Nos chartes — la Québécoise et la Canadienne — interdisent la discrimination basée sur, entre autres, le sexe et le genre. L’Église devra abandonner ses pratiques discriminatoires tout comme la société civile, le sport, la police et l’armée sont de plus en plus obligées de le faire.

L’histoire enseigne que, même en privilégiant la communication non violente, nous ne réussissons pas à infléchir les positions du Vatican à l’endroit des femmes. Il y a également une séparation des pouvoirs entre l’État et le gouvernement. Par ailleurs, on peut interpeler l’État pour qu’il cesse d’être complice. L’État ne dicterait pas à l’Église ce qu’elle doit faire, l’État indiquerait simplement ce que lui ne peut faire — soit soutenir des organismes qui font de la discrimination à l’égard d’un groupe.

Une première étape est de rendre visible l’inacceptable, de sensibiliser les chrétiennes et leurs alliées d’autres religions, les féministes de la société civile tant les élu∙e∙s que les non-élu∙e∙s.

Nous l’avons énoncé plus haut,

LE TEMPS EST VENU POUR LES FEMMES

D’ARRÊTER D’ÊTRE POLIMENT EN COLÈRE.

SANS L’ÉGALITÉ DE DROIT ET DE FAIT EN ÉGLISE,

PAS DE PRIVILÈGES FISCAUX POUR L’ÉGLISE !

Les luttes des femmes en église sont des luttes pour que cessent des injustices ressenties viscéralement. La dignité des femmes s’en trouve souvent ébranlée ; il importe d’y voir.

Pour conclure

Cette présentation nous a permis de nommer la violence vécue dans le champ religieux et d’explorer des pistes de résistance qui ne sombrent pas elles-mêmes dans la violence. Notre pari a été le suivant : pour sortir de la spirale de violence patriarcale qui ravage le champ religieux, il importe que nous apprenions toutes à nommer, identifier, repérer les violences qui s’exercent sur nous et nos sœurs ; il importe aussi que nous devenions capables de les décortiquer, de les analyser pour comprendre comment elles font « système » et comment elles impactent sur nous et nos parcours de vie. On ne peut pas s’en remettre aux autres, aux spécialistes. Cette compétence individuelle et collective s’avère nécessaire pour sortir ensemble de notre impuissance féminine et identifier des pistes de changement qui s’inscrivent résolument dans la non-violence.

Bonne suite pour un agir non violent, rempli d’espérance, parce que tissé dans la sororité!

 

1 COMITÉ DES AFFAIRES SOCIALES DE L’ASSEMBLÉE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU QUÉBEC. Violence en héritage? Une réflexion pastorale sur la violence conjugale. En ligne : https://evequescatholiques.quebec/sn_uploads/VH-Reflexion-past.pdf Première édition 1989, deuxième édition 2009. Ce document signé par le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) a, en pratique, été préparé par une équipe pilotée par Claudette Boivin et principalement composée de femmes ; le Comité des affaires sociales et son président ont accepté de faire leur ce travail. Ce document n’a cependant pas fait l’unanimité en très haut lieu ; l’AECQ aurait même eu droit à un rappel à l’ordre de la part de Rome. En ce sens, la réédition de 2009 témoignerait d’une certaine solidarité de l’AECQ envers les femmes victimes de violence dans notre société.

2 PAPE FRANÇOIS. Lettre apostolique en forme de « motu proprio », Vos estis lux mundi, 7 mai 2]019. [En ligne] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio/documents/papa-francesco-motu- proprio-20190507_vos-estis-lux-mundi.html

3 [En ligne] https://diocesemontreal.org/fr/porter-plainte?_ga=2.139306099.1500451481.1660928067- 901396026.1660928067

4 Voir l’article de François GLOUTNAY, « Je ne suis plus F. Je suis Pamela Groleau » dans Présence Info en ligne : https://presence-info.ca/article/actualite/justice/je-ne-suis-plus-f-je-suis-pamela-groleau-2/

5 PAPE FRANÇOIS. Lettre encyclique Laudato Si’ sur la sauvegarde de la maison commune, 24 mai 2015. En ligne : https://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica- laudato-si.html

6 Je remercie Nathalie Tremblay, doctorante au département de sciences des religions de l’UQAM, qui, par ses travaux de recherche, m’a permis de découvrir cette fascinante organisation.

7 Léa MABILON. « “Dieu∙e” : retour sur la polémique autour de la messe féministe qui s’est tenu à Paris », Madame Figaro, publié le 06.-h5605_2022 à 17 h 35, mis à jour le 08-05-2022 à 14 h 56. Voir l’article à : https://madame.lefigaro.fr/societe/actu/dieu-e-retour-sur-la-polemique-autour-de-la-messe-feministe-qui-s- est-tenue-a-paris-20220506

8 Un devoir de mémoire pour toutes les féministes chrétiennes ?

9 Je vous réfère à mon ouvrage : Marie-Andrée ROY. Les ouvrières de l’Église. Sociologie de l’affirmation des femmes dans l’Église, Montréal, Médiaspaul, 1996, 420 p.

10 Colette GUILLAUMIN. « L’appropriation des femmes », Questions féministes, no 2, 1978. En ligne : https://www.feministes-radicales.org/wp-content/uploads/2010/11/Colette-Guillaumin-Pratique-du-pouvoir- et-id%C3%A9e-de-Nature-1-Lappropriation-des-femmes.pdf

11 Les ouvrières de l’Église, op.cit., p. 310.

12 Voir ce court reportage, Abus sexuels dans l’Église : les religieuses sortent du silence. https://www.youtube.com/watch?v=zZuxbzewAiM

13 Normand BEAUDET. « Quelques tactiques non violentes », Relations, numéro 806, février 2020, p. 18.

14 Pour plus de détails sur cette lutte voir : https://fr.wikipedia,org/wikiBoycott_des_bus_de_Montgomery