Liminaire

Le comité de rédaction de la revue de L’autre Parole est heureux de vous présenter le numéro 164, premier de deux numéros consacrés aux synodes des femmes, vécus à Montréal en octobre 2023 et en septembre 2024. Le tome 1 se concentre sur le synode de 2023 organisé en partenariat par la collective L’autre Parole et le réseau Femmes et Ministères. Fondé sur des principes d’égalité, de justice et de participation de toutes et tous, il avait comme objectif de vivre un synode parallèle au synode romain.

Dans la démarche de synodalité, la participation est un élément essentiel. Comme le mentionne Denise Couture dans son texte consacré aux synodes parallèles des femmes, le concept de synode est généralement utilisé en relation avec la notion d’ecclésia. C’est lors de la conférence de la Women Ordination Conference de 1978, tenue à Baltimore, qu’Elisabeth Schüssler Fiorenza introduit le concept « d’ecclésia des femmes », qu’elle développera plus en détail dans son ouvrage publié quelques années plus tard, En mémoire d’elle[1]. Cette dernière propose l’idée d’ecclésia des femmes comme étant une stratégie porteuse d’espoir devant une institution patriarcale qui continue à priver les femmes de pouvoir exercer leur plein potentiel spirituel au nom de la tradition. Même si quelques décennies se sont écoulées depuis la parution du livre En mémoire d’elle, le concept d’ecclésia est toujours d’actualité. En effet, les luttes féministes pour que les femmes se voient reconnaître l’égalité d’action au sein de l’Église perdurent. Tout comme l’ecclésia des femmes, la démarche synodale est l’occasion de mettre en commun notre parole, nos réflexions et de se donner une voix afin de penser le futur des femmes, futur qui saura refléter les aspirations d’une majorité grandissante de femmes et d’hommes afin qu’émerge une ecclésia à l’image de celles et de ceux qui portent les idéaux d’égalité, de justice et de pleine participation. L’organisation conjointe du synode des femmes de 2023 par L’autre Parole et Femmes et Ministères exprime ce type de mise en commun, de travail en communauté et en réseau, condition essentielle pour qu’advienne une ecclésia des femmes.

Le numéro s’ouvre avec les textes de Denise Couture et de Joce-Lyne Biron, deux femmes engagées respectivement dans L’autre Parole et dans le réseau Femmes et Ministères. Dans un texte intitulé « Des synodes parallèles des femmes pour revendiquer l’égalité », Denise Couture décrit la nature d’un synode des femmes, ses objectifs, pour ensuite recentrer sa réflexion autour des revendications féministes. Elle rappelle les dates importantes depuis les débuts du synode romain jusqu’à l’annonce faite par le pape François d’abandonner la question du diaconat des femmes. Par la suite, Joce-Lyne Biron propose un survol des nombreuses actions mises de l’avant au cours de l’histoire de Femmes et Ministères pour qu’advienne une Église égalitaire.

Les textes suivants ont été regroupés en fonction des panels tenus lors du synode des femmes de 2023. Comment une Église égalitaire peut-elle mieux remplir sa mission ? Les contributions sous ce deuxième thème rassemblent les textes de personnes engagées dans des communautés chrétiennes critiques du discours du Vatican. Michèle Beaulac nous fait découvrir la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand et l’influence qu’y exercent les femmes. Marie Bouclin, partant de son expérience au sein du groupe de Femmes prêtres catholiques romaines, propose une série d’exemples soulignant les bénéfices que pourrait retirer l’Église à faire place à une culture égalitaire et au sacerdoce des femmes. Élodie Ekobena, alors chargée de projet au secteur Vivre ensemble du Centre Justice et Foi, aborde la question de l’égalité dans l’Église à partir d’une approche décoloniale. Darla Sloan, de l’Église Unie du Canada, explore quant à elle l’importance et la place du discernement dans la vie de la communauté pour qu’on puisse en arriver à construire une Église égalitaire.

La démarche synodale se veut un temps de rencontre regroupant des personnes de différents horizons. Les textes la section suivante regroupe des contributions européennes sur la signification de la démarche synodale pour les femmes et pour l’égalité dans l’Église. Dans le premier article, « Quelle dignité pour les femmes ? Une question biaisée », rédigé par Sylvaine Landrivon du Comité de la jupe (France), l’autrice montre à partir d’extraits bibliques la complexité de la question énoncée dans le titre de son texte. Elle montre comment le discours des autorités de l’Église catholieque sur la représentation du genre valorisent un discours de la complémentarité des genres qui n’est pas synonyme d’égalité. Le texte d’Anne Guillard de la collective Oh My Goddess! (France) ouvre à une nouvelle ecclésia qui cesse d’être figée au nom de la tradition. Connaître son histoire permet d’avoir une meilleure connaissance de soi, mais également de construire, et surtout, de donner un nouveau souffle pour qu’advienne un changement dans l’histoire. Le troisième texte, celui de Margit Eckholt, à partir du synode d’Allemagne, rappelle des arguments utilisés dans différents documents doctrinaux mobilisés par l’Église pour exclure les femmes de certains ministères. Si le respect des aspirations des femmes pour une pleine participation de ces dernières aux ministères est essentiel, l’enjeu, comme l’évoque Margit Eckholt, est plus grand ; il en va de l’avenir de la crédibilité de l’Église. La démarche synodale se veut aussi un temps d’arrêt pour faire le point et donner une nouvelle orientation à la vie de la communauté. Pour y parvenir, l’écoute est indissociable de la parole. Le texte de Martine Floret, du Réseau des femmes en Église – Suisse, s’intéresse à la parole, parole des femmes qui dénonce les abus commis et qui nomme les aspirations à travers l’utilisation d’un langage critique.

Le texte collaboratif de Christine Lemaire, Johanne Carpentier et Marie Bergeron propose une synthèse des travaux collectifs du synode des femmes de 2023. Celui-ci s’est clôturé par une célébration qui a constitué un temps festif, organisé par le groupe Deborah de L’autre Parole. Elle nous a permis d’unir nos voix pour des chants et, bien sûr, de célébrer l’eucharistie féministe.

Certes, ce numéro propose différentes lectures de la question qui demeure toujours d’actualité lorsqu’il s’agit de la place des femmes dans la vie de l’Église : comment entrer en dialogue avec cette institution qui continue à exclure les femmes de l’ordination au nom de la tradition et de la complémentarité des sexes ? La question m’apparaît essentielle et indissociable de celle de savoir quelles sont les alternatives qui s’offrent aux femmes. Cette question peut s’appliquer à différents défis rencontrés par les femmes, dont celui de l’accès à l’avortement. C’est là le sujet de la chronique de Martine Lacroix, rappelant la fragilité des acquis réalisés par les femmes et, indirectement, l’importance des multiples formes d’engagements féministes comme contrepoids devant l’antiféminisme dont font preuve certains gouvernements et certaines institutions comme l’Église catholique.

Bonne lecture !

Nathalie Tremblay
Pour le comité de rédaction

 

[1] Voir Elisabeth SCHÜSSLER FIORENZA, En mémoire d’elle. Essai de reconstruction des origines chrétiennes selon la théologie féministe, Paris, Éd. du Cerf, 1986, p. 344.