Mouvement des femmes prêtres et
mission de l’Église catholique
Marie Evans Bouclin[1]
Commençons par la fin de la question qui m’a été posée : quelle est, au juste, la mission de l’Église catholique ? Pour notre mouvement de femmes prêtres catholiques, je crois qu’elle se résume en des termes les plus simples, ceux de l’évangile attribué à Luc, citant le prophète Isaïe (cf. Luc 4, 18-19) : « […] porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, rendre la liberté aux opprimés, proclamer une année de grâce. » Cela m’amène à une deuxième question : qu’est-ce que l’Église, telle qu’entendue, au cours de ce synode, sous le vocable d’ecclésia ? Elle est, bien sûr, une société juridique dont le siège social est au Vatican, avec des succursales locales, toutes gérées par des hommes investis d’un pouvoir sacré du fait de leur sacerdoce et gradué selon leurs rangs. L’Église est aussi une entité politique et économique, la « mater et magistra » d’un système religieux : l’Église catholique romaine. Elle est, enfin, « peuple de Dieu », communion des disciples de Jésus de Nazareth, « corps mystique du Christ ». Une Église égalitaire, de quelque manière que nous la comprenions, se résume dans ce que l’apôtre Paul écrivait dans sa lettre aux Galates (3, 28) : « Dans le Christ, il n’y plus de race juive ou païenne, plus de personnes esclaves ou libres, il n’y a plus l’homme et la femme ; toutes et tous, vous ne faites qu’un dans le Christ. »
Mon expérience personnelle
La mission du mouvement des Femmes prêtres catholiques « est de préparer, d’ordonner et de soutenir des femmes qualifiées, provenant de tous les états de vie, qui sont fidèles à un modèle inclusif d’Église et qui sont appelées par l’Esprit saint et leur communauté de foi à servir le Peuple de Dieu ». Pour nous, « modèle inclusif » veut dire qu’on accueille des candidates sans faire d’exception de race, de couleur, de langue, d’orientation sexuelle ou de genre, d’âge ou d’état civil. Parmi nos prêtres, il y a donc des femmes consacrées, des célibataires, des femmes mariées (à un homme ou à une femme), des mères et des grand-mères de diverses ethnies. Nos communautés (nous en avons une dizaine au Canada) reflètent cette même diversité.
Nous acceptons d’être ordonnées dans le respect du rituel catholique, tout en dérogeant à la prescription romaine (le canon 1024) stipulant que seuls les hommes peuvent être ordonnés. Il est vrai que le prix à payer est l’excommunication, une punition injuste pour avoir transgressé une loi injuste. L’égalité, c’est une question de justice, c’est vouloir se conformer à l’intention divine qui a créé l’homme et la femme à son image. L’égalité se manifeste de plusieurs façons : si nous sommes toutes et tous baptisé·es « prêtres, prophètes et membres de la famille divine », chacune et chacun a droit de parole dans nos prises de décisions, chacune et chacun doit faire fructifier ses dons et talents pour annoncer le Royaume. Le rôle principal de nos prêtres est d’appeler et d’activer les talents de chacun·e – que ce soit l’animation musicale de nos liturgies, la préparation d’un baptême ou d’un mariage, la livraison de vivres aux personnes démunies, la promotion de la justice sociale, en somme, la construction d’un monde meilleur. Chaque communauté décide de sa « mission ». Notre communauté Levain, à Sudbury en Ontario, par exemple, a « adopté » deux jeunes juges de l’Afghanistan qui ne peuvent exercer leur métier au Canada et doivent quand même subvenir aux besoins de leurs familles. C’est une de nos paroissiennes, elle-même juge, qui coordonne ce projet. La communauté de Regina a choisi la mission de la réconciliation avec les Métis et les Autochtones – leurs « ministres de la musique » étant eux-mêmes métis. Notre communauté de Vancouver est coordonnée par une artiste (prêtre), biraciale, qui dirige une Catholic Worker House et a fait un séjour en prison pour avoir participé à une manifestation contre une des grandes pétrolières.
Un autre aspect d’une Église égalitaire est sa simplicité – dans les vêtements, les vases liturgiques et l’absence de titres honorifiques. Il est écrit dans nos constitutions sous la rubrique « valeurs » : « Nous adoptons des modèles communautaires de gouvernance […] qui encouragent l’autonomisation et le service généreux et qui rejettent toute forme de domination, d’intimidation et de discrimination. » Nous élisons nos évêques à la suite d’une consultation auprès de toute la communauté.
Comment ce que nous vivons peut-il profiter à l’Église ?
Une des missions secondaires du mouvement des femmes prêtres est de renouveler, en adoptant une méthode de déconstruction et de reconstruction, la théologie, la liturgie et la pastorale dans nos communautés qui, bien que marginalisées, n’ont jamais quitté l’Église catholique.
Voici quelques exemples qui peuvent profiter à l’ensemble de l’Église. D’abord, sur le plan de la théologie, nos candidates au sacerdoce doivent connaître les théologies féministes, womanist et de la libération. Les plus anciennes parmi nous connaissent déjà le thomisme et la théologie scolastique, qui est tristement dépassée : on n’a qu’à penser à l’enseignement sur la sexualité, mais aussi sur l’économie, la guerre juste, et j’en passe. Si la grande Église se mettait à écouter les voix des Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Julienne de Norwich, Hildegarde de Bingen – leurs écrits authentiques, avant qu’ils soient passés au filtre des hommes d’Église –, ne profiterait-elle pas d’une foule de leçons sur l’équilibre psychique, corporel et spirituel ? Quand je pense, par exemple, au plus grand scandale de l’Église d’aujourd’hui – l’abus sexuel des enfants par des prêtres –, il me semble qu’il y aurait beaucoup plus d’efforts déployés pour la prévention, mais aussi pour la guérison des traumatismes subis. Combien de diocèses ont fait faillite, non pas à cause des sommes versées pour des thérapies, mais pour des frais juridiques, afin que « l’Église » (institution) ne soit pas reconnue coupable et responsable ? Si nos prêtres étaient elles-mêmes mères de famille, la sécurité de nos enfants ne serait-elle pas une priorité ?
Nos liturgies sont plus inclusives, d’abord sur le plan du langage : le vocable « Dieu éternel et tout-puissant » se voit remplacé par des mots comme « Divine Providence », « Sagesse bienveillante », « Source de vie ». Un dieu trinitaire uniquement masculin ne suffit pas à exprimer la réalité divine. Les femmes sont invisibles ou largement absentes des textes bibliques choisis pour les messes dominicales. Nous allons donc chercher des textes bibliques jamais lus à la messe dominicale : l’histoire de Tamar, de Dinah et d’autres, pour montrer que les femmes ont joué un rôle de premier plan dans l’histoire du salut. Nous proclamons en entier le texte de l’apparition de Jésus à Marie Madeleine le matin de Pâques, y compris « Va dire à mes frères… » (Jean 20, 17).
Sur le plan de la liturgie, une autre adaptation très importante est faite au niveau des prières eucharistiques : ce sont des prières d’action de grâce et non des « sacrifices ». Pourquoi ? Parce que l’ancienne idée qu’il fallait la mort sanglante du « fils unique de Dieu » pour apaiser un dieu père abusif est à la racine de la justification de toutes les violences et des abus. Nous ne croyons plus à un dieu qui aime la souffrance, parce que nous avons jeté un regard neuf sur nos Écritures à l’aide d’exégètes et d’historiennes. Nous insérons dans nos célébrations des textes de prophètes des temps modernes, hommes et femmes. Presque tous les dimanches, nous devons faire un travail « d’adaptation » des lectures à un langage désexisé. Sur une note moins sombre, une jeune femme enceinte présidant à l’autel dans le temps de l’Avent ne serait-elle pas une image inspirante ?
En matière de pastorale, nous sommes souvent sollicitées pour bénir des mariages, accompagner des personnes malades et mourantes – y compris celles qui demandent l’aide à mourir –, surtout par des personnes blessées par l’Église. Nous prenons les gens là où ils en sont dans leur cheminement humain et spirituel. Nous essayons de témoigner par notre présence d’une réalité divine qui est bonté, tendresse et amour inconditionnel. Ces personnes ont souvent une grande soif de pardon. Nous ne transmettons plus une religion basée sur l’obéissance aveugle à la loi, sur la culpabilité et sur la peur d’un châtiment éternel. Nous nous efforçons de vivre une foi empreinte de joie et d’espérance. En outre, la pastorale auprès des pauvres, des immigrant·es, des malades et des personnes en fin de vie se fait, dans nos communautés, par celles et ceux qui possèdent les qualités humaines nécessaires à ce genre de ministère, pas seulement par les personnes ordonnées. Le rôle de la pasteure et de son équipe de leadership consiste justement à faire valoir les dons et talents de tous les membres de la communauté. Nous avons des associé·es, membres à part entière de la communauté nationale des Femmes prêtres catholiques romaines qui ne se sentent pas appelé·es au sacerdoce ministériel, mais qui ont une voix dans nos prises de décision. Ces personnes rendent d’immenses services sur le plan pastoral, liturgique et administratif dans nos diverses communautés. Cela dit, l’évêque n’est pas l’administratrice de la communauté des FPCR, mais la pasteure des pasteures, la leader spirituelle de la communauté. Une Église égalitaire valorise et va chercher tous les dons et talents des membres de nos communautés pour faire avancer la mission de l’Église.
Depuis notre fondation à la suite des ordinations sur le Danube en 2002, presque trois cents femmes prêtres ont été ordonnées sur cinq continents. Seize d’entre elles ont été élues évêques pour servir diverses régions de la planète. L’Église sous toutes ses formes, institution juridique, force politique et économique, mais surtout, Corps du Christ, gagnerait énormément à devenir égalitaire. À ce moment de son histoire, il en va même de sa survie
[1] Marie Evans Bouclin est théologienne. Elle a d’abord été enseignante au secondaire, puis traductrice autonome dans les domaines de l’éducation, de l’éthique et de la religion. Elle s’intéresse depuis trente ans au sort des femmes violentées dans l’Église. En 2002, elle a assisté aux premières ordinations de femmes catholiques de l’ère moderne sur le Danube et a été élue coordonnatrice du Comité de direction de Women’s Ordination Worldwide. En 2007, elle a été ordonnée prêtre, puis évêque en 2011 pour les Femmes prêtres catholiques romaines (RCWP/FPCR) du Canada. Elle est l’autrice de Pour vivre debout : femmes et abus de pouvoir dans l’Église catholique. Elle fait aussi partie du conseil d’administration de Outrage Canada, organisme qui documente les cas d’abus sexuels dans l’Église catholique et mène des enquêtes indépendantes. Elle est mariée depuis plus de 50 ans, mère de trois enfants et grand-mère. Elle est membre de L’autre Parole.