L’égalité dans l’Église Unie
Darla Sloane[1]
Selon l’inspiration de la tradition protestante – pour laquelle la Bible est la référence ultime en matière de foi, de théologie, d’ecclésiologie et d’éthique –, je vais tenter de répondre à la question posée en me référant d’abord aux Écritures. Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul considère que tous les membres de l’Église sont d’une importance égale pour le bon fonctionnement du Corps du Christ et que chacun·e a reçu des dons de l’Esprit pour le bien de tous (1 Corinthiens 12). Ne peut-on pas, en l’occurrence, conclure que l’Église remplit mieux sa mission lorsque tous les membres du Corps du Christ ont des chances égales de discerner leurs dons de l’Esprit et de les actualiser pour le bien de tous et toutes ? L’Église Unie a répondu « oui » depuis un bon moment.
En 1936, après plusieurs années d’études et de débats – en partie autour des mêmes textes bibliques[2] que d’autres Églises utilisent pour justifier l’exclusion des femmes du ministère ordonné –, le Conseil général de l’Église Unie a voté en faveur de l’ordination des femmes. Le 4 novembre de la même année, Lydia Gruchy est devenue la première femme pasteure de toutes les Églises dites historiques du pays. Soixante ans plus tard, quand j’ai entamé ma démarche de discernement qui allait aboutir à mon ordination en 2001, la question de savoir si mon sexe, mon orientation sexuelle ou mon identité de genre (pour utiliser une formulation actuelle) constituaient un empêchement à mon ordination ne se posait plus. Si je suis pasteure aujourd’hui, c’est parce que l’Église (l’assemblée d’hommes et de femmes pasteur·es et laïques) a discerné que j’avais les dons, les aptitudes et la formation nécessaires pour exercer ce ministère.
Chaque fois que je participe à des événements œcuméniques où l’aube et la chemise cléricale sont de mise, certaines participantes sont visiblement émues de voir qu’une femme peut accéder au ministère auquel elles se sentent appelées et pour lequel elles ont les dons et une solide formation, alors qu’une démarche de discernement leur est institutionnellement interdite. Oui, elles servent l’Église, mais pas nécessairement selon leur vocation.
Avant d’être pasteure, j’ai été enseignante de l’anglais et du français langue seconde. J’avais des dons pour l’enseignement, mais j’avais toujours l’impression de marcher « à côté » de ma voie. Quand je regarde en arrière, je vois bien que j’étais déjà bien « pastorale » comme enseignante, mais j’ai la conviction de mieux accomplir le ministère auquel Dieue m’appelle comme pasteure. Imaginez le dynamisme d’une Église où toutes et tous ont des chances égales de discerner et d’actualiser leurs ministères respectifs !
Le discernement
Qu’il soit question de vocation personnelle ou bien du ministère de l’Église dans son ensemble, le discernement se doit d’être fait en communauté. Il doit être réceptif aux mouvements de l’Esprit et à l’écoute de la diversité des voix, des expériences personnelles et des perspectives qui s’y trouvent. Comment peut-on espérer discerner les voies de Dieue quand des segments entiers de l’Église n’ont pas voix au chapitre ?
C’est justement dans l’espoir de mieux discerner l’appel de Dieue et, par conséquent, de mieux accomplir sa mission que l’Église Unie met en place des mécanismes pour s’assurer qu’une diversité de voix se fait entendre de manière égalitaire. Au niveau local, régional et national, laïques autant que pasteur·es, d’origines, de cultures, d’identités de genre différentes, participent de façon égalitaire aux débats ainsi qu’aux prises de décisions.
Par exemple, d’ici les prochains mois, chaque communauté de foi et chaque conseil régional (l’équivalent d’un diocèse dans la structure romaine) de l’Église Unie sont appelés à se prononcer sur la création d’une instance autochtone autonome à l’intérieur de l’Église Unie. Concrètement, dans un tel processus de prise de décision, cela implique que le vote de ma petite paroisse francophone de Québec compte autant que celle d’une plus grosse paroisse anglophone de Montréal ou de Toronto.
Un deuxième exemple a eu lieu en 2021, à quelques jours de Noël, alors qu’une recrudescence de cas de COVID s’était manifestée. Devions-nous tenir le culte de la veille de Noël en personne comme prévu ou bien le faire sur Zoom uniquement, pour une deuxième année consécutive ? Les avis étaient partagés, mais les membres du conseil de ma paroisse – hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, protestant∙es de souche et chrétien∙nes issues de diverses Églises, laïques (avec une solide formation en théologie ou non) – et leur pasteure ont pris le temps d’écouter tous les points de vue. Cette discussion nous a conduit∙es, me semble-t-il, à prendre la meilleure décision pour notre communauté de foi dans le contexte, et donc de mieux accomplir notre mission.
Cela ne veut pas dire que tout le monde est toujours d’accord avec toutes les décisions qui sont prises, loin de là. Mais, pour nous, « unie » ne signifie pas « uniformité », et « égale » n’est pas synonyme d’« identique ».
Voici un dernier exemple : officiellement, l’Église Unie s’est prononcée en faveur de la bénédiction et, par la suite, du mariage des couples de même sexe. Cependant, toutes les paroisses ne sont pas inclusives et, même à l’intérieur d’une même paroisse, il peut y avoir une diversité d’opinions sur le sujet. Le Conseil général n’impose pas de « ligne de parti » à laquelle toutes les paroisses seraient tenues d’adhérer. Toutes les communautés de foi sont égales, en ce sens qu’elles ont le même pouvoir de discerner pour elles-mêmes la marche à suivre. Toutefois, quand l’occasion se présente, on encourage les paroisses qui refusent les mariages de même sexe à référer les couples à une autre communauté de foi. De cette manière, il me semble, l’Église accomplit sa mission en se mettant ensemble au service du plus grand nombre, dans le respect et l’humilité.
Cela ne signifie pourtant pas que tout est acceptable dans l’Église Unie. Comme le dit l’un de mes collègues, il faut distinguer entre les croyances et le comportement des personnes. À l’Église Unie Saint-Pierre, par exemple, tout le monde n’est pas d’accord avec les positions de l’Église sur l’accès au ministère des personnes LGBTQ2+ ou sur le mariage des personnes de même sexe. Mais les paroles ou les gestes irrespectueux ou discriminatoires à l’égard de ces personnes ne seraient pas tolérés.
Dans l’Église, il y a toujours eu une diversité de dons, d’appels, de points de vue et de perspectives. L’Église fait preuve d’intégrité quand elle l’admet. Je dis souvent que tout ce que je dis est une erreur théologique. Je suis comme Ésaïe (Ésaïe 6, 1) dans le temple, qui ne voit que la traîne du Seigneur sur le trône. Dieue m’échappe totalement ! C’est normal que je me trompe, que je commette des erreurs. Il en va de même pour l’Église. Il n’est pas vrai que l’Église – y compris l’Église catholique romaine – ne peut pas modifier sa théologie, ses positions officielles sur certains points. Elle l’a déjà fait dans le passé. Vous le savez mieux que moi.
Que de torts sont causés par l’Église quand elle croit détenir la seule vérité sur Dieue et sur les humains, et quand elle voit sa mission comme une imposition de cette vérité supposément immuable pour tout le monde ! À mon avis, l’Église accomplit mieux sa mission quand, par la grâce de Dieue, elle est libre de se repentir, d’ajuster sa marche pour le bien de toutes et de tous[3].
Une Église ainsi libérée pourra mieux accomplir sa mission, justement parce qu’elle consacrera le meilleur de ses énergies non pas à justifier la nécessité de l’égalité, mais à investir la diversité de ses dons dans le ministère. Je souhaiterais beaucoup participer à un autre synode des femmes sur cette autre question : « Quelle est la mission d’une Église égalitaire dans le monde aujourd’hui ? » Il me semble que, devant les défis de taille auxquels tous les humains font face aujourd’hui, le monde a besoin d’une Église égalitaire où tous les baptisé·es sont libres de discerner et d’actualiser leur vocation selon les dons et les talents que l’Esprit leur accorde… pour la gloire de Dieue et le salut du monde.
[1] Avant de devenir pasteure, Darla Sloane a enseigné le français et l’anglais langue seconde à Vancouver et ensuite à Québec. Elle a été consacrée pasteure en 2001 par le Synode Montréal et Ottawa de l’Église Unie du Canada. Depuis, elle a exercé son ministère dans différents milieux (paroissial, universitaire, hospitalier et carcéral). Elle a aussi travaillé au bureau du Conseil général de l’Église Unie du Canada comme responsable des ministères en français. Elle est actuellement pasteure de l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet. Depuis 2019, elle est aussi Honorary Ecumenical Assistant à l’Église anglicane Saint-Michael, à Québec.
[2] Par exemple, Genèse 1 et 1 Corinthiens 12.
[3] C’est cette liberté qui a conduit l’Église Unie, dès 1986, à présenter ses excuses aux peuples autochtones pour les torts causés par les pensionnats.