Pour une réforme systémique ecclésiale en Suisse
Martine Floret[1]
Je désire présenter ce qui m’apparaît comme une nouveauté, en Suisse, à savoir l’utilisation d’un langage critique et des prises de position audacieuses reliées à la démarche synodale ou à l’actualité ecclésiale locale.
Je parle à partir de trois lieux : le pays dans lequel je travaille actuellement, la Suisse ; mon lieu d’engagement professionnel, le canton de Lausanne, au sein du diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg ; et, enfin, le Réseau des femmes en Église de Suisse romande[2].
Un langage direct et critique
C’est effectivement ce que nous lisons dans deux textes, à commencer par la déclaration corédigée par la délégation suisse pour l’Assemblée synodale continentale de Prague[3] :
[…] l’Église doit pouvoir assumer davantage de responsabilités dans ses régions. Ce n’est que dans des contextes locaux et vécus que la participation de tous les baptisés à la vie chrétienne devient concrète et directe.
[…] Depuis de nombreuses générations, nous avons, dans certains diocèses de Suisse, des expériences positives avec des structures de participation. Elles correspondent à la tradition de notre culture démocratique et ont été adaptées à l’Église. Les points essentiels sont une consultation qualifiée et la recherche d’un consensus.
[…] Une grande partie des voix provenant de Suisse ne peut pas comprendre que l’Église enseigne (Gal 3,28) et renonce en même temps au service de nombreuses personnes qui ressentent l’appel, parce qu’elles ne peuvent pas agir comme diacres ou prêtres.
Le deuxième texte s’intitule Réactions à l’instrumentum laboris[4], rédigé par la Ligue suisse des femmes catholiques (SKF). Il y est courageusement affirmé qu’il y a urgence à revoir la théologie du sacerdoce et des ministères, et la théologie morale sexuelle afin de sortir du cléricalisme, de l’infériorisation des laïques et d’un pouvoir non partagé (p. 1).
Au-delà de ces deux écrits, des réactions à la récente actualité ecclésiale suisse me semblent poursuivre dans cette lignée critique.
Des audaces de paroles et de décisions
Suite aux résultats d’une étude nationale de l’Université de Zurich[5] sur des abus commis au sein de l’Église suisse, différentes déclarations d’autorités ecclésiales ont été prononcées qui, elles, contrairement aux étapes synodales, ont été relayées dans la presse de tout le pays.
Unanimement, les causes ayant conduit à ces abus sont enfin publiquement nommées[6] : dysfonctionnement du système ecclésial ; culture du silence ; souci de préserver l’image de l’Église et de ses clercs avec oubli total des victimes ; prêtres et évêques juges et partis dans la gestion des cas ; traitement des crimes sans dénonciation aux autorités civiles[7].
En décembre 2023, l’évêque de Bâle, président de la Conférence des évêques suisses, Félix Gmür, affirmait publiquement à la presse : « L’Église est tombée dans le piège du pouvoir, alors que la foi est quelque chose de très personnel. C’est à cela qu’il faut revenir. […] Nous devons mieux répartir le pouvoir […]. Le temps où le prêtre était un demi-dieu est révolu[8]. » Outre la fin du célibat obligatoire, Félix Gmür s’est déclaré publiquement favorable à l’ordination des femmes : « Je ne comprends pas la subordination des femmes dans l’Église catholique. Elle doit changer. […] L’éthique doit remplacer la morale. Le rôle et la position de l’homme et de la femme doivent être repensés. » Le tout exige d’accorder le droit canon à ces dispositions.
Enfin, je relève un autre « signe des temps » que nous venons de vivre localement : l’évêque de notre diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg, Charles Morerod, ayant dû être hospitalisé en urgence alors que son vicaire général visé par une accusation s’était mis en retrait, a eu l’audace de nommer un « comité de gestion » ad intérim composé de quatre laïques[9] : deux femmes et deux hommes. Une première ! Pour autant, devant l’étonnement qu’aucun clerc n’ait été nommé, un communiqué de presse a dû préciser que ces quatre laïques poursuivaient « le travail courant qu’ils font déjà à l’évêché[10] ».
On peut saluer le choix délibéré de la part de l’évêque qui, dans le même sens, a nommé des femmes et des hommes laïques en remplacement des vicaires, de clercs, à la tête des quatre cantons du diocèse. Ils et elles agissent officiellement comme représentantes et représentants de l’évêque.
Conclusion
Le synode des femmes soulève la question de la signification de la démarche synodale pour les femmes et pour l’égalité dans l’Église. Je réponds qu’une démarche, même mondiale, n’assurera pas à elle seule les changements indispensables pour que ne se reproduisent plus les crimes d’abus sexuels récemment révélés en Suisse, notamment. Il en résulte présentement une douloureuse concordance d’évènements qui, aujourd’hui en Suisse, nous permettent pourtant de croire et d’espérer que nous ne pourrons revenir en arrière, et que nous devons participer à une réforme systémique ecclésiale.
Pour reprendre les paroles d’une collègue, « nous sommes dans une période de purification. On veut être vrai·es, on veut sortir de la culture du silence. Mais nous voulons le vivre avec toutes et tous, même et surtout avec celles et ceux qui font l’expérience de la pauvreté ».
La démarche synodale me semble s’inscrire dans un mouvement de possibles pluriels.
[1] Martine Floret est théologienne et intervenante pastorale en diaconie dans le diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg (Suisse). Après des études en gestion des entreprises, elle réaliseunMasterenthéologie,conjointemententrelesuniversitésde Fribourg(Suisse)etde Montréal. Pendant son séjour au Québec, elle a été membre du réseau Femmes et Ministères. À son retour en Suisse en 2016, elle se joint au Réseau des femmes en Église de Suisseromande.
[2] Créé en 2015, le Réseau comprend une soixantaine de membres et quatre-vingts sympathisant·es. Avec le Conseil des femmes de la Conférence des évêques suisses (CES) et la Ligue suisse des femmes catholiques (SKF), il forme la Plateforme d’échange des organisations de femmes (créée en 2022). Je remercie mes collègues du Réseau pour les échanges et leurs précieux retours dans la perspective de cette intervention.
[3] Déclaration cosignée par Mgr Felix GMÜR, président de la Conférence des évêques suisses, Helena JEPPESEN-SPUHLER, déléguée, et Tatjana DISTELI, déléguée, le 5 février 2023.
[4] LIGUE SUISSE DES FEMMES CATHOLIQUES (SKF), Réactions à l’instrumentum laboris, août 2023.
[5] En novembre 2021, un contrat de recherche a été signé entre l’Université de Zürich et la Conférence des évêques suisses (CES), la Conférence des Unions des Ordres et autres communautés de vie consacrée (KOVOS) et la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), afin de mener une étude sur l’histoire de l’exploitation sexuelle dans le contexte ecclésial catholique en Suisse depuis la moitié du XXe s. Avec les résultats « effrayants et bouleversants » rendus publics en septembre 2023, l’étude se poursuivra jusqu’en 2026.
[6] Comme ce fut le cas également dans l’excellent rapport français de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE). www.ciase.fr
[7] En 2002, la Conférence épiscopale suisse a créé un groupe spécialisé sur les abus sexuels et a adopté de premières directives pour y faire face. Pour le diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg, les accusations et les signalements sont annoncés à la justice civile depuis 2016. Journal La Gruyère, le 30 septembre 2023.
[8] Voir « Mgr Gmür appelle à la fin du célibat obligatoire », Cath-Info, 25 septembre 2023.
www.cath.ch/newsf/mgr-gmur-appelle-a-la-fin-du-celibat-obligatoire/ (consulté le 27 décembre 2024)
[9] Quatre membres des services centraux de l’évêché : Laure-Christine Grandjean, chancelière ad intérim et porte-parole de l’évêché ; Mari Carmen Avila, représentante pour la prévention des abus ; Patrick Mayor, responsable des ressources humaines ; et Jean-Baptiste Henry de Diesbach, président du conseil d’administration de l’évêché.
[10] Communication interne, le 11 octobre 2023.