DE LA RÉFLEXION À L’ACTION

Travail collectif : pour la culture de la sororité
Plénière du 13 octobre 2023

Christine Lemaire, Johanne Carpentier et Marie Bergeron

 

Comment les informations partagées par les membres des panels du vendredi ont-elles fait leur chemin dans l’esprit et le cœur des participant·es ? La plénière qui a suivi les diverses communications leur a permis d’en discuter, d’abord par groupes de deux personnes, puis avec toute l’assemblée. Le nombre de personnes étant considérable, nous avons formé un grand cercle de parole.

Avant de débuter ce temps de plénière, quelques exercices ludiques visaient à installer un climat de sororité et de fraternité entre les personnes. Nous voulions créer un espace favorable à la montée de ce qui résonnait en chacun·e à la suite de ce qui avait été vu et entendu. Dans un premier temps, des commentaires plus généraux ont permis de saisir l’appréciation de la journée dans son ensemble. Ensuite, les discussions ont porté sur quatre différentes stratégies d’action.

Considérations générales

Les personnes présentes ont d’abord apprécié la variété et la qualité des diverses interventions. Le panel consacré aux jeunes a toutefois fait l’objet de commentaires variés, parfois contradictoires. Les moins de 35 ans étaient, déjà, très peu nombreux·ses et ne se sont pas senti·es bien compris·es. Par exemple, les plus âgé·es ont beaucoup apprécié, voire loué, les propos des quatre membres du panel. Mais il faut croire que cet enthousiasme avait tendance à mettre de l’ombre sur le caractère radical et l’indignation des présentations. On a donc souligné l’urgence de poursuivre le dialogue intergénérationnel, qui s’avère essentiel à une transformation de la gouvernance de l’Église.

Par ailleurs, ça bouge beaucoup à l’international, nous devons demeurer en contact le plus possible avec nos consœurs des autres pays[1] et retisser les liens avec les évêques, qui se sont rompus chez nous depuis l’interdiction de Jean-Paul II de discuter de la question des ministères.

Intra-muros

Quatre grands types de stratégies ont donc émergé de nos discussions en plénière. La première bataille se passerait entre les murs de l’institution. Celles et ceux qui adoptent cette stratégie tiennent trop à l’Église pour la quitter. Le mot d’ordre du Comité de la jupe : « Ni partir, ni se taire[2] » résume bien cette position. C’est le cas, notamment, des femmes qui ont décidé de participer au Synode romain de 2023. Au Québec, c’est l’angle d’action adopté par le groupe Femmes et Ministères.

Selon les participantes, certaines conditions sont nécessaires à cette position. Il faudrait d’abord cesser de prétendre que l’Église est universelle et uniforme. Ce premier constat libérerait les membres de l’Église de la discipline commune : il valorise plutôt l’autonomie des communautés locales. Il faut ensuite accepter la discussion et la différence. Par exemple, la volonté de se mettre au pas des communautés les moins progressistes cesse d’être une raison donnée à l’inaction et au statu quo. Comme c’est le cas dans l’Église Unie[3], on pourrait tout à fait accepter que certaines communautés acceptent et promulguent certains modes de vie, alors que d’autres ne s’en sentent pas capables. Cette approche s’inscrit dans le temps long ; elle demande de s’armer de patience.

Une deuxième stratégie est d’agir dans l’Église, mais une Église qui se serait déjà transformée. Il s’agit en quelque sorte de vivre une utopie. À ce chapitre, nous avons entendu l’exemple éloquent des femmes prêtres catholiques[4]. Cette avenue est réservée à celles qui n’ont pas froid aux yeux, puisqu’elle se paie par le rejet brutal de l’institution, soit l’excommunication. Cette voie reproduit le modèle hiérarchique actuel de l’institution. Toutefois, cette hiérarchie se trouve déjà métamorphosée par la présence des femmes. On y applique notamment les valeurs d’égalité entre femmes et hommes, mais aussi entre clercs et laïques. On a moins d’appétit pour l’apparat. Alors que la première stratégie se déroule dans un temps long, la seconde se vit dans l’immédiateté. Elle actualise, ici et maintenant, les changements souhaités.

Une formule plus douce de cette approche est représentée par la Communauté chrétienne de Saint-Albert-le-Grand[5] et, sans doute, par d’autres communautés de bases disséminées sur le territoire québécois, notamment. Ici, les frontières de ce que l’on peut faire ou ne pas faire au sein de l’institution sont constamment testées. On vit aux limites du territoire qui nous est imparti, ce qui laisse une place de choix à une spiritualité laïque, où les femmes sont très présentes et actives. Les prêtres engagés dans de telles communautés doivent faire preuve d’une certaine ouverture, sinon d’humilité, ce qui ne semble pas donné à tous.

Extra-muros

Une troisième approche a été adoptée par des féministes qui s’identifient comme chrétiennes, mais qui ont développé leur spiritualité hors les murs de l’institution. La collective L’autre parole est un bon exemple de cette stratégie. Ces femmes se font solidaires des revendications à l’interne, bien que, pour la plupart, elles ne misent pas sur l’accès des femmes au diaconat ou à la prêtrise pour régler les problèmes actuels de l’Église. Elles décident de vivre, ici et maintenant, une spiritualité féministe chrétienne qu’elles inventent au fil des années, le plus souvent dans le respect de la tradition chrétienne, mais pas seulement. Elles mettent ainsi leurs énergies sur la construction d’alternatives spirituelles, des « Ecclésia de disciples égales », porteuses du message de Jésus.

Enfin, la quatrième stratégie est plus récente : il appert qu’elle s’est imposée au regard du manque progressif d’énergie vitale chez les chrétiennes, mais surtout de leur impression d’être arrivées au bout de leurs ressources. Devant les portes hermétiquement closes du Vatican et la perte progressive de leurs alliés depuis 1995, elles en arrivent à chercher ailleurs des solutions. Il s’agit en l’occurrence de faire appel au soutien des féministes sociales. Cette dernière stratégie s’est ajoutée à celle de Femmes et Ministères ces dernières années.

Ici, il n’est pas nécessaire d’être croyante ou d’adhérer étroitement aux messages des évangiles. Ce qui importe, c’est le respect du principe essentiel de l’égalité entre les hommes et les femmes au sein de la société moderne. Cette approche reconnaît l’influence immense et néfaste de l’Église institution, en ce qui concerne la vie des femmes dans le monde. On n’a qu’à penser au fait que le Vatican siège à l’ONU ou que des organismes tels que Développement et Paix font de l’avortement une condition de leurs subsides[6].

Bien que, depuis la Révolution tranquille, beaucoup de femmes ont tourné le dos à l’Église, il n’en demeure pas moins que, malgré les églises vidées, l’Église catholique garde énormément de pouvoirs au sein même de la société québécoise : on lui accorde tacitement le droit de discriminer. Le combat est politique et juridique. Ici, c’est à la société civile d’inspirer l’Église, pour le bien de toutes les femmes.

Conclusion

Il est important de comprendre que ces quatre stratégies ne sont en aucun cas en compétition les unes avec les autres, bien au contraire. L’une ou l’autre se valent en autant que la personne qui les adopte s’y sente à l’aise, en fonction de ses motivations personnelles. Dans l’ensemble, elles sont donc complémentaires. Une personne pourrait même choisir d’agir sur plus d’un front.

Tout compte fait, cette première journée du Synode des femmes a été bien fructueuse. Le nombre important de participant·es a démontré le besoin d’un tel rassemblement à Montréal.

[1] Cette question a fait l’objet des présentations du lendemain.

[2] Référer au texte de Sylvaine Landrivon.

[3] Référer au texte de Darla Sloane.

[4] Référer au texte de Marie Evans Bouclin.

[5] Référer au texte de Michèle Beaulac.

[6] Référer au texte de Marie-Andrée Roy.