ALEJANDRA et CHAVELA,
des femmes comme les autres Du développement au Honduras
ALEJANDRA et CHAVELA, des femmes comme les autres Du développement au Honduras
Alejandra et Chavela habitent le bidonville de La Laguna. La violence et 1a misère s’y sont installées de paire. Toutes deux sont mères monoparentales et ont quitté l’école bien avant la fin du primaire. D’origine modeste et paysanne, elles ont migré vers la ville à la recherche de meilleures conditions de survie. Elles y ont fondé leur famille respective. Ni pour l’une ni pour l’autre, l’arrivée dans une communauté urbaine (mais pauvre) n’a représenté la solution magique au bien être comme elles l’avaient espéré. Cependant, bien qu’elles soient arrivées dans des conditions similaires, Alejandra a su prendre un envol remarquable en recouvrant le pouvoir sur sa vie et sur celle de sa communauté alors que Chavela vit encore et toujours dans la misère qui l’a amenée à se réfugier en ville.
Comme bon nombre de femmes honduriennes, Alejandra et Chavela sont seules pour subvenir aux besoins de leurs nombreux enfants. Cela signifie, comme dans ces deux exemples, la participation prématurée des enfants à l’économie familiale. Celle-ci se fait le plus souvent par le biais de l’économie informelle où ces derniers se retrouvent à la merci des abus et des violences d’adultes ou d’employeurs malintentionnés. L’apport des enfants à l’économie contribue en moyenne à près de 25 % du revenu familial. Les enfants permettent ainsi à leur mère d’assumer de multiples tâches domestiques rémunérées : lavage du linge, cuite des tortillas, etc. De leur côté, les enfants remplissent des tâches similaires y compris les soins des plus petits.
En 1990, Alejandra, Chavela et tous les parents d’enfants travailleurs de leur quartier furent inviter à participer à une réunion communautaire convoquée par le promoteur social d’une ONG locale de développement. « Allons voir ce qu’ils donnent » disaient certains. « Encore du bla bla et des problèmes » disaient d’autres. « Si seulement mon mari me laissait sortir ! » avouaient plusieurs femmes à leurs voisines. Vingt-trois femmes et deux hommes se rendirent finalement à 1a rencontre. Mais plus de 150 familles d’enfants travailleurs vivent dans ce quartier qui compte environ 1100 habitants.
Ni café ni provisions alimentaires, ni cahiers ni vêtements pour les enfants ne leur sont offerts. Quelle déception pour Alejandra, Chavela et les autres ! Malgré cela, elles participent à l’activité de connaissance et échangent sur les raisons de leur présence à cette rencontre de même que sur la situation familiale qu’elles vivent. Elles passent un bon moment ensemble et certaines d’entre elles déterminent avec le promoteur la date et le lieu de la prochaine rencontre. D’autres, comme Chavela, s’en vont déçues du temps perdu. Des paroles mais pas de solutions miracles à leurs problèmes immédiats : la faim, le manque d’eau, le manque de ressources, etc. Malgré cela, Alejandra et plusieurs femmes comme elle trouvent dans cette initiative un espace d’expression et d’épanouissement.
Le processus éducatif et conscientisant amorcé lors de cette première rencontre allait conduire Alejandra de sa cuisine jusqu’aux quatre coins de son pays quelques années plus tard en tant qu’animatrice ressource pour les regroupements de parents d’enfants travailleurs. Elle venait d’entreprendre un long processus de formation et de conscientisation qui allait lui apporter la chance de regagner sa dignité et 1a capacité de transformer sa propre réalité avec d’autres — hommes et femmes — vivant la même situation. Un mélange de fatalisme et d’ignorance, un assistancialisme traditionnel et une apathie incrustée face à leur situation sont souvent les éléments qui caractérisent les populations les plus pauvres et deviennent par le fait même les premiers obstacles à surmonter afin de viser leur développement humain d’une façon réelle et durable. Certains y arrivent, d’autres pas.
Au fil des années, les réunions communautaires des parents d’enfants travailleurs ont vu naître des comités et des actions de promotion des droits des enfants, d’amélioration de la salubrité dans le quartier, d’installation de l’eau courante, de sensibilisation à la violence envers les femmes et les enfants, de projets économiques, d’aide aux enfants en difficultés scolaires et bien d’autres encore. Peu à peu, les luttes se sont multipliées dans une recherche d’amélioration de la qualité de vie des enfants et des familles touchés par la misère. Les gains peuvent paraître intangibles pour qui vient de loin et constate la misère qui prévaut encore d’une façon si importante dans la vie et l’entourage d’Alejandra. Par contre, les pas franchis par les membres du groupe leur ont permis d’accroître à la fois leur estime personnelle, leur confiance dans leur capacité d’agir et de prendre en main leur devenir, ce qui est considérable pour des gens qui, à l’origine, étaient privés de tout espace de participation et de croissance. Ainsi, grâce au comptoir d’outils scolaires à moindre coût que les familles ont mis sur pied, les enfants ont pu demeurer à l’école, et par le changement des habitudes d’hygiène et l’accès nouveau à l’eau potable dans la communauté, l’incidence des maladies communes comme les
maladies diarrhéiques, respiratoires ou de peau a diminué de façon significative. Ces changements sont toujours incomplets et ne touchent pas la totalité des individus. Cependant, ils sont le fruit de l’effort et du progrès des gens qui travaillent avec la seule force de leurs bras et la volonté de vaincre l’infortune dans laquelle ils se trouvent engloutis du fait d’être nés là où les injustices rongent 1a majorité de la population.
Des regroupements comme celui-ci, il s’en trouve dans plusieurs quartiers pauvres de la région Nord du Honduras. Des hommes, des femmes et des enfants se voient offrir un espace de réflexion et d’action et décident de l’utiliser. Entre tous ces groupes existent des instances de coordination qui permettent une meilleure intégration des actions menées par les divers groupes et une plus grande force au niveau des revendications transcendant les dimensions locales. Chavela n’adhère toujours pas à la démarche d’engagement, comme beaucoup d’autres hommes et femmes de sa condition d’ailleurs, mais l’exemple de ceux qui avancent et gravissent les échelons de la reconnaissance sociale, comme Alejandra, arrive à vaincre le scepticisme d’un quelconque observateur ou intervenant impliqué dans 1a démarche.
Un développement mené par les personnes concernées par la situation problématique est une démarche de longue haleine et de grande conviction. Toute institution ou individu qui s’engage dans l’accomplissement d’un tel processus doit avoir une foi indéfectible en l’être humain et en sa capacité de croître et d’avancer. Les attentes des instances financières de coopération internationales restent souvent courtes devant la lenteur et l’incertitude qu’impliqué une telle démarche éducative. Mais les impacts provoqués par les gens concernés, aussi petits soient-ils, valent toujours la peine d’endosser avec patience et humilité ce défi qu’est l’accompagnement des plus pauvres dans leur développement.
STÉPHANIE ARSENAULT,
étudiante en travail social, Université du Québec à Montréal