ALTERMONDIALISATION, ENVIRONNEMENT ET CHRISTIANISME
CHOLETTE NATHALIE
Nathalie Cholette est étudiante à temps partiel en théologie et en science des religions à l’Université de Montréal, où elle est vice-présidente à la vie étudiante au sein de l’association étudiante. Ses études l’ont amenée à se pencher sur les liens entre l’environnement, le néolibéralisme et les Écritures. Elle est membre du Centre de théologie et d’éthique contextuelles québécoises, de la coalition Eau-Secours!, du parti politique Québec solidaire ainsi que de Bonnes Nouv’ailes. Elle a participé au premier Forum québécois théologie et solidarité ainsi qu’au premier Forum social québécois, où elle a animé certaines activités.
Les enjeux
Avant toute chose, une précision s’impose, je ne suis pas une écologiste ni une spécialiste de l’écologie, je suis une écologue1. C’est le théologien Douglas Hall qui a introduit ce qualificatif décrivant ceux qui s’intéressent au phénomène environnemental sans comprendre la totalité du fonctionnement de la nature. Le principal enjeu de la crise environnementale est la survie de l’humanité. Je parle de crise environnementale, mais c’est l’humanité qui est en crise face à la création et non l’environnement qui est en crise avec lui-même. D’un point de vue anthropocentrique, ce n’est plus une grande nouveauté de dire que le genre humain est une facette de la biodiversité. Nous ne sommes pas la seule forme de vie possible, et après nous, la création se restructurera. Je ne peux croire que l’extinction de l’espèce humaine soit la seule solution envisageable pour la conservation de la biodiversité et des écosystèmes. Nous sommes placés devant des choix de vie qui auront d’immenses conséquences pour les générations à venir. Il y a urgence d’agir!
On ne peut dissocier le système économique des problèmes environnementaux. Le premier enjeu est d’ordre économique. Les tenants de la pensée néolibérale traitent les gens qui ont cette conception d’alarmistes, voire d’agitateurs. Le système néolibéral engendre un écart immense entre les riches et les pauvres, entre les québécoises les plus pauvres et les africaines les plus riches, entre le Nord et le Sud. Les plus grandes victimes de la crise sont les pauvres, particulièrement des femmes, des enfants et des vieillards. Je n’admets pas que le système soit ainsi et que l’humanité doive s’y plier. Dans la mouvance altermondialiste, nous sommes nombreux à ne pas l’admettre. Le marché n’est pas bon, ni nécessairement mondial ! La diversité économique est possible et nécessaire. La santé économique ne peut primer sur la santé des êtres vivants, sur la santé de notre planète.
Pour provoquer un changement, la société civile doit faire d’énormes pressions sur le marché ainsi que sur l’État. Nos choix économiques ont et auront de plus en plus d’influences. C’est l’enjeu qui au plan personnel est le plus accessible. Apprendre à consommer, à bien consommer. Mais comment le faire ? Comment être certain que nos achats reflètent nos valeurs, nos idéologies ? Il existe une manière respectueuse de consommer. Ce sont de petits gestes que nous connaissons tous. La mobilisation citoyenne semble dérisoire face aux gouvernements qui font souvent la sourde oreille face aux demandes de la société civile, mais celle-ci a une influence certaine. Pensons à la centrale du Suroît… Il faut passer outre la peur que le système économique ne tiendra pas le coup; il changera, s’adaptera. L’économie a toujours existé et on oublie trop souvent que notre système actuel est là depuis un peu plus d’un centenaire, ce qui est très peu dans l’espace temps.
Il faut aussi travailler les manières de penser en profondeur. Le deuxième enjeu est idéologique. Bannir les valeurs qui priment dans la dynamique actuelle, où le profit individuel est à la base de toute action humaine. Décrier haut et fort la compétition féroce entre les corporations, qui amène une anti-solidarité flagrante entre les êtres humains. Il faut valoriser la responsabilité individuelle et collective. On constate un malaise planétaire, qui doit être à la base du renversement des valeurs du système. Il faut désacraliser l’argent, le profit et la réussite financière. L’économie se mondialise, l’alternative aussi. Nous sommes invités à entrer dans la danse. L’altermondialisation offre une kyrielle de possibilités. La diversité du mouvement est considérée par ses antagonistes comme une faiblesse mais lorsque l’on parle d’environnement, il me semble que d’offrir une seule solution est impossible. La diversité, tout est là, bien qu’une tendance générale soit nécessaire.
Les courants
Les courants de pensée en éthique environnementale sont nombreux. On dénombre un grand nombre d’approches; certaines me touchent plus que d’autres. Je dresse ici un bref portrait, loin d’être complet, de quelques unes d’entre elles.
L’écologie profonde est l’éthique la plus connue. Elle met de l’avant « l’urgence de “refaire l’unité” entre l’Humain et son milieu naturel par une “maturation de conscience” et préconise le rejet de la mentalité individualiste et égocentrique occidentale qui a perverti l’esprit humain au cours des siècles »2. Elle vise l’élargissement de la conscience humaine afin de réactualiser son sentiment d’appartenance à la communauté formée d’êtres vivants qu’est la création. La deep ecology désire dépasser les diverses croyances religieuses et promeut la vision commune d’une compréhension de la destinée personnelle passant obligatoirement par l’acceptation de notre dépendance envers la « Totalité naturelle»3.
L’écocentrisme propose le déploiement d’un cadre moral dans une vision scientifique et rationnelle. Les règles éthiques proviennent des avancées marquant la science écologique du XXe siècle. « Une compréhension adéquate des phénomènes naturels passe par une vision élargie qui ne focalise plus sur des composantes envisagées séparément, mais bien sur les “processus d’échange”, les “ interrelations” et les “interdépendances” qui lient les multiples éléments des écosystèmes qui composent l’écosphère dans son ensemble »4.
Le biocentrisme désire principalement étendre l’application du lien éthique au-delà des règles régissant les rapports entre êtres humains grâce au critère de la vie biologique. Au contraire des autres éthiques, ce sont tous les êtres peuplant la biosphère, pris dans leur individualité, en tant que porteur d’un projet de vie unique qui devient critère de moralité.
L’écothéologie vise particulièrement la compréhension des souches religieuses à la crise et des méthodes pour y remédier. La crise originerait de la tradition judéo-chrétienne, car elle aurait répandu la représentation d’une temporalité linéaire rompant avec le modèle cyclique ancestral et insufflant une image de l’histoire en marche ascendante vers un lieu ultime d’achèvement symbolisé par le Jugement dernier. C’est ensuite avec l’apport de la science moderne que la dégénération serait amplifiée. Peu importe nos croyances actuelles, lorsque nous vivons au Québec, notre histoire est façonnée par le catholicisme. Le rejet actuel de l’Église vers une prétendue laïcité ne peut effacer les traces laissées au fil des siècles sur la pensée occidentale et donc québécoise.
Liens entre christianisme et environnement
Genèse 1, 28 indique : « Ayez des enfants, devenez nombreux, peuplez toute la terre et dominez-la; soyez les maîtres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre »5. Le texte poursuit au verset suivant : « Et elle (Dieue6) ajouta : “Sur toute la surface de la terre je vous donne les plantes produisant des graines et les arbres qui portent des fruits avec pépins ou noyaux. Leurs graines ou leurs fruits vous serviront de nourriture…” » (Gn 1, 30). Les accusations portant sur la responsabilité judéo-chrétienne face à la crise prennent racine dans ce texte mais il est primordial de le regarder avec des lunettes différentes.
Suite à la critique de Lynn Whyte Jr., qui disait : « puisque les racines de notre problème sont principalement religieuses, le remède doit aussi être essentiellement religieux, que nous l’appelions ainsi ou non »7, on affirme que le mépris de la création, rendant possible le massacre actuel de la planète a pour origine l’humanité, devenue prédatrice universelle au nom de la Bible. Je crois que la réalité de l’époque « ne ressemble pas beaucoup à la bénédiction du verset 28 […]. Dans le contexte du temps, cet ordre ressemble plus à un rêve, à un désir utopique qu’à une possibilité »8. Le contexte du récit n’a rien à voir avec les problèmes écologiques modernes. L’auteur vit dans une société fragile qui maîtrise l’élevage et l’agriculture. D’accord, les techniques sont développées mais cela n’a rien à voir avec notre avancée technologique.
La nature dans le monde juif est une alliée, tout autant qu’une menace. Le récit désacralise le monde en montrant que Dieue ne se confond pas avec lui, elle affirme le fait de la liberté humaine. Par ailleurs, en aucun endroit ce texte ne justifie la violence humaine. Si la domination est devenue une tyrannie, c’est qu’à un certain moment, le service de Dieue a été occulté. Mal comprise, la tâche de gérer le monde est devenue une envie démesurée de le violenter afin d’affirmer son instinct de pouvoir.
Le thème de l’intendance ou stewardship9 constitue une richesse négligée de la tradition. Il ne s’agit pas d’un acte à poser dans le monde mais bien une manière de « se poser » qui assure la structure écologique de l’humanité. Il n’a pas un sens exclusivement religieux, il est tout à fait compatible avec la modernité actuelle qui souligne la responsabilité humaine dans le monde10.
D’un point de vue biblique, ce concept est évangélique, puisqu’il s’agit de l’ « enseignement parabolique de Jésus »11, figure par excellence de l’intendant. L’humanité est appelée à admettre et à accepter son état de créature afin de pouvoir remplir sa responsabilité de représentation de Dieue. Ce n’est pas exclusivement grâce à une nouvelle vision de Dieue que la crise peut être résolue mais conjointement via un regard neuf sur l’humain et sur la divinité. L’intendance met l’accent sur la responsabilité en arborant un modèle relationnel entre l’humain et tout ce qui lui est confié, où sont exclus autant l’excès (surproduction et exploitation par orgueil) que la négligence (non-production et stagnation par paresse). Être intendant de Dieue, c’est finalement être image de Dieue dans le monde. L’intendance des affaires d’un autre renvoie à un souverain. Ici, Celle à qui on est redevable n’est pas une reine terrestre, mais Dieue. Conséquemment la possession, la maîtrise et la domination ne sont attribuables qu’à Elle seule. Puisque l’intendant est débiteur à Dieue de l’exercice de son mandat, il doit éventuellement rendre des comptes. La notion de jugement dernier est en étroite corrélation avec celle de l’intendance12.