APRÈS AVOIR FAIT LE POINT, NOUS REPARTONS : EN AVANT, TOUTES !
Marie Gratton, Myriam
Participer au colloque annuel de L’autre Parole, c’est toujours une aventure. Nous avons eu beau connaître son thème à l’avance, que dis-je, l’avoir choisi ensemble, avoir réfléchi à son contenu, avoir participé parfois très activement à son élaboration, rien n’y fait, cette rencontre, aussi studieuse que festive, nous réserve toujours sa part d’inconnu.
Dire « inconnu », c’est avouer un brin d’inquiétude, mais aussi de curiosité et de fascination. Dire « aventure », c’est évoquer une prise de risques amplement justifiée par de grandes espérances.
Le colloque, qui s’est tenu à Richelieu en août dernier, illustre d’une manière exemplaire ce que je viens d’écrire. Vingt-huit années d’existence, de militance, ce n’est pas nécessairement le moment obligé d’une crise d’identité, mais c’est certainement une occasion de jeter un coup d’œil en arrière, à la fois pour voir d’où nous venons, où nous sommes rendues — et dans quel état ! — et pour vérifier si nous sommes suivies par nos alliées naturelles ou poursuivies par nos détracteurs héréditaires. C’est surtout le temps, comme toujours, il faut bien le dire, de regarder l’avenir, de voir si nous avons encore en mains les outils pour l’affronter, ou ce qui est mieux, pour le façonner à la ressemblance de nos ambitions, de nos espérances.
Il ne faut pas s’étonner qu’en faisant le point le thème de l’identité soit revenu comme un leitmotiv, mais jamais comme une rengaine, puisque chaque participante a imprégné son intervention de sa personnalité.
En ouverture de colloque, Diane, Marie et Denyse Marleau, usant de tous leurs talents de comédiennes et de musiciennes, nous ont retracé, sur un mode humoristique, les étapes de la croissance de notre collective. En nous invitant à compléter le portrait en soulignant des événements qu’elles auraient pu oublier, elles nous ont permis de saisir qu’à un titre ou à un autre, nous avions chacune à notre manière écrit l’histoire de cette petite fille nommée par ses mères L’autre Parole. Mise au monde dans l’espérance, grandie à travers les soubresauts liés à ses multiples et difficiles engagements, elle en est arrivée à se demander, la maturité venue, quelle orientation donner à son avenir. Doit-elle maintenir le cap ou réorienter la barque avant de crier : « En avant, toutes ! » ?
Dans l’article que Louise Melançon signait dans le centième numéro de notre revue, la démarche était certes fort différente, plus théorique, mais retraçait aussi les grands jalons de notre aventure, son inscription dans le courant des théologies de la libération, son cheminement dans un monde qui n’en finit plus de changer, tant au plan social que religieux, et le défi qui n’a cessé de se faire plus exigeant, quand on tient à se définir à la fois comme féministes et comme chrétiennes. L’autre Parole a non seulement compris les richesses d’une approche oécuménique traditionnelle, mais elle a su encore saisir l’occasion, alors que les grandes religions sont en crise, de miser sur la quête de spiritualité qui surgit de partout et de s’ouvrir aux multiples expressions qu’elle a prises dans les groupes de femmes. Ainsi, L’autre Parole, en se faisant accueillante aux recherches spirituelles issues d’autres cultures, a non seulement élargi son champ de vision, elle a, du même élan, contribué à bâtir des ponts.
Dans un monde de plus en plus sécularisé, le nouveau défi qui nous confronte c’est le passage du flambeau à la jeune génération, celle de nos filles et de nos petites-filles. Entretiendront-elles le feu sacré ou le laisseront-elles s’éteindre ? Nous considéreront-elles comme des héroïnes valeureuses, et parfois fatiguées ! ou comme des idéalistes complètement dépassées, qu’il serait futile de suivre lorsqu’elles invitent à aller : « En avant, toutes ! »?
Le texte de Monique Hamelin a les accents d’un manifeste et dès la première écoute j’avais été frappée par sa puissance évocatrice. En le lisant, cette impression n’a fait que se renforcer. Monique nous fait revivre les grandes étapes de l’aventure de L’autre Parole en les inscrivant dans l’histoire du Québec. Les féministes chrétiennes que nous sommes, ont été et restent des citoyennes dont les engagements ont aussi été marqués par le climat socio-politique des vingt-cinq dernières années. Quand un vent de morosité souffle sur le pays, quand une bourrasque conservatrice s’abat sur l’Église, il faut que le cœur se bronze pour ne pas se briser. Il faut se redonner mutuellement courage pour aller « En avant, toutes ! ».
En retraçant son itinéraire personnel, Danielle Guay nous rend un fier service, car elle évoque les étapes qui marquent une existence, quand une personne décide de prendre sa vie en mains, de la façonner à sa façon et de l’ouvrir à des horizons plus larges, même s’il faut y mettre le prix. Cela s’applique aussi aux collectivités. En parlant de son « rêve, » de la reconnaissance de ses « limites », de ses heures de « découragement », de son «espoir » toujours renaissant, du soutien qu’elle a trouvé dans la « solidarité » et de son indéfectible « détermination », elle ne fait pas que nous raconter les hauts et les bas de son histoire individuelle, elle récapitule du même coup, en utilisant le « je », ce qu’a été l’aventure d’un grand nombre de femmes qui ont refusé de suivre docilement la voie sur laquelle la culture patriarcale croyait pouvoir indéfiniment les engager et les encadrer. Il faut savoir choisir sa route, et avoir appris la joie d’y marcher avec d’autres, « En avant toutes ! ».
Les colloques de L’autre Parole, je le disais au début, sont des rencontres studieuses. Le travail dans les ateliers est là pour en témoigner. Le problème sur l’identité a été repris sous divers aspects, allant du questionnement sur notre nom de naissance, L’autre Parole, à celui de notre spécificité de chrétiennes féministes. Nous nous sommes aussi interrogées sur notre action dans une société en mouvement constant, remodelée parfois à son corps défendant, parfois de bon cœur, au contact de cultures venues de loin et emportant avec elles une autre conception des rapports entre les femmes et les hommes. Le corps des femmes, qui dans le monde occidental est exhibé sans vergogne, jusqu’à en faire un objet de consommation toujours offert au regard masculin, certaines traditions religieuses et culturelles imposent de le voiler. Les hommes prétendent se prémunir ainsi contre un danger ambulant et donc sans cesse appréhendé. Les maîtres flairent partout des menaces quand leur volonté de domination et leur jalousie les aveuglent.
Chaque groupe de L’autre Parole a ses caractéristiques, ses forces et parfois ses faiblesses. Il a été profitable de nous demander si, là aussi, après avoir fait le point, nous devions rectifier la trajectoire avant de dire : « En avant, toutes ! ».
D’entrée de jeu, j’ai aussi qualifié les colloques de rencontres festives. Les célébrations, qui intègrent les réécritures bibliques dans leur déroulement, en sont un réjouissant exemple. Il y a quelque chose de subversif, de ludique aussi, dans le fait de se réapproprier l’Évangile, il faut bien l’avouer, mais en même temps, c’est un travail que nous prenons très au sérieux. Nous passons parfois pour audacieuses, nous le sommes souvent, mais jamais à la légère.
Nos célébrations constituent toujours le moment fort dans le déroulement de nos rencontres annuelles. Notre spiritualité de chrétiennes féministes s’y donne libre cours. Nous y puisons, dans la prière et le partage, dans le silence et l’exploration créative de symboliques renouvelées, le goût et la force de continuer. Nous y refaisons le plein d’énergie et d’espérance, car il en faut pour choisir, en ces temps difficiles, d’aller dans la sororité et la solidarité : « Avant, toutes ! ».