AUTOUR DE L’ORDINATION DES FEMMES ••.

AUTOUR DE L’ORDINATION DES FEMMES ••.

(COMPTE-RENDU DE LUMIERE ET VIE NO 151)

En janvier 1977, La Congrégation pour la doctrine de la foi publiait une Déclaration sur la question de 1’admission des femmes au sacerdoce (1) . Depuis les réactions n’ont pas cessé, de la part des femmes ou de la part d’exégètes et de théologiens, pour interroger ou dénoncer 1’argumentation du Magistère, à savoir que 1’Eglise n’a pas le choix d’exclure les femmes du sacerdoce ou de les y admettre, puisque en Jésus-Christ Dieu aurait tranché 1a question. Se1 on un exégète, Hugues Cousin(2), cette prise de position de 1’Eglise catholique est une pierre d’achoppement, un scandale dans le sens de scandale dénoncé par Jésus lui-même (Mt 18, 6-9), c’est ne pas être fidèle à la révolution que 1’Esprit de Jésus a introduite comme 1’illustre la question des incirconcis dès les origines de la communauté chrétienne. Une affirmation de st-Paul en témoigne: « Ce qui importe, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais la nouvelle création. » (Ga 6, 15).  Si un incirconcis, (un Grec, un Romain ou un Polonais) peut représenter le Christ alors que celui-ci était un circoncis, pourquoi une personne de sexe féminin ne pourrait pas représenter le Christ masculin? De plus, le Christ ressuscité a « détruit toute Domination, toute Autorité, toute Puissance  » (1 Co 15,24) nous délivrant ainsi de tout destin. C’est pourtant soumettre les femmes à un destin que d’affirmer qu’elles ne pourront jamais accéder à un ministère ordonné.

Par ailleurs, cet argument fondé sur la masculinité du Christ se réfère aussi au mystère nuptial tel qu’on le retrouve dans l’Ancien Testament: Dieu est l’Epoux, Israël est l’épouse, et dans le Nouveau Testament, le Christ est l’Epoux et son Eglise, l’Epouse. Marie-Jeanne Bérère, théologienne, fait remarquer qu’en fixant ainsi l’amour de Dieu sur 1’image de la conjugalité, on s’empêche de signifier la profondeur et 1e dynamisme de l’amour de Dieu: « La masculinité de l’époux prend le pas sur la qualité d’amour qui caractérise Dieu. » (p. 96). Cette théologienne fait voir aussi comment le Magistère manifeste une conception sacrale et rituelle du sacerdoce en le proposant comme le lot de quelques individus: une telle conception s’éloigne de celle du Nouveau Testament où tout baptisé est appelé à être « ministre » dans le sens de « celui qui se fait petit pour servir les autres. » (p. lOO). De plus, l’Eucharistie qui serait la raison d’être du prêtre, selon le document magistériel, apparait comme une reproduction (de type théâtral) de 1’événement pascal plutôt que le signe de la présence réelle mais cachée du Ressuscité. Si une femme présidait l’Eucharistie peut-être qu’éclaterait ainsi 1’idée de la réplique matérielle et trop sacrale de la Cène.

Nelly Beaupère, pour sa part, dénonce d’une façon très vigoureuse la discriminations dont les femmes sont l’objet dans l’Eglise. Cette discrimination, affirme-t-elle, met en cause l’Evangile lui-même. Constatant par ailleurs qu’aucune lecture de l’Evangile n’est neutre et que 1’Ecriture ne peut remplacer ni la vie ni la responsabilité de chacun, elle prend parti pour la lecture que les femmes font à partir de

leur vie plutôt que la lecture cléricale « dont elles ont été si longtemps victimes et complices. » (p. 105). La subordination dans laquelle les clercs veulent maintenir les femmes permet de comprendre le fonctionnement de 1’Eglise: au lieu d’être témoin de Jésus-Christ, l’Eglise fonctionne comme tout système religieux qui a des interdits, des tabous, qui sépare le sacré et le profane et possède un collège de prêtres ou de prêtresses. De cette façon, Jésus devient garant du système qu’il a pourtant combattu et condamné parce qu’il sélectionne les individus et pratique 1’exclusion. Pourtant la Nouvelle Alliance devait en finir avec les médiations et les médiateurs: nouveauté surprenante de 1’Evangile symbolisée par le fait que « le voile du temple se déchire ». Mais 1’Eglise s’est empressée, selon Nelly Beaupère, de raccommoder le voile du Temple et s’est établie comme une religion: le sacerdoce est ainsi devenu la figure du sacré. En conséquence, le peuple, profane, est soumis à ceux qui ont le pouvoir d’interpréter les Ecritures, de donner les sacrements, etc . Et les femmes, en plus, étant exclues du sacerdoce à cause de leur sexe, subissent la violence de ce pouvoir qui ne peut qu’être mâle: « elles illustrent de façon exemplaire ce qui est en réalité le sort de tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas admis dans la pyramide hiérarchique car elles n’ont même pas le choix qui est laissé à tous les hommes d’entendre ou non une « vocation ministérielle ». {p. 109). Et si les femmes accédaient à ce sacerdoce, ce ne serait pas nécessairement la conversion demandée par 1’Evangile à savoir le renoncement à tout système de pouvoir.

En effet, la subordination dans laquelle les clercs veulent maintenir les femmes permet, selon Beaupère, de comprendre le fonctionnement de 1’Eglise: au lieu d’être témoin de Jésus-Christ, l’Eglise fonctionne comme tout système religieux qui a ses interdits, ses tabous, qui sépare le sacré du profane et possède son collège de prêtres ou de prêtresses. Dans un tel contexte de pouvoir, l’Eucharistie, même présidée par une femme, n’est pas un geste de partage signifiant le don de Dieu à tous, mais plutôt un rite soumis au juridisme et à la magie. Pour conclure, l’auteur affirme que les femmes ne doivent pas mettre leur espérance dans l’accession à un tel sacerdoce, mais plutôt annoncer leur espérance avec tous les exclus de la terre en vivant dans cet exil auquel elles sont tenues comme profanes: « Les femmes de pat 1eur situation 1imite dans et hors de 1’Eglise, rappellent avec une intransigeance quelque peu redoutable que vivre 1’Evangile est encore plus important que 1’annoncer. » (p. 114-115).

Louise Melançon Sherbrooke

La Documentation catholique 1714, 20 février 1977,

pp. 158-173.

Hugues Cousin, « Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation » dans Lumière et Vie, no 151, janvier février-mars 1981, pp. 82-89.