BILLET
Marie-Josée Riendeau
Dans un éditorial de La Presse du 16 octobre dernier, Nathalie Collard laissait entendre que les jeunes féministes du rassemblement pan canadien étaient plus déconnectées de la réalité que rebelles. Déconnectées, parce que la rencontre était réservée aux femmes ensuite, parce que la prise de la parole publique des représentantes traitait encore de la condition des femmes en terme de patriarcat, de sexisme et de discrimination.
Je n’ai pas été surprise de lire les propos de madame Collard. Ils m’ont fait penser à l’adage populaire qui dit que les femmes n’ont pas à craindre les hommes pour contrer leurs avancées, elles s’en chargent elles-mêmes. Je crois que, comme moi et comme beaucoup de femmes, madame Collard est tombée dans le piège du déjà-vu et des certitudes.
Le piège du déjà-vu se reconnaît à l’évidence, aux certitudes. Premièrement, lorsque madame Collard cite que pendant des siècles le rôle des femmes dans la société était déterminé par la discrimination sexiste du patriarcat et qu’ensuite «ces femmes considérées comme «reines du foyer» se sont affranchies de leur condition…» d’esclave domestique contrainte à l’enfantement annuel, pour tenter de devenir des citoyennes émancipées économiquement et sexuellement. Deuxièmement, lorsqu’elle prétend qu’il suffit d’un demi siècle de luttes féministes pour que les femmes soient moins discriminées et opprimées par les stéréotypes sexistes. Il semble bien que le fait de grandir dans un univers mixte, contrairement à nos grands-mères, donne l’assurance aux femmes qu’elles peuvent faire face au conditionnement culturel d’oppression qui perdure depuis tant de siècles.
Alors, estimons-nous que nos jeunes féministes manquent de lucidité pour ne pas reconnaître que le sexisme, tel un parasite, s’est adapté aux us et coutumes de la société moderne? «Nos identités se sont érodées dès notre plus tendre enfance, alors que notre éducation, la télévision et les magazines nous dictent que notre apparence, notre façon de nous vêtir et notre façon d’agir sont déterminés par notre sexe. » 1
Sommes-nous à ce point obnubilées par les avancées des femmes en matière d’accessibilité à l’emploi et de liberté sexuelle pour ne pas voir que le corps des femmes et des petites filles est plus que jamais considéré comme une marchandise? Que les femmes continuent à être victimes de violence sexuelle? Que nos communautés sont toujours hantées par le silence qui entoure ces agressions? La violence est normalisée, les agressions sexuelles érotisées. «L’hypersexualisation des femmes présentées dans les médias nous a appris à voir les femmes comme des objets sexuels plutôt que comme des êtres humains à part entière.» 2
Manquerions-nous à ce point de patience pour nier que les femmes aient encore besoin de temps entre elles pour consolider leurs acquis et mettre en commun leur volonté d’agir en particulier quand les jeunes constatent que les acquis de leurs mères féministes, en termes de justice et d’équité, se voient assombris par la précarité. Pensons seulement au projet de loi C-484 qui recriminaliserait l’avortement ou à l’iniquité salariale. Serions-nous en train d’occulter l’évidence que la mondialisation des marchés et le capitalisme sauvage appauvrissent systématiquement les femmes de la classe ouvrière et de ce fait confortent le rôle de consommatrice chez les femmes des classes moyenne et supérieure.
En terminant, j’estime que la pire ennemie des luttes féministes c’est la femme elle-même, c’est nous, les femmes qui voyons comme redondante la critique de la discrimination sexiste du patriarcat. Et je pense qu’il est indispensable de reconnaître que c’est parce qu’un soi-disant «nouveau féminisme» se farde le visage de certitudes sur l’univers mixte, l’autonomie et la liberté d’expression des jeunes femmes d’aujourd’hui, que la discrimination sexiste parvient à dissimuler sa véritable nature oppressive sous le masque d’une évolution.
Marie-Josée Riendeau, Vasthi
1 Manifeste du rassemblement pan-canadien des jeunes féministes 2008.
2 Ibidem.