Blessures, discrimination et hypocrisie
sous couvert de liberté religieuse
Mireille D’Astous, Vasthi
Récemment, j’ai vu un titre accrocheur et provoquant défiler dans les actualités, dont le sens était : Si l’Église catholique refuse l’ordination des femmes, le baptême devrait aussi leur être interdit. Cette proposition radicale et blessante met en évidence l’exclusion des femmes dans le droit canon et dans les pratiques quotidiennes de l’Église catholique. Quant à les exclure à l’âge adulte, quant à leur interdire la performativité des rituels et à les obliger à vivre avec une doctrine antiféministe, quant à les obliger à suivre les actualités des officiels du Vatican où sont invisibilisées les femmes, autant les garder dans les limbes. Quant à leur refuser la participation pleine et entière aux conciles, quant à faire cela en « bonne conscience », quant à leur faire croire que l’enseignement des conciles et des papes ne se soucie pas que la porte leur soit fermée et les aient exclues, soyez cohérents et refusez-leur l’accès au baptême. Trouvez quelque justification théologique, comme vous en avez de toutes prêtes pour leur interdire l’ordination, et cessez de faire croire aux femmes qu’elles sont respectées dans toute leur dignité dans l’Église catholique. Non, les femmes ne sont pas nées pour être soumises au cléricalisme et pour souffrir les affres de la discrimination, encore plus cruelle lorsqu’elle est orchestrée par des hommes qui se proclament alter Christus.
Tout un édifice d’immobilisme et de refus de voir la réalité par le regard des femmes perpétue le sexisme de cette confession religieuse. La fracture est telle que plusieurs femmes ont été formellement punies par des mécanismes officiels comme l’excommunication, alors que leurs « torts » se limitaient à des revendications et à des gestes visant l’égalité ou étant en accord avec la pensée féministe. Dans de telles circonstances, que font ceux qui détiennent le pouvoir d’écrire, de nommer et de changer le droit canon ? Ils continuent d’ignorer les femmes, ce qui peut représenter une forme de violence à leur égard. Comment est-il possible que ces questions ne soient pas ouvertement débattues par des commissions permanentes ayant un mandat de réforme ?
Peut-on appeler artisans de paix ceux qui diabolisent les théories féministes, alors qu’elles ont comme racine le cri de l’injustice et la défense de l’intégrité du corps des femmes, de la vie des femmes, de la parole des femmes ?
La thèse de Johanne Philipps[1] permet de saisir quelques échecs du droit envers les femmes, alors que la liberté de religion continue de brimer le droit à l’égalité des femmes pourtant reconnu dans les États de droit démocratique. Il n’y a pas d’obligation à mettre fin à des pratiques discriminatoires, ce qui signifie que ces paroles, ces gestes et ces structures se perpétuent. Même avec les meilleures intentions de protection des religions contre des régimes politiques répressifs, à l’intérieur des religions elles-mêmes, des pratiques, des doctrines et des manières de faire oppressives sont normalisées, jugées méritoires ou auréolées d’un sceau divin. Comme le mettent en évidence les théories féministes, l’exclusion des femmes des universités, des lieux de pouvoir politiques, des fonctions de la sphère publique leur a causé du tort : ne pouvant pas être représentées, leurs histoires, leurs savoirs, leurs enjeux demeuraient incompris et non entendus. Nier l’agentivité des femmes les met à risque de subir des abus, les socialise à demeurer passives et empêche la légitime réalisation de leurs talents. Cette domination patriarcale séculière et religieuse a forcé les femmes à tenir de seconds rôles, à intérioriser les exclusions, à ne pouvoir être que « sous-développées » par des barrières à l’éducation, à l’équité salariale, et par la réduction de leurs tâches à des rôles de subalternes, etc.
Pourquoi, malgré des décennies de déclarations, de théologie féministe, de demandes, d’actions par des groupes religieux, le patriarcat religieux est-il si réfractaire aux quelques changements structurels et doctrinaux nécessaires pour que les femmes soient reconnues à part entière dans l’Église catholique ?
En théologie, la négation des femmes se manifeste sous de multiples formes et va à l’encontre de leur droit à l’égalité, alors qu’elles vivent dans des États où les droits et libertés de la personne ont force de loi. Qu’il est difficile pour les clercs et leur troupeau de faire l’aveu de leurs pratiques discriminatoires ! On préfère faire croire aux femmes que l’Église catholique les soutient et que les problèmes sont ailleurs. Mais sous les belles paroles de la supposée reconnaissance de l’égalité hommes-femmes, des dynamiques sexistes et nocives se matérialisent inévitablement.
Pourquoi cette Église ne peut-elle pas être prophétique et signifier clairement que ce qui blesse les femmes dans leurs droits et leurs désirs de justice blesse aussi Dieue ? En proclamant la séparation de l’Église et de l’État, des femmes sont aux prises avec un dilemme cruel : soit elles abandonnent leur spiritualité et leur religion pour maintenir la reconnaissance de leurs droits, soit elles doivent accepter l’oppression du patriarcat religieux en espérant que les figures d’autorité sauront faire preuve de bienveillance. Si elles étudient en théologie, elles auront la charge de critiquer la théologie dominante et d’éviter les hommes ne s’étant jamais repentis de leurs abus de pouvoir contre les femmes. Or, comme le rappelle tristement un récent jugement de la Cour suprême américaine (07-08-2020), il y a potentiellement perte de leurs recours juridiques, si le droit crée des exceptions qui font primer la doctrine religieuse sur les droits à l’égalité et à la non-discrimination. Lucide et visionnaire, Ruth Bader Ginsburg a été une voix dissidente dans le jugementOur Lady of Guadalupe School v. Morrissey-Berru. Ce dilemme peut aussi être vécu par des personnes marginalisées et persécutées dans la doctrine de l’Église, comme les personnes homosexuelles et les personnes trans.
Certes, il est possible de faire œuvre utile en développant des pratiques spirituelles féministes, en créant une théologie non oppressive par des femmes et pour des femmes. Il n’y a pas de doute que Dieue se faufile dans les blessures des femmes et leur permet de participer à sa création par d’autres voies. Ce « microcosme » est néanmoins très fragile et fragilisé, alors que la religion est précisément niée et effacée des institutions laïques, que ce soit au plan juridique, social, académique, politique et même comme expérience structurante de l’intériorité humaine.
Que faire ?
Faut-il que l’État intervienne dans la sphère religieuse de manière à ce que cessent les pratiques discriminatoires ? Est-ce que les femmes s’inscrivant à un programme de théologie ou à une démarche sacramentelle devraient recevoir une formation préalable leur expliquant qu’elles subiront de la discrimination alors que l’accès au sacerdoce, au séminaire et aux ressources des séminaristes leur sont interdites ? Alors que leurs professeur·e·s, les sœurs qu’elles rencontrent, les théologiennes avec qui elles travailleront n’ont pas de droit de vote au Vatican lors des synodes et des conciles ? Il ne faut pas sous-estimer les impacts de telles manières de faire. Les femmes peuvent souffrir de manque d’accompagnement spirituel et de discernement, car le cléricalisme ambiant les a déjà jugées hors d’intérêt car précisément femmes. Les femmes peuvent souffrir d’être non entendues. Il faudrait être au minimum honnête et intègre envers les femmes : si elles veulent bénéficier des droits à l’égalité et à l’autonomie, elles devront porter le poids de la lutte pour des réformes dans l’Église. Se profilent des obstacles et refus continuels qui leur seront imposés. Leur cœur ne peut être en paix tant qu’elles vivent dans le mensonge du boys club patriarcal religieux. Il est très troublant pour les femmes de réaliser que leur droit de parole dans l’Église devra être justifié et négocié. Une barrière énorme se profile devant elles.
[1]Johanne PHILIPPS, Comment le projet de laïcité québécoise est défavorable aux femmes. L’urgence de briser une évidence, thèse doctorale,Université de Montréal, 2019. Disponible en libre accès à l’adresse : http://hdl.handle.net/1866/24791.