Ce qu’elles disent, roman de Miriam Toews
Louise Garnier, Phoebé
Ce qu’elles disent[1] a été pour moi un réel coup de poing à mon cœur de féministe autant qu’un coup de cœur tout court.
L’histoire qui a inspiré Miriam Toews est atroce d’autant plus qu’elle est inspirée de faits réels. Ainsi, entre 2005 et 2009, dans une colonie mennonite recluse de la Bolivie, femmes et fillettes se réveillent régulièrement le corps couvert d’ecchymoses. Elles s’éveillent le matin avec des maux de tête et des saignements inexplicables.
Un soir, deux hommes sont pris en flagrant délit alors qu’ils tentent d’entrer par effraction dans la maison de l’une des victimes. L’horreur est vite dévoilée : on apprend que pendant plusieurs années, neuf prédateurs ont drogué et endormi les femmes, vaporisant un produit servant à anesthésier les vaches, dans l’objectif de les violer à répétition. N’ayant aucun souvenir de leur nuit, ces faits inexplicables sont mis sur le compte du diable!
En 2011, huit hommes mennonites sont condamnés à deux ans de prison pour avoir perpétué ces viols de petites filles et de femmes de 3 à 65 ans.
L’autrice a choisi de laisser de côté la description de l’horreur et la sordidité des événements, préférant inventer une suite à cette histoire. Elle imagine la réponse fictive des victimes à leurs bourreaux. Elle donne ainsi le droit de parole à ces femmes et, à travers elles, à toutes les femmes bâillonnées, analphabètes et exploitées sexuellement, qui ne disposent d’aucun outil pour dénoncer les abus qu’elles subissent.
« Lorsque j’ai été confrontée pour la première fois à cette tragédie, je me suis immédiatement sentie interpellée, indique l’écrivaine canadienne. J’ai senti comme une obligation d’écrire sur leur réaction, leur résilience, leur vulnérabilité.’ »(Tiré d’un interview réalisé par Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, Le Devoir, le 13 avril 2019)
On assiste donc aux rencontres clandestines de huit femmes désignées pour prendre une décision sur leur avenir au sein de la communauté. Invitées à pardonner à leurs agresseurs, elles se trouvent devant trois choix : pardonner aux bourreaux, résister et se battre ou fuir vers le vaste monde. Elles vont débattre, énoncer des arguments et finalement prendre une décision.
Miriam Toews a elle-même grandi dans la communauté mennonite de Steinbach, au Manitoba, un regroupement moins conservateur que celui décrit dans le livre, bien qu’excessivement rigide, fondé sur des préceptes de culpabilité et de repentir. Dès l’obtention de son diplôme d’études secondaires, à l’âge de 18 ans, elle quitte son village et s’envole pour Montréal.
Si madame Toews se considère comme intrinsèquement mennonite, son objectif n’est pas de critiquer les personnes croyantes, mais plutôt la culture de contrôle, de péchés et de châtiment qui définit ces sociétés.
Bien que l’horreur et le traumatisme soient omniprésents dans les craintes, les doutes, les réflexes et les troubles psychologiques des femmes abusées, le roman est traversé par un souffle de compassion et d’espoir, ainsi qu’une humanité poignante. Miriam Toews garde espoir que nous puissions conserver la foi et vivre en communauté, tout en étant tous et toutes en sécurité et en disposant des mêmes droits et libertés.
[1]Miriam Toews, Ce qu’elles disent, traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Montréal, Boréal, 2019, 264 p.