C’était en 1976…
Judith Dufour (1)
Je militais déjà dans la gauche politique et sociale non radicale au moment où les femmes avaient le loisir de se regrouper pour défendre leurs intérêts. Au fur et à mesure de nos cheminements, le féminisme devenait de plus en plus visible de sorte que notre groupe finit par prendre sa place parmi les autres groupes qui militaient pour l’égalité et la justice sociale.
C’était en 1976, il y a vingt-cinq ans. À cette époque, il m’avait été donné d’entrer en contact avec des textes de Rosemary Reuther, militante américaine et théologienne catholique, inscrite dans une démarche de questionnement touchant la condition des femmes. Ce courant de pensée m’attirait déjà lorsque je fus invitée à faire partie du collectif L’autre Parole par une toute jeune femme, chaussée de grosses bottes de marche et vêtue d’un « deux-pièces » bleu pâle qui mettait en valeur la blondeur de sa chevelure.
Convaincue de l’importance de la religion dans la fabrication des valeurs qui gouvernaient nos vies individuelles et collectives, j’ai accepté l’invitation de cheminer avec ce groupe qui mettait en question la domination des femmes par les hommes dans et par l’Église. Ce champ d’action convenait bien à mes premières conscientisations lorsque, hygiéniste à Chicoutimi, je dénonçais le recours des hommes d’Église à la transcendance de nos destins terrestres pour obtenir soumission et obéissance.
Pour le collectif L’autre Parole, la lutte se jouera sur le terrain de l’Église d’ici parce que nous étions d’ici, parce que nous voulions agir sur les facettes de la condition des femmes d’ici. Conscientes d’avoir été façonnées, alignées, définies et tenues en laisse par une institution à la fois sociale et religieuse, parfaitement huilée pour nous dresser tout en jouissant d’outils appropriés, nous espérions faire des avancées profondes vers la reconnaissance de la dignité des femmes.
Dans ce collectif, mon intérêt pour les enjeux politiques du temps m’avait amenée à surveiller, dans les dires traditionnels touchant le féminisme, les propos susceptibles d’être rectifiés. À chaque occasion, nous remettions les pendules à l’heure en rappelant, textes à l’appui, les gains historiques obtenus, grâce à la militance de nos devancières.
Les dossiers sur l’accession des femmes au sacerdoce, la contraception et le libre choix à l’avortement étaient et de loin les plus délicats à cause de leur rapport à l’histoire de l’Église, à sa morale et à la morale laïque. Des historiennes, des théologiennes et des éthiciennes n’ont pas hésité alors à mettre leur savoir à notre disposition et nous ont fourni l’occasion de collaborer à un projet commun en accumulant des récits de femmes que nous avions côtoyées au quotidien et sur lesquels portaient nos réflexions et nos analyses.
Être féministes et membres de la toute puissante Église catholique romaine autoritairement assise sur ses dogmes n’allait pas de soi aux yeux de certains. Un événement allait nous convier à jouer, à l’intérieur du mouvement des femmes, un rôle important et combien révélateur. Ce fut à l’occasion d’une conférence de Presse tenue par plusieurs groupes, en connivence avec le collectif L’autre Parole, au sujet de ce qu’on appelait l’avortement mais qui s’avéra plutôt un réquisitoire des femmes en faveur de la libre disposition de leurs corps, dans le respect de la responsabilisation qu’engendre la liberté d’agir. À cet égard, le collectif se devait d’assumer sa propre responsabilité et de se faire entendre par la voix de ses militantes. Le débat se situait dans son champ de réflexions et d’actions où se trouvaient des connaissances accumulées et des savoirs organisés. C’était aussi l’occasion de rappeler que la réflexion du collectif concernait toutes les
femmes ; que les débats soulevés en son sein s’enracinaient au cœur de leur libération et que les doutes qui avaient leur place dans les cheminements n’excluaient pas les avancées. C’est ainsi que L’autre Parole s’est vu reconnaître une place à part entière dans l’ensemble du Mouvement des femmes. La souplesse et l’intelligence de son fonctionnement, favorisées par des relations suivies entre groupes autonomes, la maintenaient en constant questionnement et par conséquent la gardaient toujours en marche.
Et c’est par cette montée au front d’un nombre toujours croissant de groupes réunis en concertation, sur la base de leurs intérêts ou de leurs places respectives, et sans cesse remis en questions, que le mouvement des femmes, à cette époque, connut un moment de force sociale dans la sororité et la bonne humeur.
Pendant plus d’une quinzaine d’années, j’ai aimé militer à L’autre Parole mais aussi dans d’autres lieux du Mouvement des femmes, là où on scrutait la situation sociale des femmes d’ici et d’ailleurs à travers des débats comme le salaire domestique, la pertinence de la formation d’un parti politique féministe… sans jamais atteindre un quelconque consensus. Plus fructueux cependant fut le débat concernant les relations de couple dans le quotidien… En outre, bien d’autres aspects de cette large implication ont retenu notre attention de plus en plus sollicitée dont celui de l’action positive… jusqu’aux théories féministes elles-mêmes sur lesquelles s’assoyaient l’une ou l’autre de nos revendications. Des liens d’amitié s’y sont confortés et je m’ennuie des séances de discussions habituellement suivies d’une rédaction à plusieurs lors de la tenue de nos colloques.
D’autres ont pris la relève. Je souhaite qu’elles s’approprient plus souvent la parole publique à propos des événements qui font scandale ici et dans le monde :
. afin que cesse la définition d’une moitié de la création par les hommes,
. afin que finisse l’ignominie de nous faire marcher par le biais de l’amour ou de la soumission.
. afin que dans l’ordre de nos croyances comme dans celui de nos aspirations matérielles, la courroie de transmission soit partagée par l’autre moitié de l’humanité et spécifiquement par les femmes qui oeuvrent dans l’Église.
Je réitère ma sororité avec toutes celles qui continuent à prendre la route…
1 (avec la complicité d’Yvette Laprise)