CHRONIQUE DE MES PLAISIRS D’ÉTÉ
Francine Dumais, Houlda
Depuis avril, le blanc paysage hivernal vire progressivement au brun puis au vert. Lors de mes premières sorties en forêt, il m’arrive de cueillir avec attendrissement quelques branches de saules arborant des petites touffes poilues appelées familièrement chatons.
De retour chez moi, je les dépose dans un vase avec de l’eau pour les contempler plus longtemps mais hors de portée de ma chatte qui aime bien jouer avec les plantes en faisant quelques dégâts.
Avant même que ne s’estompe complètement la neige sur les plates-bandes, l’activité végétale redémarre sous terre dans les bulbes à fleurs. Ainsi au travers des derniers amas de neige, pointent hardiment les premières tiges des vivaces printanières. Avec émerveillement, je vois déjà s’ouvrir les pétales jaunes, mauves et blancs des crocus, fleurissant par bouquets sur l’herbe jaunie d’une pelouse du voisinage.
La grosse congère de neige durcie, accumulée par la souffleuse à l’ouest de ma maison, tarde à fondre. Pour aider le soleil, je donne plusieurs coups de pelle chaque jour jusqu’à ce que la pelouse jaunie réapparaisse. Après quelques coups de râteau pour enlever cailloux et herbes sèches, la pelouse pourra reverdir plus facilement dès la prochaine ondée.
Çà et là sur la plate-bande, j’aperçois avec joie les jonquilles qui allongent leur tige chaque jour jusqu’à l’apparition des boutons floraux. Puis sous le vent encore frisquet, frissonnent leurs corolles épanouies et dentelées aux tons jaune soleil ou crème.
À côté d’elles, se déploient les cônes bleu violet des muscaris transplantés l’automne passé. Bientôt ce sera au tour des tulipes d’étaler leur variété de coloris : du blanc au jaune en passant par le rouge. Au fur et à mesure, j’ajoute une nouvelle couleur de tulipe ou je change un bulbe de place après la floraison pour un agencement plus symétrique des couleurs.
Vers la fin mai, si je suis précoce, je transplante les annuelles en pot ou sème de nouvelles graines que je choisis minutieusement durant mes fréquentations aux centres de jardinage. Il faut résister à bien des tentations et se raisonner face à l’espace dont je dispose, la quantité de lumière qu’exigent ces plantes ou la capacité de mon portefeuille.
Mais avant les semis, je dois préparer le sol en le râtelant d’abord pour y enlever les tiges, feuilles mortes ou papiers emportés là par le vent. Mais un printemps, ô surprise, j’ai dérangé quelques bourdons encore engourdis sous quelques centimètres de terre. Ils avaient dû manquer de temps pour mieux s’abriter à cause de l’arrivée soudaine des grands froids. J’ajoute au sol du compost, de la tourbe ou de la terre noire pour bien nourrir les plantes.
Près des tulipes se balançant dans le vent frais, pousse le muguet avec ses nombreuses tiges feuillues. Pour admirer ses blanches clochettes odorantes, je dois me pencher et écarter ses feuilles. Là je peux humer le parfum si captivant du timide muguet.
Dès que la neige s’est presque retirée du parc de la rivière Rimouski et de ses sentiers, je m’y rends à vélo et pénètre aux abords de la forêt. Sous l’épais tapis de feuilles mortes, je peux apercevoir diverses pousses jaillir dont certaines constituent de vrais trésors gastronomiques comme la fougère à l’autruche, les champignons comestibles tels que la morille.
En circulant sur les routes de la campagne voisine, j’admire le vert tendre des forêts de feuillus si lumineux au printemps. De temps à autre, j’aperçois des taches blanches ou rosées signalant la présence de merisiers ou d’amélanchiers.
Vers la fin juin, je pars à la recherche des petites fraises des champs si goûteuses. Et les doigts rougis mais parfumés, je reviens chez moi en pensant aux délicieux déjeuners de céréales ou aux desserts garnis de fraises.
Les jacinthes, au parfum si envoûtant, ont égayé ma plate-bande de leurs teintes rose, blanche et bleu tendre. La bruyante tondeuse fait son apparition aux quinze jours pour raccourcir le gazon qui pousse rapidement. Chaque matin, par temps sec, je me lève tôt pour arroser les plates-bandes et le jardinet. Dans ce dernier, j’ai semé épinards, laitue, haricots, betteraves, radis ainsi que les plants de tomates, pendant que repartent d’eux-mêmes l’origan, la coriandre, le persil, le thym, l’hysope et la lavande. À mesure que l’été avance, le jardinet clairsemé se remplit et foisonne tellement que je peux difficilement y circuler.
Près de ma véranda fleurit un lilas dont les effluves se répandent le soir venu, moment préféré pour m’asseoir dehors et lire sous les doux rayons du soleil couchant. Plus tard, à la tombée de la nuit, je retourne sur la chaise longue pour goûter à la tiédeur de l’air, admirer les étoiles plus brillantes que ne réussissent pas à éclipser les lampes de rue. Je rêve de nuits tièdes passées à la belle étoile, parfois au clair de lune, sur une terrasse élevée, à l’abri des intrus pour y guetter les premières lueurs de l’aube et l’ascension graduelle de l’astre diurne.
Juillet annonce l’arrivée de ma fille et de son conjoint, venus passer quelques jours dans le Bas du fleuve. Parfois nous partons en courtes excursions vers les attractions locales : le pic Champlain, le parc du Bic, la plage de Ste-Luce, les Jardins de Métis, les Portes de l’enfer de St-Narcisse. Quand mon fils revient, nous allons parfois au Village des Sources, lieu de paix et de recueillement.
Par les belles après-midi ou soirées d’été, la Promenade de la mer se remplit de marcheurs, cyclistes ou patineurs (à roues alignées). Pour conclure cette sortie citadine, plusieurs remontent les avenues attenantes jusqu’à une chocolaterie de la rue Évêché ouest pour y déguster un plaisir bien estival : la crème molle…trempée ou non dans le chocolat au lait ou noir. D’autres préfèrent les glaces maison plus coûteuses mais si délicieuses et variées.
En août la brise se rafraîchit un peu alors que le soleil raccourcit ses heures de présence. Les plates-bandes se sont renouvelées en fleurs plus tardives et mon jardinet atteint presque son apogée. Les tomates commencent timidement à rougir. Je profite du temps plus frais pour repeinturer à l’extérieur, là où la peinture s’est écaillée sur les perrons, vérandas, escaliers ou fenêtres.
Dès que j’ai une heure ou deux de libre, je pars à vélo vers un champ proche où je peux cueillir des bleuets sauvages. Parfois je peux en ramener un litre ou deux si les talles n’ont pas reçu de visite avant la mienne et si les bleuets sont bien dodus. Pour les framboises sauvages, il faudrait me rendre dans la forêt plus éloignée en compagnie d’amateurs. Ces dernières années, j’ai plutôt opté pour la framboise cultivée plus grosse et rapide à cueillir.
À la fin d’août, je peux récolter en quantité un petit fruit délicieux mais astringent : la cerise à grappe. Quand elle noircit presque, elle est bien sucrée. Il me reste à la transformer en liqueur ou en gelée avec de la pectine de pommes. Quant aux noisettes, j’y pense souvent en retard en voyant mon voisin équeuter les siennes. Dès les premiers jours de septembre, les noisetiers sauvages ont été dévalisés par les écureuils pressés de regarnir leur garde-manger pour l’hiver. Je suis plus chanceuse avec les canneberges repérées dans un terrain vague, sur le bord de la mer, à Pointe-au-Père. Là j’y trouve de grandes talles, boudées par les cueilleurs. Elles ne sont pas aussi grosses que les cultivées mais donnent quand même une belle confiture vermeille.
Ce qui m’attire dans la cueillette de tous ces petits fruits, c’est le plaisir de voir croître ma récolte au fil des minutes qui s’écoulent lentement dans le calme des grands espaces. C’est également la perspective de leur utilisation future aux déjeuners, en garniture de desserts ou en confitures.
Vers la mi-septembre, il faut me résigner à enlever le moustiquaire de la fenêtre du sous-sol, à le remplacer par la double fenêtre, à fermer l’eau du robinet extérieur, à enlever les plantes fanées du jardinet et des plates-bandes, puis à ranger tondeuse et outils de jardinage. Pour clore les délices culinaires locaux, survient enfin l’opulente citrouille.
Pendant que mijote la délicieuse compote orangée, je contemple au dehors la chute nonchalante des premiers flocons blancs, annonçant l’arrivée imminente de l’hiver. Je rêvasse devant le plaisir anticipé d’assister au ré-enchantement de la Nature au printemps prochain. Et je conclus en me disant que ce grand voile blanc, assez épais, est nécessaire pour bien protéger le monde végétal des grands froids.