COMME UNE GRÂCE
Jeannine Durocher, s.a.s.v.
C’était un homme bien ordinaire, comme tant d’autres de son temps, chez qui l’appel à une profession libérale ou à la prêtrise ne se fit jamais entendre, alors que la ferme, elle, très grande, criait à l’aide vers celui qui avait du cœur et des bras à mettre à l’ouvrage. Cet homme était mon frère Réal.
Il était mu par de solides convictions. La famille… l’esprit de famille, lui tenait fermement à cœur. On devait gagner sa vie et respecter ses engagements. Ses croyances religieuses, quant à elles, se faisaient plus discrètes. Il allait bien à la messe le dimanche, payait sa dîme, donnait à la quête, faisait sans doute ses prières, mais quant au reste… On ne savait pas.
Et, sournoisement le cancer est venu. Un jour, il a dû lâcher prise. « Je vais faire comme le Christ, mourir un Vendredi Saint » lança-t-il, dans un dernier sursaut de vie. Effectivement, il quitta les siens dans la nuit d’un Vendredi Saint, après avoir reçu, in extremis, l’onction des mourants. Malheureusement, les hôpitaux ne sont pas toujours des lieux où les supports favorisant l’ultime départ vers le Seigneur sont faciles à donner car les moments d’intimité se font rares. Nous aurions désiré pour lui un accompagnement plus tangible, le rejoignant en son cœur d’homme et de croyant.
Je suis sa grande sœur et son départ, non seulement me bouleversa, mais m’interpella vivement. Mourir à un âge où tant de rêves peuvent encore se réaliser! Surtout, mourir ainsi, presque en silence, tout quitter, sans manifestation de crainte ou d’abandon, sans réclamation, sans allusion audible sur l’au-delà de la mort, emportant son mystère, enveloppé dans une foi muette! Comme tant d’autres, dont la formation chrétienne, à part celle reçue dans la famille, n’a été que celle du petit catéchisme de Québec et l’homélie dominicale, il s’en est allé. Les moyens de ressourcements spirituels n’étaient pas non plus pour eux des préoccupations existentielles. Mais il y a l’Esprit et la grâce… De quoi je me mêle et pourquoi ce soupçon de doute?
Dieu est Amour, Salut et Miséricorde. Le dire et le redire dans mon milieu est un appel vivement ressenti. D’autres peuvent me ressembler et sentir le besoin d’ajouter cette grande vérité à leur foi personnelle. La remise en question de ma propre foi face à la Résurrection m’invite à la raviver aux sources évangéliques qui me rassurent. Je me fais aider par de bons théologiens et, surtout, je prie humblement.
Pour être honnête, je dois avouer que je ne réussis pas à apprivoiser la pensée de ma propre mort. J’ai toujours peur. Cependant l’assurance qu’un Dieu m’attend m’aide au quotidien à préparer par de petites résurrections ma grande Résurrection. C’est souvent l’objet de ma prière et le cri sourd de ma foi.
Par sa mort, Réal m’a laissé un bel héritage à monnayer au fil des jours. Celui de « ragaillardir » ma foi, en un Dieu Vivant, Sauveur et Miséricorde. Et la grâce de lui donner des bras. Alléluia!